© Potemkine films
Dans Les 400 coups, la famille Doinel – pour une fois apaisée- décide d’aller au cinéma. D’un commun accord, il est décidé d’aller voir Paris nous appartient. On peut alors imaginer, lorsque sort le film de Truffaut en juin 1959, que le spectateur a déjà pu voir celui de Jacques Rivette. Or celui-ci ne sortira dans les salles qu’à la fin de l’année 1961. Ce léger décalage temporel est intéressant dans la mesure où il dit quelque chose de la teneur de ce premier long-métrage du cinéaste : à la fois de plain-pied dans ce mouvement informel qu’on nomma « Nouvelle Vague » mais possédant par ailleurs une singularité qui annonce avant tout l’œuvre d’un auteur à part entière.
De la Nouvelle Vague, Paris nous appartient possède les attributs les plus classiques : une équipe légère, des acteurs peu connus (mis à part Jean-Claude Brialy, la mascotte des anciens critiques des Cahiers du cinéma devenus cinéastes) et un tournage en extérieur dans les rues de Paris. On notera aussi de nombreux clins d’œil aux amis de la même génération : Claude Chabrol fait partie des invités de la première soirée filmée par Rivette, Jean-Luc Godard apparait à la terrasse d’un café et tente de séduire un mannequin en écrivant un petit mot doux sur un journal et Jacques Demy figure aussi dans la distribution le temps d’un petit rôle.
Mais ces caractéristiques n’empêchent pas Rivette de mettre en place les balises d’un univers extrêmement personnel et auquel il donnera beaucoup plus d’ampleur à partir de la fin des années 60 (L’Amour fou). Pour se cantonner à un exemple précis, le Paris qu’affectionnèrent les cinéastes de la Nouvelle Vague prend des allures beaucoup plus insolites ici (amphithéâtre en plein air, échappées sur les toits de la capitale, rues anodines qui se nimbent d’un certain mystère…) et Rivette met déjà en place une sorte de jeu de l’oie grandeur nature pour faire de la ville un immense terrain de jeu.
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Le récit se compose de deux lignes qui évoluent en parallèle : d’un côté, celle qui suit un dramaturge, Gérard (Giani Esposito) qui tente de monter le Périclès, prince de Tyr de Shakespeare avec les moyens du bord. De l’autre, une sorte d’enquête tournant autour de la mort mystérieuse de Juan, un compositeur à l’aura mystérieuse et ayant vraisemblablement fréquenté des groupuscules révolutionnaires. Parmi ceux qui l’ont fréquenté, on trouve Philip, un Américain persuadé que le jeune Espagnol ne s’est pas suicidé mais qu’il a été victime d’un complot. Anne (Betty Schneider), une jeune étudiante, est à la fois engagée comme comédienne pour la pièce de théâtre et recherche de son côté un enregistrement musical de Juan et des explications à sa mort…
Tous les thèmes développés par la suite par le cinéaste affleurent déjà dans Paris nous appartient : le complot, le théâtre, le rapport de l’individu au collectif et le film qui semble s’inventer au fur et à mesure de ses déambulations…Pour Rivette, il s’agit de démonter les mécanismes de la mise en scène du cinéma en ayant recours au théâtre. Lorsque Gérard explique pourquoi il a choisi de monter Périclès, c’est pour louer son côté imparfait et décousu, manière de montrer que le metteur en scène est celui qui tente de donner une forme au chaos du monde, qui parvient à en organiser les éléments disparates. Il en est de même pour un film, aventure collective où le metteur en scène tente de donner du sens au Réel, d’en organiser les fragments épars. Le film s’avère alors moins un récit traditionnel qu’un work in progress, une réflexion sur l’art de la mise en scène et sur l’œuvre en train de se faire.
D’un point de vue théorique, le film est intéressant. Néanmoins, s’il ne parvient pas à séduire totalement comme les futures œuvres de Rivette, c’est peut-être parce que le cinéaste n’arrive pas encore à fusionner sa réflexion autour du théâtre, de la mise en scène et un récit de type policier qui se révèle, il faut bien en convenir, un peu filandreux et pas toujours passionnant. Ce qu’il y aura par la suite de ludique et léger dans son cinéma reste encore un peu trop intellectualisé ici. Par exemple, le parallèle entre une mystérieuse organisation (fasciste ?) qui menace un petit groupe d’individus et l’aventure d’une troupe de théâtre sur laquelle pèse énormément de contraintes ne fonctionne que par intermittence. Lorsque Gérard obtient de pouvoir mettre en scène sa pièce dans une salle parisienne, le voilà soumis à de nombreuses compromissions qui l’obligent à se débarrasser de sa comédienne amatrice et à se soumettre aux diktats de ses commanditaires (la scène est assez drôle car Rivette raille le snobisme du milieu et le cabotinage du vieux comédien professionnel). A l’instar des individus luttant contre un complot (politique ? social ?), l’artiste doit se battre contre un pouvoir d’autant plus dangereux qu’il ne dit pas directement son nom pour pouvoir imposer sa création. La menace qui pèse sur le petit microcosme que décrit Rivette est aussi celle qui pèse sur les épaules de l’artiste confronté au mystère d’un monde qu’il ne peut, au bout du compte, pas saisir (ou si peu : on ne verra pas, par exemple, le résultat du tableau fini dans La Belle Noiseuse).
Paris nous appartient pêche donc par ce côté un peu trop « intellectualisé » et un équilibre qui ne se fait pas encore tout à fait entre le côté théâtral et une structure scénaristique un peu lâche. Mais comme prémices d’une œuvre primordiale, il mérite d’être (re)découvert.
© Potemkine films
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Paris nous appartient (1961) de Jacques Rivette avec Betty Schneider, Giani Esposito, Françoise Prévost, Jean-Claude Brialy
Éditions Potemkine films
Audio : Français DD 2.0mono
Sous-titrage : Français
Sortie en DVD et BR le 15 février 2022
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