Affaibli par une forte fièvre, Petrov est entraîné par son ami Igor dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d’enfance de Petrov resurgissent et se confondent avec le présent…

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Le motif de l’enfièvrement, comme thème et comme élément d’une mise en scène radicale, vigoureusement exubérante, était sans doute toujours déjà présent dans les films précédents du cinéaste russe Kirill Serebrennikov – actuellement sous le coup d’une interdiction de voyager suite à des procédures judiciaires sous des chefs d’accusation qui ressemblent beaucoup à de commodes prétextes –, mais en adaptant l’hallucinatoire roman Les Petrov, la grippe, etc. d’Alexeï Salnikov, où un présent grotesque est embrumé tantôt par des visions souvent violentes alimentées par différentes substances, tantôt par des fragments d’un passé mi-idyllique, mi-ambigu qui remonte aux temps de l’URSS, le réalisateur largue complètement les amarres d’une certaine linéarité narrative encore présente dans L’Adultère (2012) ou Le Disciple (2016) et même dans le superbe Leto dédié à Victor Tsoi du groupe Kino, en compétition à Cannes, où en revanche, le metteur en scène conquérait formellement la liberté qui lui était niée physiquement en ajoutant sur les images en noir en blanc des couleurs, des textes, des notes, des procédés qu’on retrouve ici, multipliés par dix..

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Le début de La Fièvre de Petrov, dans un absurde tramway nommé baston débordant de fêtards pailletés tandis que le héros, Petrov, mécanicien et dessinateur de BD, crache méchamment ses poumons, donne une idée du film qu’aurait pu faire un Boulgakov sous kétamine en sortant d’une projection de Donbass de Loznitsa. L’ensemble de ce long-métrage de plus de deux heures tout de même exige pour être pleinement apprécié de se défaire de tous schémas et attentes et d’accepter de prendre en pleine poire sa démence généralisée, russe jusqu’au trognon, en se laissant porter par une « intrigue » qui repose en grande partie sur la consommation de comprimés de paracétamol de 1977 et sur une pulsion de rebellion explosive qui a troqué tout reliquat de rêverie révolutionnaire changeuse pour un nihilisme désabusé sans retour (enfin, dans un film où les macchabées quittent inopinément leur cercueil imbibés de vapeurs de vodka, tout est possible, à vrai dire, et l’amour a aussi sa place ici, alors peut-être que tout n’est pas perdu).

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Visuellement, même combat, dans le contenu et la composition des images (on voit ici de faux animaux géants et autres déguisements fous, des exécutions à la kalach, une bibliothécaire guindée dont on sait, quand ses yeux se remplissent d’encre, que des scènes meurtrières désinhibées suivront où une souplesse à la Bruce Lee sera allégrement mise au service de pulsions sanguinaires vite expédiées façon grand carnaval digne d’un Dario Argento) comme dans leur texture (le grain varie, on passe de la couleur à un noir et blanc nostalgique assez pur, des OVNI au crayon viennent se poser sur la pellicule…). Le tout est accompagné de puissantes musiques qui elles aussi vont de l’accordéon au gros metal bien bourrin. Indéniablement, il faut avoir le surréalisme bien accroché pour renoncer à comprendre et se laisser embarquer, mais l’opulence insurrectionnelle décomplexée de La Fièvre de Petrov insuffle dans un contexte rance une fraîcheur aussi contagieuse que cette toux persistante qu’on entend tout du long.

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A propos de Bénédicte Prot

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