Né dans le giron des productions Grindhouse du très malin duo Tarantino/Rodriguez, « Hobo with a shotgun » s’annonçait comme un programme sympathique et prévisible, entre fétichisme cinéphilique, style outrancier et résurrection de trognes légendaires. Si « Hobo with a shotgun » remplit facilement ce succinct cahier des charges, il dépasse aussi largement nos espérances: en osant la dimension sociale, il s’affranchit de ses géniteurs, se revendiquant plus d’un certain cinéma underground américain que du simple cinéma d’exploitation.
Heureuse coïncidence: la sortie DVD de « Hobo with a shotgun » suit de peu la sortie cinéma du « Machete » de Robert Rodriguez. La comparaison semblera facile mais permet de mettre en lumière certaines dissonances dans les productions « Grindhouse » initiées par le duo Tarantino/Rodriguez. Le spectateur fera alors son choix, à la mesure de son fétichisme: filiation ou duplication. En s’appropriant les codes narratifs et formels du cinéma d’exploitation, les productions de Robert Rodriguez jouaient, avec générosité, du clonage pur et simple, jusque dans la texture de la pellicule : un bel exercice de style en forme d’hommage qui trouvait aussi sa limite dans son procédé. Un procédé qui veut ignorer l’histoire du monde et du cinéma, qui se joue de l’amnésie entre l’original et la duplication : aujourd’hui c’est hier. Les créations de Rodriguez se tournent entièrement vers le spectateur de la salle, faisant fi de son vécu : une sorte d’enfant-cinéphile.
La première vertu de « Hobo with a shotgun » sera de ne pas s’ignorer comme œuvre qui participe d’une histoire, préférant « s’inspirer de » sans jamais ignorer ce qui s’est passé entre elle et son modèle : une logique de filiation qui lui permet de sen affranchir, comme si elle tuait le père.
Les modèles semblent alors plus difficiles à saisir, éparpiller sur quelques trente années de cinéma, des fameuses productions gores « Troma » aux excès punk d’un Gregg Araki. Cette synthèse fait tout le sel d’un film qui se joue de la cinéphilie du spectateur avec un presque trop plein de générosité, osant facilement le grand écart.
Si « Hobo with a shotgun » souffre un peu de ce trop plein de générosité, il lui permet également de ne rien ignorer du meilleur de ces œuvres, renouant notamment avec une certaine dimension sociale qui lui apporte une épaisseur inattendue. On retrouve cette sympathie pour les exclus de la société – Street trash, Basket Case – noyés dans une société crasse régie par les rapports dominants/dominés ainsi qu’une fascination pour la peinture d’un urbanisme hallucinatoire – Driller Killer, Toxic Avenger – qui fait pour beaucoup dans la réussite esthétique du film.
Une peinture bariolée, faites de néons verts et bleus, au centre de laquelle éclatent des grandes tâches de rouge. Comme objet « pop », « Hobo with a shotgun » remet la couleur au centre de ses préoccupations esthétiques à travers une exploration du gore vivifiante : c’est, avant tout, du rouge… Il gicle, explose et dégouline dans une grande fête psychédélique et coloriste. Le gore renoue ici non pas avec une quantité mais avec un état du sang : une sorte de lipping continu qui dessine des peintures aux couleurs vives, dans un grand éclat de rire.
En reconsidérant l’histoire du cinéma dont il s’inspire bien plus que les œuvres, « Hobo with a shotgun » s’inscrit donc en faux-frère des productions « Grindhouse » classiques : des perspectives vivifiantes qui nous font décidément préférer le fusil à pompe à la machette.
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