La vérité est là sous nos yeux, à décrypter, mais se dérobe toujours, comme la photo de Blow Up appliquée au monde. Zero Dark Thirty est fidèle au cinéma d’investigation, suivant méticuleusement chaque étape ayant conduit à l’assaut de la villa qui servait de forteresse à Ben Laden. Même si le suspense fonctionne alors qu’on en connaît l’issue, qu’il est difficile de ne pas s’identifier à la frénésie de cette quête, Kathryn Bigelow échappe au patriotisme, ne donne pas de leçon, tente d’être le plus neutre possible, de conserver une distance avec son sujet, quitte à se faire taxer d’ambiguë lorsqu’elle montre la torture des prisonniers par l’armée américaine pour obtenir des renseignements.
Dans ce mirage de la réalité Zero Dark Thirty définit le cinéma comme un art des interprétations et du simulacre. Il joue la carte de l’investigation comme un déguisement pour mieux cacher son vrai sujet : exceller dans son regard introspectif, pénétrer la sphère intime, à l’image de son héroïne se laissant avaler dans la spirale de l’enquête pour oublier son propre désespoir.
Si Zero Dark Thirty échappe finalement aux archétypes de la démonstration, c’est parce que sa beauté résulte plus encore de son portrait de femme. On connaît la capacité de Bigelow avec Blue Steel ou Strange Days à passionner par ses héroïnes. Elle observe un monde d’hommes soit directement par l’intermédiaire de ses héros virils bouffés par le désir d’adrénaline (Point Break, Démineurs) soit par le regard-cinéaste de ses héroïnes luttant pour se faire une place au sein du société masculine. On a longtemps voulu faire de Bigelow une cinéaste testostéronée et premier degré alors que sa vision inquiète et subtile explore les mécanismes sexuels appliqués au monde et à la société. En cela Zero Dark Thirty est peut-être son film le plus féminin et le plus mélancolique. Maya se fraie donc un chemin et s’affiche en tant qu’énergie – chaque héroïne de Bigelow devant pour s’affirmer trouver un substitut de membre viril – mais reste une solitaire à la vie désespérément vide, ratée, qui lui donne un but travers cette quête presque identitaire. Son silence à la question « mais as-tu des amis ? » est évoquant et pour ce qui est de sa sexualité, elle ne songe même pas à « baiser ». Lorsqu’elle reconnaît le corps de Ben Laden, on a la sensation qu’elle vient voir une dernière fois un membre de sa famille. Le cri de la victoire annoncée sur le cadavre du terroriste n’aura pas lieu, le film s’achevant sur un visage d’une profonde tristesse, sur un regard éteint dont on se demande s’il parviendra à renaître.
Superbe transfert, parvenant à restituer toutes les subtilités de la photo en particulier dans les scènes les plus sombres. Les pistes sonores sont particulièrement efficaces. Les suppléments – tous promotionnels – en plus d’être limités, sont particulièrement superficiels (et presque à éviter) pour un tel film, le rabaissant à une dimension plus banale. Tout n’y est que description factuelle et affirmation de reconstitution minutieuse des « événements tels qu’ils se sont déroulés ». Et ça n’est certainement pas ici que Kathryn Bigelow évoquera la singularité de son approche, se contentant de parler d’un hommage au travail minutieux d’investigation. Frustrant et trompeur. Contentons-nous de revoir l’un des meilleurs films de 2013 et d’y échafauder une réflexion par nos propre moyens…
Blu ray édité par Universal
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