© E.S.C éditions
Pour la petite histoire, il faut d’abord rappeler qu’A mort l’arbitre ! fut tourné en 1983, soit deux ans avant la tragédie du Heysel qui allait endeuiller durablement le monde du football. A ce titre, on peut légitimement affirmer que le film de Mocky possède une dimension visionnaire même si la violence dans le sport n’était alors pas une donnée inédite.
Adapté d’une série noire, le récit narre les tribulations d’un groupe de supporters rendus fous par un penalty sifflé par l’arbitre et qui cherche à se venger de l’homme en noir après la défaite de leur équipe. Après Y a-t-il un français dans la salle ?, Mocky poursuit sur sa lancée et réalise un nouveau film de « monstres », peuplé de trognes impayables, dessinant un tableau assez effrayant du genre humain. Il débute d’abord comme une satire au vitriol des supporters de foot. Le cinéaste ne s’en prend pourtant jamais au sport en lui-même ni à ceux qui le suivent avec ferveur mais à ces groupes qui ne peuvent exister qu’à travers une certaine forme de violence et pour qui le foot n’est qu’un prétexte pour gueuler plus fort. Mocky caricature ces hommes (et quelques femmes quand même !) avec beaucoup de verve, s’appuyant sur un Michel Serrault particulièrement survolté, plus abject que jamais et une galerie de personnages grimaçants où l’on retrouvera quelques-uns de ses fidèles, que ce soit Dominique Zardi ou l’excellent Jean Abeillé. On notera aussi la présence de Laurent Malet, jeune premier de l’époque que Mocky a volontairement enlaidi en l’affublant d’une minerve ! Appuyant où cela fait mal (la vulgarité crasse des supporters, leur violence sous-jacente sans parler des relents sexistes et racistes qui ressurgissent à l’occasion), le cinéaste offre une peinture assez désabusée d’une certaine frange de l’humanité qu’il nous fait partager par le biais du flic cynique qu’il incarne lui-même. La force du cinéma de Mocky, c’est de ne jamais adopter une position de surplomb par rapport aux personnages qu’il filme. Si la bêtise reste l’un des sujets qui le passionne le plus, il nous plonge le nez dedans et ne nous permet pas de nous en moquer confortablement. Le rire chez Mocky est beaucoup plus grinçant et il n’épargne personne : les flics (qui brillent par leur absence et leur incompétence), les politicards (Mocky-policier dit qu’il préfère s’occuper la sécurité dans un stade plutôt que de celle des politiciens véreux) ou les dirigeants des clubs sportifs (qui festoient quand la situation dégénère).
Cette partie satirique fonctionne bien grâce à la célérité d’un montage qui grossit le trait et fait ressortir les travers de son bestiaire humain : la laideur des visages, l’outrance des réflexions, la bêtise satisfaite (celle de Rico en particulier). Mais c’est ensuite qu’A mort l’arbitre ! prend son véritable envol, lorsque Mocky se concentre sur une véritable chasse à l’homme où l’arbitre, incarné par un Eddy Mitchell plutôt goguenard, et sa compagne (Carole Laure) doivent échapper à la horde de supporters déchainés. Le film se transforme alors en véritable parabole sur la folie des foules et de la meute mais aussi en film d’horreur. Si le montage heurté de la première partie pouvait passer dans un premier temps comme le signe d’une certaine désinvolture souvent reprochée à Mocky, ce deuxième temps (qui constitue les deux tiers du long-métrage) prouve que notre homme était un véritable cinéaste, jouant à merveille sur des décors à la fois réalistes mais insolites (le centre commercial, le bunker où habite Carole Laure, la carrière où se retrouvent les personnages à la fin du film, au milieu d’un ballet de bulldozers…) qui nous plongent dans un véritable cauchemar.
L’aspect cauchemardesque du film est renforcé par la manière dont le cinéaste joue avec la temporalité. En effet, tout ce film nocturne se déroule le temps d’une soirée de match et les heures qui le suivent. Or notre perception de cette unité de temps est constamment perturbée par la manière dont Mocky joue avec l’espace, comme si les personnages pouvaient passer d’un lieu à un autre sans la moindre transition, comme dans ces mauvais rêves où l’on se sent traqué quelque soit l’endroit où l’on se trouve.
Ne reste alors plus qu’une menace de plus en plus prégnante qui aboutira à une chute finale d’un humour très noir. Et c’est cette dimension cauchemardesque qui permet au film de Mocky de dépasser la simple satire du « beauf » amateur de foot tel qu’on l’imagine de manière caricaturale pour atteindre une forme de fable inquiète et glaçante.
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A mort l’arbitre (1983) de Jean-Pierre Mocky
Interprétation : Michel Serrault, Eddy Mitchell, Carole Laure, Laurent Malet, Jean-Pierre Mocky, Claude Brosset, Géraldine Danon, Dominique Zardi, Jean Abeillé
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