© ESC Distribution

Les amateurs de cinéma d’horreur vont être sur un petit nuage car les éditions ESC (en collaboration avec la chaîne Shadows) ont mis les petits plats dans les grands pour ressortir le diptyque mythique de Jörg Buttgereit Nekromantik (1 et 2). On appréciera d’ailleurs l’ironie de l’histoire si l’on songe qu’à l’origine, le premier film fut bricolé en Super 8, avec les moyens du bord, par un jeune cinéaste qui n’avait pas encore 25 ans. Il bénéficie désormais de l’écrin luxueux d’un coffret offrant aux spectateurs contemporains de nombreux suppléments (entretiens, commentaires sur les films, reportages d’époque…), des versions alternatives : la version gonflée en 35 mm dite « grindhouse » ou, pour les plus indécrottables nostalgiques (un brin masochistes malgré tout), les versions VHS des deux œuvres. Le tout accompagné par un copieux livret signé Marc Toullec, des affiches, des cartes postales et tout le « packaging » (pour employer un mot atroce) adéquat au collectionneur fétichiste.

« Fétichisme » : le mot convient parfaitement aux deux films de Buttgereit qui montrent de manière frontale une perversion très peu traitée au cinéma : la nécrophilie. Dans un passionnant entretien croisé, Jean-François Rauger et Philippe Rouyer évoquent les quelques films classiques qui abordèrent la question soit sous une forme métaphorique (Vertigo d’Hitchcock demeurant le sommet du genre), soit sous une forme plus directe dans le cinéma gothique italien (L’Effroyable Secret du docteur Hichcock de Freda, Lisa et le diable de Bava) et ses successeurs lointains (le beau Blue Holocaust de Joe d’Amato). Philippe Rouyer cite également, à juste titre, la fausse cérémonie mortuaire de Belle de jour de Buñuel mais on aurait pu ajouter le plus explicite finale des Hauts de Hurlevent du même Buñuel.

Nekromantik met en scène un jeune homme qui travaille comme « nettoyeur ». Chargé par sa société de récupérer les cadavres, il en profite pour en voler certains et collectionne des organes qu’il range méticuleusement dans des bocaux de formol. Sa petite amie partage sa passion pour les morts et la découverte d’un cadavre relativement frais leur donnera l’occasion de se livrer à des jeux érotiques pas piqués des hannetons…

Dans la présentation express du film, Jörg Buttgereit explique que la censure allemande était alors extrêmement vétilleuse et qu’il a tourné ce film comme un défi. Cette volonté de choquer est plutôt efficace dans la mesure où le film ne recule jamais devant les visions horrifiques les plus extrêmes. Dans la lignée du gore popularisé par Hershell Gordon Lewis et anticipant sur le Bad Taste de Peter Jackson (un homme, la tête à moitié coupée avec une pelle, y fait songer), le cinéaste se permet tous les excès : corps démembrés, tête tranchée. Il mêle surtout, avec un rare aplomb, éros et thanatos puisque le couple n’hésite pas à faire l’amour avec un cadavre. Buttgereit use alors d’une forme quasiment expérimentale pour filmer ces ébats : ralentis, mouvements décomposés et s’attarde de manière peu ragoutante sur les baisers, les humeurs qui s’échappent de ce corps en putréfaction… C’est Jean-François Rauger qui emploie d’ailleurs le mot « expérimental », jugeant que le film appartient davantage à ce registre plutôt qu’à celui du cinéma horrifique. A mon sens, cette remarque vaut plus pour certains films postérieurs du cinéaste, comme l’étonnant Schramm (1993), que pour Nekromantik encore marqué par un côté potache qui affaiblit un brin le propos du film. Entendons-nous bien : le film n’est pas délibérément parodique (comme le seront beaucoup de films gore) mais sa volonté ostensible de provoquer s’avère parfois un peu puérile.

On notera quand même un désir de se démarquer du genre qui apparaît visiblement lors de la séquence où le héros, largué par sa petite amie, se rend dans une salle de cinéma pour regarder un slasher. Tandis que le public semble se régaler devant ce film banal et routinier (que Buttgereit a tourné lui-même), notre « héros » s’ennuie et finit par partir. On retrouvera une scène de ce même genre dans Nekromantik 2 mais cette fois, le film incriminé sera une improbable chronique où un couple, nu sur son balcon, converse banalement (en fait, la femme subit un interminable exposé de son mari sur les oiseaux !). Chez Buttgereit, il y a une volonté de se démarquer de ce type de films, de donner une autre dimension à l’horreur (ou au couple), d’explorer les recoins les plus tordus de l’âme humaine. La scène finale (attention, je vais la dévoiler), totalement givrée, témoigne de ce désir de mêler l’amour passionnel à la violence la plus viscérale. Couché sur son lit, le héros se suicide à coups de couteau dans le ventre, éjaculant au même moment des litres de sperme et de sang. Si on passe outre le côté très grand-guignolesque du passage, on réalise que l’œuvre du cinéaste tient sans doute dans cette fascination (érotique) pour la mort.

Amour et mort sont d’ailleurs déjà au menu de Hot Love (1985), un court-métrage que l’on trouvera en supplément des disques. Toute la première partie est une sorte de pastiche des comédies romantiques. Un jeune homme tombe éperdument amoureux d’une jeune femme et nos deux tourtereaux coulent des jours heureux : promenades, bécots sur les bancs publics, jeux complices (l’inévitable scène de balançoire) et petits cadeaux. Le garçon va même jusqu’à offrir un bibelot en forme de cœur avec l’inscription « donne-moi ton cœur ». Mais lorsqu’il surprend sa fiancée au bras d’un autre homme (Buttgereit en personne), il n’aura plus qu’une idée : se venger. Le cinéaste prend alors l’expression « donner son cœur » au sens propre le temps d’une séquence finale très grand-guignolesque (accouchement dégueulasse, bébé qui vomit une sorte de crème chantilly et massacre sanguinolent).

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Face au succès de Nekromantik, Buttgereit se voit plus ou moins contraint de tourner une suite. Suite qui décevra à la fois les amateurs du premier opus (l’horreur cédant plus la place à une histoire d’amour contre-nature) et vaudra au cinéaste de graves ennuis puisqu’il sera menacé de la prison pour « glorification de la violence ». Au procès, un historien du cinéma parviendra à démontrer que Nekromantik 2 relève avant tout d’une expression artistique et de la liberté de création. Le film débute là où le premier s’achevait : une jeune femme dans un cimetière, armée d’une pelle pour déterrer le cadavre du héros tout juste décédé après s’être ouvert le ventre avec un couteau. Notre jeune nécrophile ramène tant bien que mal le corps chez elle et se livre à des jeux érotiques peu ragoûtants (la fétichiste elle-même est prise d’un haut-le-cœur et doit procéder à des ablutions plus poussées sur la personne de son amoureux).

Par la suite, elle rencontre un jeune homme qui double des films pornos (ces scènes de doublage sont assez drôles) et, comme dans Hot Love, les deux deviennent vite amants. Buttgereit joue alors plus sur le registre de la comédie sentimentale, ponctuant son récit de quelques scènes éprouvantes. En effet, devant cette nouvelle situation, la jeune femme doit se débarrasser de son cadavre et entreprend de le scier dans sa baignoire. Le démembrement est particulièrement répugnant (il y a toujours des tendons ou des muscles qui empêchent de réaliser un travail propre !) et notre héroïne, toujours très sentimentale, fait le choix de conserver au frais la tête de son ancien amant…et son sexe !

Si Buttgereit bénéficie cette fois de plus de moyens (le film est tourné en 16 mm) et qu’il peut ainsi soigner un peu plus la facture de son œuvre (on a un peu moins l’impression de voir un film bricolé par Norbert Moutier), il n’en demeure pas moins que Nekromantik 2 s’avère assez lâche dans sa narration (avec ses 1h44, le film est un peu long) et qu’il manque parfois de cohérence. Ainsi, si le jeune homme manifeste sa surprise devant certains comportements de sa maîtresse (qui le photographie nu, attaché par les pieds et suspendu au plafond comme une poupée de Hans Bellmer), il ne semble pas s’offusquer de trouver au frigo un sexe en décomposition…

Chez Buttgereit cohabite en effet un vrai sens du cinéma mais un côté (encore) trop potache qui désamorce ce que le film pourrait avoir d’intéressant (du côté de la psyché malade de l’individu). Cette provocation gratuite, on la retrouve dans deux séquences similaires des deux films et qui les rattachent à la tradition du « mondo » (ces documentaires sensationnalistes plus ou moins bidonnés sur des faits insolites, violents ou érotiques à travers le monde). Il s’agit des morts réelles d’animaux. Fort heureusement, les bestioles n’ont pas été mises à mort pour le film (comme dans Cannibal Holocaust de Deodato) mais elles visent uniquement à apporter une certaine « authenticité » aux horreurs qu’on verra par ailleurs. Dans Nekromantik, le cinéaste est allé voir un fermier et on assiste à la mise à mort puis au dépeçage d’un lapin. Dans Nekromantik 2, l’héroïne a invité ses copines pour une soirée cassette. Alors que trône pas loin d’elle la tête décapitée, l’assemblée contemple avec avidité un documentaire présentant l’équarrissage d’un phoque. Trop longues, trop complaisantes, ces séquences témoignent de cette volonté un peu puérile de choquer à tout prix et n’apportent pas grand-chose aux récits.

La séquence du phoque annonce néanmoins la scène finale du film, là encore très gore et clou du spectacle monstrueux pour les amateurs de sensations extrêmes.

Si Nekromantik est LE film qui valut à Buttgereit une renommée immédiate, on peut néanmoins se demander si ses autres films (Der Todesking, Schramm) ne sont pas plus intéressants et aboutis. Dans Schramm, par exemple, le cinéaste dresse le portrait hallucinant d’un tueur en série. Entre Angst de Kargl et Seul contre tous de Noé (soulignons que le cinéaste a été fort influencé par Buttgereit), il parvient avec ce film à trouver un juste équilibre entre l’horreur extrême (certaines scènes sont très, très éprouvantes) et une forme purement mentale, sans provocation potache.

Peut-être un titre à ressortir en DVD/BR pour un éditeur courageux…

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Nekromantik (1987) & Nekromantik 2 (1991)

Réalisation : Jörg Buttgereit

Éditions : ESC distribution

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A propos de Vincent ROUSSEL

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