Il fut un temps, pas si éloigné, où les adaptations de comics ne dominaient pas encore le système hollywoodien. Fin des années 1990, alors que Joel Schumacher vient de planter le dernier clou dans le cercueil de l’homme chauve-souris (pour un temps) avec le disco-kitsch Batman & Robin, Bryan Singer s’apprête, quant à lui, à donner naissance au premier film de super-héros nouvelle génération. X-Men et ses mutants tourmentés vont marqué d’une pierre blanche l’histoire du cinéma en imposant une vision mature et ancrée dans une réalité tangible. Pas encore clairement codifié, et encore moins formaté par le mastodonte Marvel / Disney, le genre suscite pourtant l’intérêt des studios, comme en témoigne la mise en chantier de budgets plus modestes tels que Blade ou encore Spawn. C’est dans ce contexte que le script de Mystery Men, adaptation par Neil Cuthbert de la bande-dessinée du même nom signée Bob Burden, tombe entre les mains de Lawrence Gordon. Le producteur souhaite tout d’abord en confier les rênes à Danny De Vito ou à Ben Stiller (auteur du mal-aimé Disjoncté trois ans auparavant), mais c’est le débutant Kinka Usher, jusqu’alors réalisateur de publicité, qui écope finalement du poste de metteur en scène. Le récit suit les aventures de trois apprentis héros : Roy dit Mr Furieux (Stiller), Eddie (William H. Macy), alias La Pelle, et enfin Jeffrey (Hank Azaria), surnommé Le Fakir Bleu. Ensemble ils tentent de combattre le crime à Champion City, malgré la présence du justicier-star Captain Amazing (Greg Kinnear). Quand ce dernier se fait kidnapper par son ennemi de toujours, Casanova Frankenstein (Geoffrey Rush), le trio saisit sa chance de se faire un nom… L’Atelier d’images redonne une seconde jeunesse au film en proposant un master Blu-Ray inédit, agrémenté de nombreux bonus revenant sur sa conception et sa réception pour le moins mitigée.
La séquence d’ouverture dévoile la mégalopole imaginaire en un long plan aérien aussi élégant que spectaculaire. À mi-chemin entre la Los Angeles futuriste de Blade Runner et la Gotham City peinturlurée par Schumacher, elle réunit à elle seule les innombrables références à la pop-culture qui émaillent le film. Ainsi, la double personnalité du milliardaire Lance Hunt / Captain Amazing (créé pour le long-métrage en lieu et place de Flaming Carrot, jugée « trop absurde » pour le cinéma) renvoie autant à la fortune de Bruce Wayne qu’à la métamorphose de Clark Kent en Superman (gag sur les lunettes compris). Nombreux sont les clins d’œil à l’univers des comic books, de la psychanalyste, acolyte de Casanova Frankenstein, développant une relation similaire à celle qu’entretient Harley Quinn avec le Joker (au jeu des comparaisons, Geoffrey Rush dans un numéro de cabotinage outrancier écrase évidemment l’insupportable Jared Leto), aux insultes désuètes proférées par Furieux, dignes du Robin de la série télévisée des années 1960. Jouant moins sur une corde méta adolescente que Deadpool, Mystery Men mise ainsi sur les connaissances du public de la mythologie geek, bien que cet univers soit alors loin d’avoir atteint son apogée et son hégémonie actuelle. Ainsi, si le roman graphique de Burden avait eu le temps de digérer les bases posées par les auteurs fondamentaux, de Bill Finger à Alan Moore, en passant par Jack Kirby, le long-métrage, lui, est arrivé plusieurs années avant que les spectateurs aient pu assimiler les codes du genre sur grand écran. En résulte une sorte d’œuvre pour initiés, ce qui explique probablement son échec au bof-office mais également son statut culte acquis au fil des ans. Plus comédie bon-enfant avec des super-héros que véritable parodie (comme l’est la trilogie Austin Powers vis-à-vis des films d’espionnage 60’s), ce dernier est finalement précurseur de certains passages obligés, à l’image du générique préfigurant les superbes crédits de X-Men ou de Spider-Man. Fort de dialogues efficaces (comme ce débat au sujet de l’emploi du pluriel du terme « némésis ») et d’hommages discrets (Casanova scandant un « Can you dig it ? » hérité des Warriors de Walter Hill), le film réussit son pari. Malgré certains défauts évidents (quelques longueurs, une bande-originale avare en thèmes musicaux marquants, et certains personnages survolés), il s’élève sans mal au-dessus des tentatives de pastiches lourds et scatos façon Seltzer et Friedberg, pour ne citer que leurs pires représentants.
Il est évident que Mystery Men n’est pas une réussite totale, la faute à un script paresseux signé du scénariste d’Hocus Pocus et de Pluto Nash (comédie de SF désolante avec Eddie Murphy), ou à certains effets quelque peu datés. Pourtant, Kinka Usher y apporte une réelle créativité formelle. Il use d’une caméra très mobile lors des séquences d’action, multiplie les plans décadrés, et apporte même son lot de trouvailles visuelles amusantes (comme cet objet jeté à la face du spectateur, qui « brise » l’objectif), aidé en cela par Stephen H. Burum, chef op attitré de Brian De Palma (à l’œuvre sur Les Incorruptibles et L’Impasse, notamment). Armé d’une tendresse sincère pour ses personnages principaux, qu’il introduit les uns après les autres au cœur de leurs vies quotidiennes, il met ainsi à jour leur statut de héros prolo. Vivant dans les bas-fonds de Champion City, dont le nom évoque à lui seul les excès du culte de la réussite de l’american dream, ils en sont les laissés-pour-compte. La Pelle, simple ouvrier du bâtiment, vit avec sa femme et ses enfants dans un lotissement en périphérie, Le Fakir Bleu habite chez sa mère, quant à Furieux, il ne cesse de se faire renvoyer de la casse automobile dans laquelle il travaille. Une bande de beautiful losers que n’auraient pas reniés les frères Farrelly (qui venaient alors de révéler Ben Stiller au grand public, grâce à Mary à tout prix), et qui, au travers des nombreuses scènes coupées présentes en bonus, se voit étoffée au gré d’intrigues secondaires absentes du montage ciné. À l’autre extrémité du spectre social, se trouve Captain Amazing, justicier milliardaire au sourire ultra-bright et au costume bardé de sponsors, sorte de croisement entre le sportif vedette et la star hollywoodienne, il préfigure le cynique Homelander de la très bonne série The Boys. Loin du boy-scout altruiste et bienveillant tel qu’il se présente dans des publicités télévisées, ce dernier n’hésite pas à libérer son pire ennemi en vue de l’arrêter et de faire ainsi monter sa côte de popularité en berne. Une démarche en tout point opposée à la vie d’Invisible Boy (Kel Mitchell), adolescent attachant, persuadé de pouvoir disparaître à la vue d’autrui tant personne ne semble lui prêter attention. Un véritable spleen (pseudonyme de l’hilarant pétomane interprété par Paul « Pee Wee » Reubens) se dégage par instants, créant un décalage avec l’approche très cour de récréation, voulue par le cinéaste. Au milieu de fastueux décors « en dur », une flopée de caméos de visages familiers (le rappeur Pras, membre des Fugees, Eddie Izzard, Michael Bay, l’humoriste Dane Cook ou encore Doug Jones, mime et acteur fétiche de Guillermo Del Toro), le réalisateur donne à l’ensemble les atours de grand carnaval bon enfant. Loin des excès gores et puérils de Kick-Ass, le long-métrage exclut sciemment toute violence. Ici les armes ne tuent pas, l’équipe d’apprentis sauveurs joue à avoir des pouvoirs, et le Dr Heller (Tom Waits), qui vit dans une fête foraine abandonnée, fabrique des objets « non mortels » afin de les aider dans leur quête. Se dégage du métrage, une légèreté et un plaisir évident de gags potaches, de cascades et de combats gentiment spectaculaires au cœur d’une cité de comic book, le tout dans un esprit purement 90’s. Il n’en faut pas plus pour faire de Mystery Men un film, certes inégal et imparfait (la faute aux nombreuses coupes imposées par le studio, sur lesquelles Usher revient en détail dans l’une des nombreuses interviews présentes en bonus) mais foncièrement sympathique. Tout l’inverse des blockbusters fades et interchangeables dont Hollywood inonde les multiplexes à une cadence infernale depuis plus de dix ans en somme.
Disponible en Steelbook Combo Blu-Ray / DVD chez L’Atelier d’images.
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