Il est des films qu’on a envie de revoir pour mesurer le temps parcouru, et vérifier, justement, si les années leur ont été bénéfiques ou pas. Le Nom de la Rose fait partie de ces œuvres qui nous avaient captivés, lorsque notre regard n’était pas encore aiguisé… Qu’on se rassure, le film de J. J. Annaud vieillit vraiment bien et l’on reste toujours happé par les aventures de Guillaume de Baskerville et de son novice, Sherlock et Watson médiévaux confrontés à de mystérieux crimes dans une abbaye au Moyen-âge. Le livre d’Umberto Eco était réputé inadaptable par sa complexité, charriant d’innombrables thématiques, de la réflexion sur le mot et la culture, à l’étude sémantique, œuvre de linguiste, de métaphysicien et d’historien autant que d’écrivain, ce qui rendait le livre assez ardu. L’adaptation, sans être aussi impossible que celle de Süskind, présentait une difficulté comparable à celle d’un autre chef d’œuvre (et best seller, ce qui n’est pas si courant) du XXIe siècle, Le Parfum, sur lequel bon nombre de cinéastes se cassèrent les dents, dont Kubrick, avant que Tom Twyker s’y attèle honorablement… et avec beaucoup de simplicité. Annaud et ses co-scénaristes, débroussaillent l’œuvre d’Eco et plutôt que d’évoquer l’adaptation fidèle, le nomment malicieusement « palimpseste » du livre d’Eco, soit le parchemin effacé et réécrit. S’ils en changent parfois de manière regrettable certains éléments de l’intrigue en particulier dans la dernière partie, probablement pour se plier aux obligations de la production et donc d’un happy end (le méchant tué, la jeune femme sauvée), ils en gardent néanmoins l’essentiel, et surtout l’essence, le discours spirituel qui étaient la matière géniale du livre. C’est tout d’abord cette formidable et hallucinante enquête qui nous happe, dont l’atmosphère presque surnaturelle se nourrit de son décor, gigantesque espace clos au milieu des montagnes, digne du monastère népalais du Narcisse noir.

Capture écran UHS © L’Atelier d’images

Mais ce que n’oublie pas l’adaptation c’est le discours sur la subversion culturelle, la force du mot, du verbe, et ce débat sur des siècles de fanatisme religieux qu’illustre ce livre « maudit » d’Aristote sur le rire. On ne se lasse pas de l’intelligence de la réflexion, de l’évocation de ces manuscrits religieux derrière lesquels se dissimulaient protestation et provocation à travers les dessins délicieusement licencieux et blasphématoires dessinés par les moines eux-mêmes à grand renfort de sens caché. Le Nom de La Rose opère une fusion peu fréquente du divertissement parfait et de la réflexion, de la spiritualité. Le mystère à élucider se double d’une révélation liée à l’histoire des mentalités et l’histoire religieuse, et Le Nom de La Rose finit par résonner comme une ode à la culture et au livre, la force de l’Art comme arme suprême contre l’intolérance et les injustices. Le Moyen-âge d’Umberto Eco est plus qu’actuel. Comme il l’avait fait avec La guerre du feu, à grand renfort de spécialistes en préhistoire et de conseillers linguistiques (Anthony Burgess se chargeait de l’invention de la langue), le cinéaste perfectionniste qu’est Annaud s’octroie les services d’historiens de renom, dont l’incontournable Jacques Le Goff et la reconstitution s’en ressent, d’une authenticité confondante. On a beaucoup parlé de la distribution et effectivement la direction d’acteur est particulièrement impressionnante, de Sean Connery au tout jeune Christian Slater, en passant par Michaël Lonsdale tous plus crédibles les uns que les autres. Mais c’est peut-être le jeu de Ron Perlman qui impressionne le plus, acteur facilement cabotin, qui livre ici sa prestation la plus juste et la plus déchirante. Enfin, Le Nom de La Rose ne serait rien sans la partition de James Horner qui là aussi surprend à plus d’un titre. Musicien capable d’être affreusement emphatique et pompier lorsqu’il est symphonique, il compose ici au synthétiseur l’une de ses plus belles bandes originales, avec un leitmotiv particulièrement entêtant qui participe énormément à l’ensorcèlement que procure encore le film d’Annaud. La patte du coscénariste est visible, au point de donner parfois au film une allure presque polanskienne, dans ce mélange d’anxiogène et d’absurde. La constitution de son duo Guillaume-novice n’est pas sans ramener régulièrement à celui du professeur Ambrosius et de son élève Alfred dans Le Bal des Vampires.

Copyright Constantin Film Verleih

A l’heure où la plupart des blockbusters risquent l’accident de vitesse, où l’action ne connaissant plus de moment d’attente paradoxalement ennuie, Le Nom de La Rose permet de constater combien le cinéma populaire n’a pas toujours été soumis à la rapidité. Il est d’une lenteur hypnotique propre à entretenir le mystère, jusqu’à sa résolution incendiaire. Combien d’œuvres grand public peuvent se vanter d’offrir actuellement une séquence aussi saisissante que celle de la bibliothèque labyrinthe piranaséen du Nom de La Rose ?
Oubliez l’édition précédente éditée par TF1,  la restauration 4K, effectuée à partir du négatif original 35mm est stupéfiante et redonne une nouvelle jeunesse au film. Et pour ce 38e anniversaire du film, l’Atelier d’images n’a pas lésiné sur les suppléments avec 7 heures de bonus dont 2 inédites :
  • Inédit : Masterclass de Jean-Jacques Annaud (Festival Lumière 2023, Lyon) – durée : 89 mn (4k)
  • Inédit : dans les archives du Nom de la rose – durée : 28 mn (BRD)
  • Le commentaire audio / français (4k + BR)
  • L’énigme des noms (making of d’époque) – durée : 64 mn (BR)
  • Making-of (en 2 parties) : La genèse – Les clés du labyrinthe – durée : 116 mn (dvd bonus)
  • Bande annonce originale (4k + br)
  • nouveau film annonce 2024 (4k + brd)
  • 1 livret – souvenirs de Jean-Jacques Annaud – (44 pages)

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