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L’œuvre de Jean-Pierre Mocky peut se diviser grossièrement en quatre grosses tendances. Tout d’abord, les études de mœurs de ses débuts (Les Dragueurs, Les Vierges), puis les « comédies guérilla » où le rire devient une arme contre les institutions (l’église dans Un drôle de paroissien, l’état civil dans Les Compagnons de la marguerite…) ou les travers de la société (la télé dans La Grande Lessive) mais aussi les films noirs romantiques et individualistes (Solo, L’Albatros) et enfin, les « œuvres tableaux » fonctionnant sur le principe d’une approche chorale et du défilé de trognes insolites (L’Ibis rouge, Les Saisons du plaisir). Bien entendu, ces catégories sont à la fois très schématiques et ne sont pas étanches. Mais elles permettent à Mocky d’aborder une certaine forme de critique sociale par le biais de registres divers.
Litan fait partie de ces œuvres s’apparentant à des aérolithes et qu’il est difficile de faire entrer dans l’une de ces catégories. Pour la première fois ou presque, Mocky s’essaie au genre fantastique avec la complicité de son scénariste et complice Jean-Claude Romer, co-fondateur de la mythique revue Midi-Minuit Fantastique. Si j’ai utilisé le terme « presque », c’est que le cinéaste avait déjà joué la carte du mystère et de l’insolite dans La Cité de l’indicible peur d’après Jean Ray. Mais dans ce cas précis, le fantastique ne reposait pas sur le surgissement d’éléments surnaturels mais sur une machination tout à fait rationnelle.
Après un cauchemar terrifiant, Nora (Marie-Josée Nat) reçoit un coup de fil mystérieux qui l’invite à un rendez-vous. Commence pour elle et son compagnon Jock (Jean-Pierre Mocky) une course-poursuite à travers le village qui semble désormais menacé par d’étranges morts-vivants inquiétants.
Difficile de résumer ce film qui ne brille pas par la clarté de son scénario. C’est d’ailleurs son point faible : le récit est assez nébuleux et se limite à une longue traque du couple poursuivi à la fois par un commissaire et par un danger imminent. Mais si on passe outre ce défaut, le film séduit par son atmosphère étrange et insolite. Mocky soigne sa mise en scène, jouant à la fois sur la photogénie des lieux (cette petite commune constamment noyée dans la brume, les montagnes…) et un montage habile qui permet d’être à la fois dans l’action (plans séquences qui accompagnent les deux héros dans leur fuite, découpage précis) et des sortes de flashs qui font glisser imperceptiblement le film vers l’onirisme (cadrages insolites, axes de caméra fortement marqués – plongées, contre-plongées- pour accentuer le sentiment d’oppression et l’omniprésence de la menace).
Même dans ce cadre fantastique, Mocky parvient à renouer avec les éléments de ses autres films. Lorsque Jock et Nora se retrouvent seules contre tous, on songe bien évidemment à la veine romantique du cinéaste qui interprète déjà, dans Solo ou L’Albatros, des personnages en fuite, des révoltés contre l’ordre des choses. De la même manière, sa façon de circonscrire l’action de son récit à une petite bourgade peuplée de personnages bizarres rappelle La Cité de l’indicible peur et annonce un film comme Ville à vendre. Flic incrédule, médecin inquiétant, personnages aux trognes improbables : Mocky soigne une fois de plus sa galerie de « monstres ». Mais cette fois, il leur donne une dimension vraiment fantastique qu’il accentue grâce aux masques que la plupart d’entre-deux portent. Par ailleurs, les jeux (dangereux) des scouts locaux ou encore cet orchestre insolite avec des musiciens masqués comme Fantômas donnent un caractère carnavalesque à l’ensemble.
Le résultat est sans doute inégal mais cette tentative de cinéma fantastique à la française, dans la lignée de Feuillade et Franju (toutes proportions gardées), est suffisamment insolite pour être (re)découverte avec curiosité.
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Litan (1982) de Jean-Pierre Mocky avec Marie-Josée Nat, Jean-Pierre Mocky, Nino Ferrer
Disponible depuis le 2 mars 2022
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