Sorti en 1966 à l’orée des grands chambardements politiques qui adviendront deux ans plus tard et d’un certain cinéma libertaire qui en émanera directement (What a Flash ! de Jean-Michel Barjol en 1972 ; Themroc de Claude Faraldo en 1973), Massacre pour une orgie de Jean-Pierre Bastid est un film de son temps et annonciateur d’une forme d’art en apparence décousu, faisant montre d’une souplesse narrative donnant parfois l’impression d’un work in progress quelque peu improvisé. Ce premier long métrage de Bastid semble de fait s’inscrire dans une logique de détournement, tant du genre de la série noire que de celui de la série rose, déstabilisant par son côté anti-spectaculaire (il y a aussi peu de massacre que d’orgie) ainsi que par sa volonté résolue de refuser la justesse ou la cohérence tant dans le jeu automatisé et/ou outré des acteurs que dans la structure scénaristique. De ce point de vue, Massacre pour une orgie développe une idée presque situationniste du cinéma, tout autant dans sa manière libertaire de représenter une sorte d’hédonisme teinté de violence (des prémisses de l’esthétique BDSM du début du film à la liberté des corps faisant de la nudité une porte d’accès aux plaisirs refusés par la norme sociale et déceptive du couple établi) que dans celle de s’affranchir de la quasi-totalité des canons artistiques alors en vogue sur les écrans gaullistes. Pas un hasard si la censure hexagonale a alors empêché le film de voir le jour en France, finalement financé par les deniers de nos voisins luxembourgeois : à l’instar du Happening de Marc Boureau (1968), film contemporain de celui de Bastid mis sous séquestre par le pouvoir présidentiel du Général et redécouvert en 2022 par l’Etrange Festival, Massacre pour une orgie véhicule par son existence même une sorte de chaos (encore redoublé par le titre de l’oeuvre chez Bastid, usant lui-même du pseudonyme classieux de Jean-Loup Grosdard !) foulant du pied les mœurs pudibondes de l’ère gaullienne.
La trame du récit policier du film de Jean-Pierre Bastid contient en lui quelques éléments classiques du genre : gangstérisme impitoyable, trafic de drogue, réseau de proxénétisme et enquête policière borderline visant à faire chuter toute cette nébuleuse crapuleuse. De ce point de vue, Massacre pour une orgie n’est pas sans paraître comme un cousin dégénéré et mal sapé de French Connection qui sortira cinq ans plus tard ; mais, à l’inverse du film de Friedkin qui exacerbe les codes du polar par la puissance énergétique de sa mise en scène, il les dénude au contraire comme on pourrait le faire d’un vieux fil électrique un brin fatigué, dans le but d’émonder le genre de tous ses attributs spectaculaires. Difficile d’énvisager que cette entreprise de dévitalisation du genre policier est involontaire, Bastid étant un spécialiste reconnu de la série noire (il co-écrira par la suite le roman séminal Laissez bronzer les cadavres ! avec Jean-Patrick Manchette, quelques romans avec Michel Martens, ainsi que des scénarios pour Yves Boisset [L’Attentat et Dupont Lajoie] et Denis Amar [L’Addition]). Oeuvre de ses jeunes années, Massacre pour une orgie ressemble peu ou prou au témoignage d’une époque de remise en cause des codes moraux, sociaux, artistiques et génériques ; les allures situationnistes semblent bel et bien caractériser un film qui prend alors, par le truchement de ses manques, de ses creux, de sa volonté de déréaliser son récit et de privilégier les faussetés, un visage contestataire, à l’image d’un auteur qui a lui-même sa réputation politique (ses positions sur la Guerre d’Algérie, ainsi que ses enquêtes urticantes sur l’affaire Ben Barka qui servira de sujet principal à L’Attentat de Boisset). De ce fait, le film de Bastid, inabouti, improvisé, bifurquant sans raison du portrait de la pègre au point de vue porté sur les flics et leur enquête bancale, prêtant parfois à sourire à force d’outrance et de jeu anti-naturel tirant vers le geste parodique, intéresse moins pour ses qualités intrinsèques que pour le portrait en coupe tout autant de son auteur que d’une période au bord de la crise.
Massacre pour une orgie se doit donc d’être considéré à l’échelle de ce qu’il est réellement : moins un grand film qu’une rareté et qu’une curiosité cinématographique, le premier film de Jean-Pierre Bastid s’avère surtout une sorte de fascinant objet sociologique évocateur de son époque, une provocation presque visionnaire envers une période politique et sociale perturbée, puritaine, portant au pinacle le récit comme seul moteur narratif (c’est en cela que cette œuvre minimale se fait situationniste à tendance debordienne) mais sur le point de chuter lors de la révolution soixante-huitarde alors en train de frémir.
Outre le film, le Blu-ray de Massacre pour une orgie contient :
– Interview du réalisateur Jean-Pierre Bastid
– Interview du producteur Gilbert Wolmark
– Une orgie aux USA par Éric Peretti
– Rushes du tournage de Massacre pour une orgie
– Scènes coupées du tournage des Trafiquants d’Anvers
– Massacre of Pleasure, montage américain du film
– Générique fond neutre
– Film annonce
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).