Elles sont quatre : Iben, Malene, Camilla la trentaine et Anne-Lise, 20 ans de plus, mère de famille. Un fossé générationnel. Elles travaillent ensemble, dans le même bureau, un espace en huis clos empli de livres sur les exactions, des documents dédiés à la mémoire. Le cadre ? Une petite ONG danoise luttant contre les crimes de guerre, les génocides et s’adressant aux survivants. Jusqu’au jour où elles se mettent à recevoir une à une des emails anonymes les menaçant de mort. Le ton est donné, tendu, sombre, comme parasité régulièrement par les images d’archives qui bercent leur quotidien, celles des bourreaux, des innocents sacrifiés, des horreurs qui n’en finissent pas, qui n’appartiennent pas juste au passé, mais qui se poursuivent éternellement : voilà l’état du monde. « Psychologie du Mal » s’intitulent les articles qu’Iben écrit, parfois en duo avec Malene dont des extraits sont disséminés jusqu’à la fin, tentant de comprendre les tréfonds de cette entité immémoriale qui sévit en chacun de ceux qui un jour sont passés à l’acte. Comme naît-elle ? Qu’est-ce qui pousse l’homme à se transformer en monstre ? La circulation du mal sert de fil rouge au sombre thriller psychologique qu’est The Exception. Plus encore, Il est bien à l’intérieur de nous tous, prêt à se déclarer, à nous envahir. Voici bel et bien un film de contamination, où travailler sur le mal, avec le mal, c’est risquer aussi de (se) le transmettre et de s’en faire inconsciemment le porteur. S’il est un objet de répulsion, il fascine, éveille le désir, voire le fantasme sexuel, de virilité qui réduit à néant toutes les certitudes d’équilibre psychologique. Le diable est un séducteur et l’individu, une matière perméable. Combien de femmes n’osent pas s’avouer vivre avec un bourreau et se retrouver comme irrésistiblement attirées ?

© Wild Side

Iben, Malene, Anne-Lise et Camilla ont toutes les quatre à leurs niveaux respectifs, leurs secrets et leurs traumas. C’est sans doute Iben qui serait la plus à même de comprendre le sujet : rescapée d’une prise d’otage au Kenya elle est hantée par la vision régulière du jeune terroriste qui la surveillait et semble rester avec elle, comme un compagnon fantôme. Le traumatisme détruit la psyché au point d’offrir à la victime une perception biaisée de l’environnement, qui ne peut passer que par le prisme de ce souvenir indélébile. La réalité d’Iben s’en trouve faussée, brisée, à jamais impossible à saisir. Chacune porte un masque propre à dissimuler leur dualité.

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Cette adaptation du best-seller de Christian Jungersen n’est pas des plus confortables, provoquant le malaise, mais avec élégance, avec une retenue dans la mise en scène qui évite de sombrer dans le sordide. Là où le film de Jesper W. Nielsen se révèle le plus efficace, c’est sans doute dans sa manière de montrer combien le fléau se répand au sein de cette petite entreprise et combien ces héroïnes qui ont l’air d’agir pour le bien de l’humanité finissent par reproduire au sein de leur quatuor ce contre quoi elles sont censés lutter. Tel un écho à la torture explicite, et figée dans les photos de génocides, sévit la souffrance infligée à l’autre dans un cadre plus intime, plus pernicieux, professionnel. Un trio qui constitue déjà un groupe avec son interaction, ses effets pervers en miroir des crimes de l’Histoire, obéissant à la même mécanique. The Exception s’ouvre d’ailleurs intelligemment sur l’évocation du procès des criminels nazis l’examen psychiatrique évacuant l’idée de folie : ils ont tous des profils différents, des gens bien sous tous rapports, dont on n’aurait jamais soupçonné un appétit d’exaction. Anne-Lise qui voudrait s’intégrer, mais n’a pas leurs mots et leur humour, seule dans son bureau, obligée de fermer sa porte, devient rapidement celle qu’on soupçonne d’être coupable, qu’on doit stopper et anéantir. Des allusions, des messes basses, de l’ironie, le malaise est palpable et croissant. Les trois autres se métamorphosent insensiblement en bourreaux sans s’en apercevoir, en légitimant leur action comme un processus de défense. Où se trouve désormais le bien ?

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Le doute s’installe : certains secrets semblent bien gardés. Autour de ce climat de paranoïa, Jesper W. Nielsen lance la mécanique de suspense autour de la culpabilité des protagonistes et de leurs rôles respectifs. Dommage que le film perde alors ses enjeux initiaux dans une dernière partie plus convenue, soumise aux archétypes du thriller, l’attente d’un « qui l’a fait ? » Il gagne alors en suspense et en coups de théâtre un peu clichés ce qu’il perd en trouble. Lorsque The Exception passe de l’idée, du symbole, à l’incarnation matérielle du méchant, sa portée s’en trouve émoussée. Il prive alors les héroïnes des zones d’ombre qui dérangent, les rendaient insaisissables… et crédibles. À l’enchainement maladroit des twists, et une certaine tentation moralisatrice qui remettrait les individus dans leurs cases définies de la lucidité ou de la folie, nous aurions préféré une plongée dans le gouffre plus ample encore, qui plutôt que de démasquer un(e) coupable révèlerait la tragique fissure : l’emprise vampirique d’un virus qui étreint indistinctement au point de nous confondre. Mais ne boudons pas notre plaisir pour ce dernier acte. The Exception reste dans son ensemble une belle réussite, portée par une interprétation exceptionnelle de ses quatre actrices, Sidse Babett Knudsen terriblement fragilisée, en tête. Nous garderons dans la bouche un goût amer, comme le sentiment d’une humanité décidément pas très belle à voir. Au plus profond de nous-mêmes nous serions tous … victimes et tous bourreaux.

Distribué par Wild Side, En VOD & Achat Digital depuis le 1er Avril

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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