John Farrow est toujours un cinéaste méconnu qui a essentiellement excellé dans le film noir, en l’occurrence La Grande horloge, sans nul doute son meilleur film, et deux westerns remarquables, Hondo et Vaquero. Seulement, il passe encore pour un auteur de second plan, peu célébré par les cinéphiles qui lui préfèrent très largement un Samuel Fuller ou même un Joseph Lewis, artisan ultime de la série B. Sans doute parce que Farrow a tourné une poignée de films médiocres, essentiellement des comédies musicales dans les années 30. Mais ce parcours erratique ne suffit pas à expliquer le manque de reconnaissance d’un réalisateur à redécouvrir. En effet, Les Yeux de la nuit, Fini de rire, Un pacte avec le diable et Le Voyage sans retour sont des réussites majeures chacun dans leur genre, car John Farrow, en bon mercenaire, les a tous écumé. Le Défilé de la mort appartient à un sous-genre très en vogue dans les années 40, le film de guerre de propagande, censé remonter le moral des américains en pleine Deuxième Guerre mondiale. De grands noms comme Alfred Hitchcock et Fritz Lang s’y sont également illustrés. Farrow en signera trois autres d’un intérêt relatif.
Le récit se situe en Chine, comme l’indique le titre original China. En 1941, pendant le conflit qui oppose La Chine et le Japon, deux américains, David Jones et Johnny Sparrow, vivent du trafic d’essence en s’alliant sans état d’âme avec les Japonais. Ils y voient, cyniquement diront certains, juste un moyen de gagner leur vie. Suite à un bombardement, Sparrow recueille un enfant en bas âge dont la mère vient de périr. Jones, baroudeur machiste et raciste, veut s’en débarrasser jusqu’au jour où il rencontre Carolyn Grant, une institutrice, qui tente de faire passer clandestinement de jeunes filles chinoises pour qu’elles puissent poursuivre leurs études. Sans surprise, tandis que Sparrow se prend d’affection pour l’enfant, Jones va progressivement changer d’attitude.
Le scénario suit un programme bien précis de réhabilitation d’un personnage qui va progressivement prendre conscience de la situation jusqu’à l’épilogue, à la fois étonnant et convenu dans sa logique sacrificielle. Pas besoin d’être un expert en politique pour s’amuser de la situation au regard de l’histoire. Les Japonais sont montrés sous leur pire facette, sans aucune ambiguïté, tandis que les pauvres Chinois, honnêtes et travailleurs, sont de braves gens qui subissent l’assaut des alliés des nazis. L’idéologie communiste est totalement évincé au profit d’une lecture qui privilégie l’union face à l’ennemi commun. Finalement, avec le recul, cette position est assez maline, permettant aux auteurs de se dédouaner d’un quelconque racisme. Cependant, l’intérêt du film se trouve ailleurs, essentiellement dans les rapports humains qu’entretiennent les trois personnages principaux, où se mêlent l’amitié et l’amour, rappelant certaines œuvres majeures de Howard Hawks. L’amitié qui lie Jones et Sparrow est par ailleurs équivoque, jetant un trouble quant à l’instinct maternel de Sparrow, une situation curieuse pour une production américaine des années 40 s’inscrivant dans un genre viriliste. Les allusions (homo)sexuelles sont assez explicites, qu’elles soient conscientes ou non à une époque ultra puritaine. L’arrivée de l’institutrice va non seulement perturber leurs habitudes, mais aussi opérer un changement de comportement sur Jones, passant du baroudeur à qui on ne la fait pas aux héros américains prêt à donner sa vie pour une bonne cause. Derrière un film d’aventures enlevé et brillant, aux péripéties nombreuses, Le Défilé de la mort passionne par son regard espiègle et ambigu sur ce trio amoureux pris dans l’enfer de la guerre. Allan Ladd, impassible, se montre comme d’habitude monolithique, malgré l’évolution de son personnage. En revanche, Loretta Young et surtout William Bendix, tout en nuances, composent des personnages très attachants.
Petite production tournée avec un budget réduit, Le Défilé de la mort est une excellente série B, nerveuse et efficace, qui se distingue du tout-venant par les qualités d’écriture d’une histoire conservatrice en amont et surtout par la mise en scène ingénieuse de John Farrow, certainement l’un des grands formalistes hollywoodiens des années 40-50. Il suffit pour cela d’admirer le plan séquence d’ouverture, immersion physique au cœur du combat. La caméra, mobile, dessine un espace topographique d’une grande lisibilité. D’ailleurs, dès qu’il en a l’occasion, le réalisateur joue sur la durée des plans, entraînant chez lui non pas une baisse de rythme, mais une véritable intensité narrative et visuelle. En moins de 80 min, le cinéaste prouve ses capacités d’adaptation pour une œuvre de commande d’un intérêt relatif sur le papier, mais qui brille de tous ses éclats à l’écran.
Présenté dans une très belle copie, valorisant un noir et blanc âpre, proche de l’image documentaire, le film sort chez Elephant avec un autre long métrage de John Farrow, Meurtre à Calcutta, bon film noir qui pâtit malheureusement d’un scénario médiocre. En bonus, Laurent Aknin propose une intéressante analyse du film.
(USA-1942) de John Farrow avec Allan Ladd, loretta Young, William Bendix
Combo DVD/Blu-Ray édité par Elephant Film
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