Véritable stakhanoviste de la télévision, Joseph Sargent débute comme acteur au cours des années 50 et passe à la réalisation en fin de décennie. Il prend part à diverses séries cultes telles que Lassie, Les Envahisseurs, Star Trek, Le Fugitif ou Des Agents très spéciaux pour ne citer que les plus connues. Certains de ses travaux autour des aventures de Napoleon Solo et Illya Kouriakine, auront même l’honneur du grand écran. Un Espion de trop en 1966 et L’Espion au chapeau vert en 1967, sont respectivement les versions longues (ajouts de plans, dialogues, séquences) d’épisodes au préalable diffusé en deux parties, The Concrète Overcoat Affair et Alexander the Greater Affair. Il met également en scène une multitudes de téléfilms, qui lui vaudront de nombreuses nominations aux Emmy Awards (il est primé à quatre reprises entre 1973 et 1992). Cette intense productivité ne l’empêche pas de s’exercer en parallèle pour le cinéma, dès 1959 avec le drame à petit budget Street Fighter, puis plus régulièrement durant les seventies, où il signe ses longs-métrages les plus connus et reconnus, naviguant entre les genres au gré des opportunités. Il s’essaie notamment à l’anticipation sur Colussus : The Forbin Project (Le Cerveau d’acier en VF), au thriller redneck (mâtiné de drame et de comédie) avec Les Bootleggers et enfin, au polar urbain en transposant le best-seller de John Godey, Les Pirates du Métro en 1974. Un roman datant de 1973 publié en France sous le titre Arrêt prolongé sur Park avenue, puis Main mise sur le métro lors d’une deuxième édition, avant devenir en 1975, Les Pirates du Métro suite au succès du film. La Palomar Pictures acquiert les droits d’adaptation de l’ouvrage contre un demi million de dollars et songe d’abord à embaucher Steven Spielberg (déjà approché auparavant sur Les Bootleggers) à la réalisation, mais Universal retient son talent qui tournera finalement Les Dents de la Mer. Ils optent finalement pour le profil de Joseph Sargent, qui présente l’atout non négligeable d’être peu onéreux en plus de jouir d’une réputation de grand professionnel. Brève digression, il est amusant de constater que la carrière cinématographique de ce dernier s’est achevée en 1987 sur Les Dents de la Mer 4. Le scénariste et dramaturge Peter Stone, récompensé aux Oscars grâce à son script du Grand méchant loup appelle en 1965, auteur de Charade et Arabesque de Stanley Donen, se charge de l’écriture. Plusieurs pointures en devenir forment l’équipe technique : Owen Roizman à la photo (French Connection/L’Exorciste), Gerald Greenberg (Les Garçons de la bande/French Connection puis ultérieurement Apocalypse Now et Scarface) au montage (épaulé en route par Robert Lovett), David Shire (Conversation Secrète) à la bande-originale. La distribution solide mais sans réelles vedettes à l’exception de Walter Matthau, alors en plein changement de registre en ce début 70 (il sort de Tuez Charley Varick ! de Don Siegel et Le Flic ricanant de Stuart Rosenberg) après avoir plutôt marqué les esprits dans des comédies comme La Grande Combine de Billy Wilder qui lui valut un Oscar du meilleur second rôle. Joli succès en salles, acclamé par la critique, le film devient rapidement culte. Le livre de John Godey a droit à une deuxième adaptation (toujours co-écrite par Peter Stone) cette fois-ci à la télévision en 1988, Le Métro de l’angoisse, avec, entre autres, Vincent D’Onofrio et Donnie Wahlberg, puis une troisième en 2009 signée Tony Scott, L’Attaque du métro 123, porté par Denzel Washington et John Travolta, tenant davantage du remake modernisé (inspiration avouée du scénariste Brian Helgeland ayant repris le projet en route après de premières ébauches de David Koepp). Les Pirates du Métro version 1974, bénéficie surtout d’un hommage remarqué dans Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, lequel reprend à son compte une idée que l’on doit à Stone : des personnages qui usent de couleurs comme nom de code. En dépit de cette réputation extrêmement flatteuse, le métrage demeurait totalement inédit en haute-définition en France. Remercions donc Rimini Éditions de s’être attelé à la confection d’un digipack collector comprenant un Blu-Ray et deux DVD afin de permettre une (re)découverte optimale.
À New York, quatre hommes armés prennent en otage une rame du métro et demandent une rançon d’un million de dollars. Le lieutenant Zachary Garber (Walter Mattau), membre de la police du métro, est chargé de l’affaire. Un argument de départ simple et limpide, mis progressivement en place et ce, toujours en action. Le thème musical jazzy immédiatement entêtant accompagne les crédits du générique avant que le cadre ne soit instauré au cœur de « la ville qui ne dort jamais ». Un homme, lunettes sur les yeux, moustachu et chapeauté, descend du métro valise en main et monte dans un wagon. Un deuxième, accoutré de manière similaire, effectue le même mouvement à l’arrêt suivant, puis un troisième et enfin un quatrième, le chef de la bande, Mr. Blue. En parallèle, un agent débutant supervisé par un supérieur, rappelle succinctement les différentes procédures à suivre pour le bon fonctionnement du trajet et le confort des passagers. Une approche quasi documentaire de son métier et de son environnement de travail, se confronte en alternance avec les bases d’une intrigue à suspens. Une journée ordinaire amenée à basculer vers l’extraordinaire, Les Pirates du métro, se dessine ainsi intelligemment entre quotidienneté parfaitement retranscrite et accès de tension haletants. L’écriture précise et délestée de tout superflu de Peter Stone, oppose dialogues techniques mais authentiques à des détails aucunement anodins qu’enregistre discrètement la caméra de Joseph Sargent. Le rhume de Mr. Green révèle la nature de postiche de sa moustache, les regards dérangeants de Mr. Grey en direction d’une jeune femme, annoncent son comportement borderline. Les preneurs d’otages d’abord totalement silencieux, se fondent dans le paysage, jusqu’à ce que le leader, arme en main, d’un ton ferme et menaçant ne commence à mettre à exécution son plan et ne prenne le commandement du véhicule. En une économie de mots et de temps la situation initiale est posée. Changement de lieu lorsque débute une seconde exposition située à l’intérieur des bureaux de la police du métro new-yorkais. Introduction de l’antagoniste Zachary Garber, somnolant lors de sa première apparition à l’écran. Peu sympathique et suffisant, il inspire l’individu professionnel et expérimenté, théoriquement prêt à affronter tout type de contrariété. Il présente alors les locaux à un groupe de japonais, la séquence permet de se familiariser avec les lieux, ses tâches et ses différents collègues. Elle conforte également un mode opératoire de Joseph Sargent et Peter Stone : chaque scène, peu importe sa nature, doit toujours être active, il ne faut s’autoriser aucun répit. Le scénariste recours de nouveau à des dialogues factuels, lesquelles traduisent une recherche de vérité visant à rendre aussi crédibles que possible les événements à venir, nullement une solution de facilité. Le recensement lassé de cas d’alertes répétés (bombe, vols, agressions, meurtre, ébriété) donne l’impression d’un métier attentiste et répétitif. Une tranquillité bientôt bousculée car cette immersion au plus près d’un envers du décor méconnu s’effectue à un moment où le spectateur dispose d’un temps d’avance notable sur Garber. Il est en effet, invité à suivre de manière équivalente les deux principaux arcs narratifs et la prise d’otages a déjà débutée, lorsque les hommes de la MTA (Metropolitan Transportation Authority) découvrent une anomalie sur une de leurs lignes.
Les revendications de Mr. Blue ne se font dès lors plus attendre et ne souffrent d’aucune ambiguïté : 1 million de dollars en cash de la part de la mairie, dans une heure, chaque minute de retard entraînera la mort d’un otage. Ce face-à-face exclusivement audio et à distance entre les deux hommes, captive, les indices (un accent anglais) sont rares et précieux. Le compte à rebours, élément d’intensification immédiat de la tension, s’adjoint d’un traitement en quasi temps réel de l’action, accentuant un suspens déjà prenant. La moindre décision irréfléchie est susceptible d’entraîner des pertes civiles, quand un acte impulsif des preneurs d’otages peut mettre en péril le plan. Une sensation d’étroitesse et de claustrophobie affleure, chacun opère en lieu clos. Les allers-retours extérieurs sont brefs, ils se limitent à l’introduction d’un nouveau personnage ou le développement d’une péripétie annexe. Les quelques changements de tons que s’autorise le script, loin de désamorcer les enjeux, ne font finalement qu’accroître le caractère critique de la situation. En ce sens, la figure pathétique et proche du ressort comique que constitue le maire (malade et alité), génère davantage l’inquiétude que l’hilarité. De même, si le convoi de la rançon jusqu’au métro en un délai très serré, se pose en véritable climax, cela tient autant à son montage alternant différents points de vue (à commencer par les deux principaux), que la dimension spectaculaire inhérente la séquence. L’escalade que connaît Les Pirates du métro virant au film catastrophe à travers son dernier acte, s’interprète à la fois comme une relance de l’intrigue lorsqu’elle s’approche de sa résolution, mais aussi l’expression concrète de la mission suicide dans laquelle se sont lancés Mr. Blue, Mr Green, Mr. Grey et Mr. Brown. Des individus aux passés brièvement évoqués (un ancien mercenaire, un chauffeur licencié, un mafieux mis sur la touche…) jouant à quitte ou double, conscients des risques qu’ils encourent. Ils préfèrent perdre la vie que leur liberté. Outre son efficacité redoutable, la virtuosité du script de Peter Stone, émane de sa capacité à disséminer au compte goutte les informations pour ne jamais pénaliser la fluidité du récit et maintenir le spectateur en alerte jusqu’à l’ultime seconde, qui s’avèrera décisive. Rien n’est laissé au hasard, de la présence d’un policier en civil parmi les otages à celle d’une femme endormie tout du long se réveillant « après la guerre » offrant hilarité et décompression en une simple réplique. Joseph Sargent qui dispose d’une matière hautement qualitative, soutenu par les apports d’excellents techniciens, sait quant à lui à faire vivre ses décors (le format scope, suggestion d’Owen Roizman, permet d’épouser les formes des architectures, leur donner du relief) et ses individualités, fussent-ils au premier plan ou plus secondaires (chaque passager a le temps d’exister).
Divertissement haut de gamme et prototype parfait de grande série B, Les Pirates du métro se double de sous-textes tout sauf accessoires. Territoire de cinéma unique et alors prisé (French Connection, Taxi Driver, Death Wish), New York constitue ici un personnage à part entière. Ville surendettée et à l’abandon, observée ici majoritairement par ses sous-terrains, métaphore d’une métropole aux airs « d’égouts » comme le mentionne Jean-Baptiste Thoret dans les suppléments. La figure du maire, sorte de patin exécutant les suggestions de son adjoint sans la moindre vision, illustre une incapacité à prendre à bras le corps les nombreux problèmes en vigueur. S’il accepte de payer la rançon, c’est avant tout avec l’espoir de regagner en popularité, aucunement en vue d’un acte bienveillant à l’égard de ses concitoyens. Cet affrontement entre héros du quotidien et criminels somme toute banals (voir l’appartement totalement délabré de Mr. Green), traduit à sa manière un rêve américain à l’arrêt, où des hommes désespérés tentent un coup, faute de perspectives plus reluisantes. Au détour de répliques (que l’on entend dans la bouche de représentants des deux camps, sans distinction) ouvertement racistes, xénophobes ou misogynes, le film se fait l’écho d’une Amérique conservatrice confrontée à des bouleversements qu’elle peine à accepter ou véritablement digérer. Les stéréotypes et préjugés demeurent omniprésents, en dépit d’une réelle mixité palpable aussi bien à l’intérieur du métro qu’au sein des locaux de la MTA, significative en soi d’avancées sociales notables et de luttes payantes. Le regard a priori neutre de Joseph Sargent, embrasse la dimension partiellement documentaire de son script, plus qu’il n’exprime un désintérêt manifeste à l’endroit de ces questions. En ce sens, le long-métrage s’apprécie ainsi a posteriori telle la radiographie d’un paysage et d’une population, aujourd’hui complètement différents. L’Attaque du métro 123, le remake « moderne » de Tony Scott, outre se distinguer sur le plan du budget et marquer un changement total d’échelle (3,8 millions de dollars contre 100 en 2009) tendait à minorer ces à-côtés, limitant immanquablement sa portée et son impact. Le réalisateur de Man on Fire se démarquait pourtant visuellement de son modèle, en imposant une patte esthétique personnelle (désir de retranscrire une perception quasi sensorielle des environnements, propre à ses héros) et en stylisant au maximum ses images (tournées en argentique). Il se révélait nettement moins inspiré au moment de sonder son époque et moderniser le discours, malgré l’apparition de nombreuses nouvelles technologies et une sortie au cœur d’une violente crise économique, qu’il peinait à réellement traiter. The Taking of Pelham One Two Three version 1974, reste incontestablement la meilleure adaptation du roman de John Godey et une référence du polar urbain des années 70.
Pourvu d’un très beau visuel, le Digipack concocté par Rimini Éditions s’accompagne d’un master haute-définition irréprochable sur le plan de l’image et de plus de deux heures de suppléments. Jean-Baptiste Thoret qui intervient à travers deux d’entre eux, propose de passionnantes analyses, érudites et pertinentes. Dans le premier, New York 1974, il revient notamment en détails sur le parcours atypique et finalement méconnu de Joseph Sargent. Sur le second, il évoque la situation New-yorkaise et la façon dont celle-ci a grandement inspiré le cinéma de l’époque, ajoutant à l’équation un contexte de défiance généralisée consécutif à la révélation du Watergate et à la démission de Richard Nixon. Franck Brissard, rédacteur en chef du site homepopcorn.fr est également convié à deux reprises, il offre quelques informations et anecdotes complémentaires à celles de Thoret. Le film-annonce d’origine ainsi que trois entretiens avec des acteurs importants de l’aventure Les Pirates du métro complètent le programme. Le monteur Gerald Greenberg relate son expérience, il parle d’un montage en parallèle du tournage et de la nécessité d’images additionnelles afin de parvenir à un résultat convaincant. L’acteur Hector Elizondo, que le grand public identifie davantage pour ses apparitions ultérieures chez Garry Marshall (celui par exemple du directeur d’hôtel dans Pretty Woman), tenant ici un rôle très étonnant, se rappelle d’un film qui a considérablement bouleversé le cours de sa carrière, s’effectuant alors essentiellement sur les planches. Enfin, le compositeur David Shire parle sans langue de bois des difficultés qu’il a rencontré à la conception de la musique (sa peur de faire du « mauvais Lalo Schifrin ») avant de trouver le thème principal qu’il voulait « chaotique et ordonné ». Est-il utile de préciser que le « classique » de Joseph Sargent a désormais une édition à sa mesure ?
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