Disons-le tout net, pour bien des raisons, on attendait pas grand-chose de ce Lords of Chaos, d’une part on avoue être totalement étranger à la culture du black metal et donc complètement néophyte, inculte dans ce domaine, d’autre part ce projet inspiré par l’ouvrage Black Metal Satanique : les Seigneurs du Chaos de Michael Moynihan et Didrik Søderlind, un temps affilié à Sono Sion, atterrit entre les mains beaucoup moins rassurantes de Jonas Åkerlund (Les Cavaliers de l’Apocalypse ou plus récemment Polar avec Mads Mikkelsen sorti sur Netflix,…). Faisons tout de suite notre mea culpa, on comprend très rapidement que les débuts du black metal en Norvège et les faits-divers d’une violence inouïe qui les entourent constituent une évidente matière cinématographique, aux antipodes de biopics musicaux lisses dont les derniers avatars s’intitulent Rocktman et Bohemian Rhapsody. Ensuite, si le réalisateur n’avait jusqu’à lors pas marqué les esprits au cinéma, c’était oublier un fait loin d’être anodin, son passé de batteur pour le groupe suédois Bathory, lui conférant une vraie connaissance du milieu et son passif de réalisateur de clip, on lui doit notamment celui de Smack My Bitch Up de The Prodigy. À l’instar d’un F. Gary Gray comme un poisson dans l’eau au moment de conter les débuts de NWA avec Straight Outta Compton (son meilleur film), Jonas Åkerlund est dans son élément pour nous replonger dans une Norvège à la fin des années 80 où le calme et la tranquillité apparentes s’apprêtent à être violemment perturbés avec l’arrivée des formations Mayhem et Burzum, lesquelles vont venir secouer la paisible social-démocratie avec leur musique diabolique et une généreuse portion de crime…
Le carton d’ouverture « Based on truth… lies… and what actually happened » rapidement suivi par une introduction accompagnée par la voix pleine d’ironie de celui qui sera le protagoniste du récit, Øystein Aarseth alias Euronymous (campé le très convaincant Rory Culkin, vu autrefois dans Signes de M.Night Shyamalan), donne le ton. Lords of Chaos se plaît à reprendre les codes du biopic classique pour mieux les envoyer valser, en y injectant une bonne grosse dose de mauvais esprit réjouissant. Brève présentation d’une Norvège dépeinte comme très religieuse, raillée pour ses traditions datées, avec comme point d’orgue la mise en avant de son taux de suicide très élevé telle la preuve absolue de l’apathie du pays. Le black metal norvégien naît dans ce contexte calme et prudent (pour ne pas dire prude), comme une réponse virulente à un climat tristement normal et archaïque. Une réaction exacerbée par la fascination pour la violence que nourrissent les personnages et leur appétit pour la provocation qui outrepasse plus d’une fois les limites du bon goût et de la décence. Jonas Åkerlund trouve le bon équilibre pour dépeindre cette jeunesse immature et novatrice, d’une part en restituant une imagerie sombre et violente à laquelle il donne sans mal un impact cinématographique, mais aussi par le ton qu’il adopte à la fois moqueur, critique et inquiet. Jouant régulièrement sur le décalage entre ce que nous présente l’image et ce que nous raconte la voix-off, le réalisateur n’hésite pas à railler la bêtise et au fond la vacuité de la démarche, tout en contant l’ascension à échelle underground de Mayhem. L’histoire du groupe connaît deux tournants, basculant alors vers l’horreur puis la rubrique faits-divers, la mort extrême de son chanteur Pelle alias « Dead » dans un suicide sanglant (dont l’un des clichés sera par la suite réutilisé comme pochette d’album) et l’entrée en scène du très dérangé et très dérangeant (pour ne pas dire l’infâme) Varg Vikarnes alias Burzum, bientôt l’auteur de plusieurs incendies d’églises faisant grand bruit dans tous le pays.
Le film se recentre progressivement autour de la rivalité grandissante entre les deux têtes d’affiche du groupe. Le leader Euronymous se transformant en gourou inconscient tentant de conserver sa position dominante, bien qu’impuissant face aux agissements d’un Varg de plus en plus dangereux et incontrôlable. Escalade de provocations et de violences, ayant pour effet pervers de propulser le groupe à un niveau supérieur de notoriété tout en reléguant la musique au second plan et emmenant tout ce beau monde vers une spirale criminelle qui connaîtra son point de non retour dans le climax final. Il faut concéder à Lords of Chaos, la vertu de raconter sans l’édulcorer, une histoire à peine croyable et proprement hallucinante, en flirtant parfois avec les limites du supportable tant sur le plan graphique (certaines séquences sont particulièrement violentes) que le plan psychologique (on a affaire à une bande de crétins particulièrement gratinée). On pourrait chipoter en reprochant au réalisateur de ne pas forcément creuser en profondeur son récit autant qu’il le mériterait, de trop rester à la surface de celui-ci, préférant à l’inverse aller à fond dans sa dimension trash, quitte à paraître par instants fasciné par le déluge de violence gratuite observé. Mais en définitive, on se refuse à faire la fine bouche face à un biopic mal élevé et sans limites, un cocktail à la fois jubilatoire et effrayant, à même d’intéresser initiés et non-initiés.
[Article publié une première fois à l’occasion de la première partie du CR de l’édition 2019 des Hallucinations Collectives]
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