Au beau milieu du bouillonnement hormonal d’un lycée américain, Mandy Lane semble flotter, au dessus de la mêlée, irradiant de sa présence le couloir qu’elle traverse. Des minets libidineux multipliant les paroles graveleuses aux bonnes copines minaudeuses et émoustillées se rhabillant dans les vestiaires en s’envoyant des piques, tous la regardent, subjugués par sa beauté et fascinés par sa différence. Si chaque garçon entre en compétion pour l’entrainer dans son lit, Mandy Lane ne semble pas appartenir à cette réalité, détachée. Elle ne participe pas aux conversations, écoute silencieusement, discrète, avec un regard qu’on imagine distancié, critique et rêveur. Tous les principes du slasher semblent respectés : une jeune et belle héroïne innocente typique, des ados qui veulent s’envoyer en l’air et se retrouvent coincés un week-end dans un lieu au milieu de nulle part avec un meurtrier qui rode. Pourtant, malgré son titre écrit en lettres de sang, All the boys love Mandy Lane est un film de genre qui n’en est pas vraiment un, s’orientant très rapidement vers l’étude de mœurs, et évoquant moins un Vendredi 13 qu’un Donnie Darko ou Virgin Suicides. Jonathan Levine ne se laisse que peu porter par la nostalgie et le référentiel, révélant d’ailleurs assez rapidement l’identité du meurtrier, se débarrassant de la plupart des effets de surprise attendus, et restant dans l’ensemble plutôt elliptique au niveau violence graphique. Non, l’intérêt est ailleurs, car All the boys love Mandy Lane s’affirme avant tout comme un portrait désabusé de la jeunesse, de sa détresse et du vide dans lequel elle est plongée, la tension psychologique entre les protagonistes y étant d’ailleurs nettement plus anxiogène que le suspense horrifique.
Si l’élaboration des personnages obéit pleinement aux règles du slasher, c’est pour mieux y décrypter les rouages d’un mécanisme social bien réel. Jonathan Levine se soucie moins de respecter le genre que d’étudier ses résonnances dans la réalité, comme si le poncif cinématographique se métamorphosait en modèle identitaire. Les héros de All the boys love Mandy Lane sont des archétypes ambulants, construisant leur personnalité selon des modèles prédéfinis, prédéterminés, le cliché devenant leur réalité, et le challenge constituant à ressembler le plus à l’autre et à se fondre le mieux dans la masse. L’introversion de Mandy la préserve. Les fêlures, la pureté et l’excès de lucidité lui servent d’armure tout autant qu’ils la marginalisent. Mais la beauté étant reine au royaume de l’apparence, son physique avantageux lui donne un avantage, fascine et hypnotise. Avec un physique ingrat, elle aurait juste été mise de côté. Superbe, elle suscite toujours convoitise et perplexité. La caméra épouse le regard avide des personnages, collant littéralement à la peau d’Amber Heard qui incarne de façon envoûtante cette dualité. Par l’entremise de son héroïne Jonathan Levine interroge la façon de se construire une identité, de conserver son altérité au sein du groupe.
D’emblée, le cadre de All the boys love Mandy Lane apparaît comme un espace d’oppression, une micro société avec ses règles strictes, « totalitaires », qui ne supporte pas d’écart et rejette le moindre vilain petit canard hors de la basse cour. L’insertion dans la collectivité annihile l’être au sein d’une entité, régie par un inventaire de traditions imposées apparentées à des performances sportives, sexuelles, festives. Se faire passer des joints, boire de l’alcool, se faire des lignes, faire l’amour comme tout le monde au même moment, pour « être », constitue à la fois une règle et une posture qu’il convient de respecter et d’appliquer si l’on ne veut pas être mis au ban de cette communauté. Dans cette course au signe de reconnaissance, désirs refoulés et frustrations explosent, la crudité des mots constituant un défi permanent, dans une légèreté outrageusement affichée, qui travestit l’oppression et l’aliénation. Ce sont ces mêmes ingrédients caractéristiques des teen-movies reposant sur le gag régressif, l’humour vulgaire qu’emploie All the boys love Mandy Lane pour leur faire subir un traitement plus critique et amer, comme si derrière la légèreté d’un American Pie pouvait percer le sort que l’Amérique réservait à sa jeunesse.
Jonathan Levine possède un sens du rythme indéniable, sait provoquer et gérer la tension subtilement, que ce soit dans l’illustration des rapports sociaux ou dans l’accélération vers l’épouvante, jusqu’à son essoufflante résolution. All the boys love Mandy Lane est en outre plongé dans une photo volontairement surexposée, semblant presque brûler la pellicule, accentuant cette sensation de moiteur. Malgré quelques tics de montage superflus, la mise en scène – que soutient un somptueux cinémascope – exploite à merveille la solitude et l’immensité étouffante des lieux, soulignée par une bande son génératrice de climats, qui va du « Do Ya » des Peaches au concerto pour Piano No. 5 de Beethoven en passant par la formidable utilisation du Sealed with a kiss de Brian Hyland sur le final, les paroles venant se calquer ironiquement sur l’image. Sans jamais pour autant renoncer à l’efficacité du divertissement, All The Boys Love Mandy Lane impose subtilement, discrètement, son point de vue … et sa force transgressive.
All the Boys love Mandy Lane (USA, 2006) de Jonathan Levine, avec Amber Heard, Anson Mount, Michael Welch, Luke Grimes.
DVD et Blu ray sortis édités par Wild Side.
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peter hooper
C’est donc par le hasard de ton commentaire sous un post avec ton lien que je découvre d’abord cette très bonne chronique de « all the boys… » , très beau et très pertinent papier .
j’ai eu la même lecture , mais force et de reconnaitre que ta plume faconde et brillamment inspirée surligne d’autant mieux la poésie de ce petit bijou …
Du coup je reviendrai le plus régulièrement possible lire , et éventuellement commenter .
Encore félicitation pour la qualité de ton blog et de ta syntaxe , qui honore le cinéma et …la langue française !
Peter Hooper – pour ma page FB cinéma dédiée au genre
ingloriuscritik -pour celle consacrée a l’horreur et ses sous -genres .