Powerhouse poursuit son dépoussiérage de l’œuvre de Jean Rollin et choisi d’associer pour la rentrée deux films à priori diamétralement opposés. Le premier n’est autre que le scandaleux soixante-huitard malgré lui Le Viol du vampire quant au second c’est le mésestimé La Nuit des traquées qui s’en trouvera, on l’espère, réhabilité au rang des essentiels dans la filmographie de Rollin.

La légende veut que dans les rues désolées du Paris de Mai 68, les foules se bousculent à l’entrée des salles pour découvrir la seule production cinématographique présentée au milieu des grèves et des émeutes. Hélas, le triomphe est de courte durée : à l’issue des séances, c’est un autre genre d’émeute, le public n’a pas gouté la farce et furieux, réclame le coupable et appelle au châtiment exemplaire. L’opinion est unanime, le premier long-métrage de Jean Rollin doit aussi être son dernier, par pitié !

© Powerhouse – Indicator

A la racine du scandale, le distributeur Jean Lavie, désireux de ressortir un film de vampire datant de 1943, Dead Men Walk (Créature du Diable) de Sam Newfield dans le réseau des petites salles de quartier. Mais le film de Newfield dépassant péniblement une heure exige un complément de programme et Lavie se tourne vers un jeune Jean Rollin désireux de faire ses preuves dans le circuit commercial et lui commande un court métrage d’une demi-heure pour pouvoir justifier d’une séance complète. Conçu au départ comme un simple prétexte, Le Viol du vampire se transforme en projet personnel, et alignant à l’arrivée 45 minutes, obtient une rallonge budgétaire pour en doubler la durée et la promesse d’une sortie à part entière. Aux oubliettes l’association avec le bavard et routinier Créature du Diable et bienvenue Femmes vampires seconde moitié d’un film qui tout au long de de ses 90 minutes finales enterre consciencieusement le gothique traditionnel sous les pavés du joli mai.

Les plus indulgents le jugent confus, à force d’amateurisme ou d’incohérences (il est vrai que les deux parties s’accordent mal), les plus véhéments peinent à trouver les mots pour décrire ce supplice interminable, persuadés que l’auteur les insulte à travers cette vacherie sur pellicule qui se paye en plus l’audace d’être racoleuse sans assurer le service. En effet, à l’érotisme de bon aloi des productions britanniques, Rollin préfère l’héritage surréaliste et déshabille ses actrices aux moments les plus inopportuns, tuant toute possibilité d’excitation à force d’incongruité. L’incompréhension est totale et face à cette réception obtuse, Rollin, déjà éprouvé par un « Itinéraire marin » qui refuse de voir le jour, songe à abandonner le cinéma, ce qui n’aurait pas manqué de réjouir ses virulents détracteurs dont les critiques ont malheureusement la vie dure et continuent d’alimenter l’opinion populaire quant à l’œuvre du cinéaste. Et si l’on fermait un instant la fenêtre aux spécieux arguments ? Et si l’on regardait le film sans préjugés, sans attentes, et surtout sans négliger le fait qu’il puisse être génial ? Parce qu’il l’est.

© Powerhouse – Indicator

Depuis un petit village de Normandie (en réalité les abords d’une villa abandonnée à Claye-Souilly en banlieue parisienne) jusqu’aux barricades parisiennes désertes en passant l’inévitable plage de Pourville-lès-Dieppe et quelques cimetières pour la forme, Le Viol du vampire nous conte l’histoire de Thomas, jeune psychanalyste et des quatre femmes vampires qu’il espère sauver des villageois superstitieux autant que de leur propre névrose, car pour le rationnel Thomas il n’est de vampires que dans les esprits malades. Mais aucune thérapie ne peut venir en aide aux jeunes femmes, ce qui n’empêche pas l’amour de naître entre Thomas et l’une d’elles, au détour d’une promenade aurorale. Mais c’est sans compter un vieux châtelain qui les tient prisonnières, des villageois qui se préparent au lynchage, et l’arrivée prochaine de la reine des vampires et de ses esclaves zombies. La recette est copieuse, mais l’amour des figures marginales est sincère et s’il arrive au grotesque d’empiéter sur le tragique, c’est pour participer au caractère définitivement intrigant de l’ensemble.

Redécouvrir Le viol du vampire, délivré des attentes inhérentes au genre à la fin des années 60, c’est ouvrir les yeux sur un objet artistique unique et s’autoriser le ravissement de la nouveauté, quand bien même celle-ci a plus de cinquante ans. Il n’est rien dans ce premier long-métrage qui ne fascine ou ne réjouisse, qui n’amuse ou n’attendrisse, de sa détermination à mettre en scène les visions les plus oniriques malgré des moyens dérisoires à sa volonté sans compromis de s’affranchir des codes narratifs et iconographiques d’un genre dans lequel il ne s’inscrit que par défaut. Récit d’amour et de mort, sabbat créatif mêlant les influences du réalisme poétique et de l’exotisme de feuilleton de quatre sous, Le viol du vampire est un film séminal, le parfait manifeste d’un style Rollin qui ne trouvera plus jamais une expression si radical, un petit monument à la liberté.

© Powerhouse – Indicator

La Nuit des traquées nous fait faire un petit bond de douze ans dans le temps, en 1980, période peu propice à l’apparition des vampires dans les films de Jean Rollin. Le réalisateur, échaudé par le four qu’a encaissé Lèvres de sang en 1975, s’est éloigné des créatures de la nuit, superficiellement en tout cas.

Alors qu’il rentre chez lui, Robert manque écraser une jeune femme hagarde et paniquée à laquelle il décide de porter secours. Mais la demoiselle en détresse est amnésique et incapable d’expliquer le péril qu’elle cherchait désespérément à fuir une minute plus tôt, elle ne sait d’où elle vient ni où elle pensait aller, à peine peut-elle lui dire qu’elle se nomme Elizabeth. Robert l’installe chez lui en attendant d’en savoir plus et lui confie son numéro de téléphone, espérant qu’elle se souviendra qu’elle peut compter sur son aide au besoin. Et le besoin va rapidement se manifester, puisqu’un couple étrange, le docteur Francis et son assistante Solange, enlève Elizabeth pour la ramener dans la clinique dont elle s’est enfuie et où elle subit une série de traitements barbares tout comme les autres patients souffrant de la même amnésie. Lorsque Robert arrive à la rescousse, Elizabeth a déjà oublié son sauveur, quant au personnel de la clinique, il ne va pas lui faciliter la tâche.

Loin des rues parisiennes de mai 68, mais aussi loin des châteaux isolés, des cimetières brumeux et des places normandes qui faisaient jusque-là son ordinaire, Jean Rollin s’essaie au thriller urbain, aux intérieurs aseptisés éclairés au néon. Il n’est pourtant pas interdit de trouver quelques similitudes avec La Vampire nue, le couple formé par Brigitte Lahaie et Alain Duclos évoque furieusement Caroline Cartier et Olivier Rollin dans ce précédent film, mais les sectes de morts-vivants deviennent des soignants aux méthodes douteuses et les déshabillées vaporeux, des blouses d’hôpital. Plus qu’un thriller, c’est une histoire d’amour impossible que nous raconte Rollin, un amour compromis par la maladie, compromis par les institutions, mais qui refuse de s’avouer vaincu. Il donne pour l’occasion le plus beau rôle de sa carrière à Brigitte Lahaie qui traverse le film dans une quasi-inconscience, croisant parmi les pensionnaires une Marilyn Jess à peine moins perdue, créature sans passé et n’ayant comme avenir que le néant de l’oubli. La Nuit des traquées a tout d’une fuite en avant désespéré, une fuite au rythme catatonique de son héroïne certes, mais dont la poésie et l’étrangeté séduiront ceux qui reconnaissent chez Rollin une sensibilité qui est la leur.

 

Les suppléments pour Le Viol du vampire :

  • Commentaire audio de Jean Rollin (2007)
  • Commentaire audio de Tim Lucas (2023)
  • Introduction de Jean Rollin (1998, 3 mins)
  • Fragments of pavement under the sand (2023, 32 mins) : documentaire sur le tournage du film par Daniel Gouyette comprenant des interventions de Jean-Denis Bonan, Jean-Pierre Bouyxou et Jean-Loup Philippe.
  • Jean Rollin on The Rape of the vampire (2007, 5 mins) : propos du réalisateur lors du Fantasia Film Festival de Montréal.
  • Jean Rollin : L’Effervescence (2023, 40 mins) : Jean-Denis Bonan, monteur et assistant réalisateur évoque ses collaborations avec Jean Rollin.
  • Je ne regrette rien (2023, 13 mins) : Montage d’archives d’entretien avec l’actrice Jacqueline Sieger.
  • The All Rounder (2023, 18 mins) : Montage s d’entretien avec l’auteur, acteur et costumier Jean-Yves Beaujour.
  • Parallel Routes (2023, 12 mins) : Montage d’archives d’entretien avec le compositeur François Tusques.
  • Indelible impressions (2023, 9 mins) : analyse du film par l’historienne du cinéma Virginie Sélavy
  •  Les Pays Loin (1965, 17 mins) : Restauration 4K du second court-métrage de Jean Rollin, avec commentaire audio optionnel du réalisateur.
  •  L’Itinéraire souvenir (2018, 30 mins) : reconstruction artistique du film perdu de Jean Rollin, L’Itinéraire Marin (1962) par Victor Poucalow et Raja Tawil.
  •  De la grève (2023, 7 mins) : évocation de « L’Itinéraire marin » par Jean-Denis Bonan et Jean-Loup Philippe.
  •  Livret de 80 pages comprenant une analyse du film par Beatrice Loayza ainsi que plusieurs textes d’archives dont une évocation des tournages des Pays Loin et Le Viol du vampire par Jean Rollin et une interview du réalisateur Peter Blumenstock.

Disponible en Blu-Ray chez Powerhouse

Les suppléments pour La Nuit des traquées :

  • Commentaire audio de Tim Lucas
  • Commentaire audio de Jean Rollin pour une sélection de scènes (2006)
  • Commentaire audio de Jean Rollin et Brigitte Lahaie pour une sélection de scènes (2006)
  • Introduction de Jean Rollin (1998, 2 mins)
  • Perdues : La Nuit des traquées (2023, 20 mins) : documentaire sur le tournage du film réalisé ar Daniel Gouyette conprenant des entretiens avec Brigitte Lahaie, Jean-Pierre Bouyxou et Natalie Perrey.
  • Jean Rollin on ‘Night of the Hunted’ (2007, 3 mins) : Propos du réalisateur lors du Fantasia Film Festival de Montréal.
  • A Delectable presence (2023, 16 mins) : Entretien avec Brigitte Lahaie à propos de ses collaborations avec Jean Rollin.
  • Forty Years Together (2023, 17 mins) : Le producteur Lionel Wallman évoque ses collaborations avec Jean Rollin.
  • Alain Plumey at the museum of eroticism (2023, 15 mins) : l’acteur revient sur sa participation à La Nuit des traquées et Fascination.
  • The Gulf of Emptiness (2023, 21 mins) : Analyse du film par l’historien du cinéma Stephen Thrower.
  • Le Pont (2023, 5 mins) : Jean-Pierre Bouyxou et Brigitte Lahaie évoquent une scène clé.
  • Inserts and Alternative scenes : deux scènes soft et un insert pornographique
  • Livret de 80 pages comprenant une analyse du film par Ruairi McCann ainsi que plusieurs textes d’archives dont une évocation du tournage par Jean Rollin et un entretien avec Brigitte Lahaie.

Disponible en Blu-Ray chez Powerhouse

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A propos de Gabriel CARTON

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