Doté d’un profil atypique, Kirill Sokolov ne se destinait pas à une carrière de cinéaste. Diplômé d’un master en physique et technologie des nanostructures, c’est d’abord pour le plaisir qu’il tourne ses premiers courts-métrages avec des amis. Admirateur de Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Sergio Leone et Park Chan-wook, ces premiers pas de réalisateur sont autant empreints de violence que d’une ironie désespérée toute slave. Logiquement remarqué, le jeune homme (il est né en 1989) se voit offrir la possibilité de mettre en scène son premier long : Why Don’t you just Die ?. Auréolé d’un succès certain dans tous les festivals qu’il a écumé (Sitges, PIFFF), et désormais disponible en VOD grâce à Wild Side, ce dernier conte l’histoire de Matvey (Alexandr Kuznetsov) qui, marteau en main, décide d’en découdre avec Andrey (Vitaliy Khaev), le père de sa petite amie…
Dès la longue séquence pré-générique, Sokolov fait montre de son savoir-faire formel, multipliant les gros plans cartoonesques (dans un style proche des comédies d’Albert Dupontel comme Enfermés dehors par exemple) mais n’usant pas du traditionnel montage épileptique tant redouté. Au contraire, il laisse le temps à la tension de s’installer lentement, jusqu’à une première explosion de violence libératrice. S’ensuit un récit composé de flash-backs se concentrant sur chacun des personnages, révélant les raisons qui les ont menés jusqu’à ce salon à priori paisible. Un dispositif déconstruisant la chronologie classique, évidemment inspiré du découpage Tarantinesque à l’œuvre sur Reservoir Dogs ou Pulp Fiction. Là se situe le principal défaut de Why Don’t You Just Die ?, le réalisateur peine à se sortir de ses influences, à se les réapproprier, et multiplie les clins d’œil appuyés. Du marteau qu’utilise le héros comme arme, renvoyant inévitablement à une scène culte d’Old Boy, à un cri Wilhelm totalement hors sujet, en passant par la musique de l’un des climax directement copiée sur le thème de Pour une poignée de dollars, les emprunts sont grossiers, faciles. À ce titre, la bande originale est un parfait exemple du travail de mimétisme amusant, ludique, mais vain. Les utilisations de morceaux existants composés pour d’autres films ne sont pas un problème en soi, le réalisateur de Kill Bill en a fait l’une de ses marques de fabrique, et ce travail de « sample » aboutit chez lui à une réinvention de son matériau de base. Récemment, le très bon Battleship Island se permettait l’emploi de The Ecstasy of Gold d’Ennio Morricone pour un résultat poignant aux antipodes de son sens initial dans Le Bon, la brute et le truand. Ici, aux plagiats sans réelle pertinence du collaborateur attitré de Sergio Leone, s’ajoutent une valse fortement inspirée du Beau Danube bleu (donnant au tout la sensation d’être composé de sonorités « à la manière de » pour éviter tout problème de droits d’auteur) et une mélodie synthé au charme 80’s déjà galvaudé. S’en dégage le sentiment d’un réalisateur/ scénariste/ monteur, exposant sa culture cinématographique mal digérée, fort d’une maîtrise technique certaine mais parasité par des tics de mise en scène (ralentis, décadrages, zooms) qui renvoient aux gimmicks d’une esthétique branchouille propre aux années 90. Si certaines digressions ludiques font mouche (le tutoriel pour apprendre à crocheter la serrure d’une paire de menottes), le tout s’avère plus proche de la crânerie des premiers films de Guy Ritchie que de l’effervescence visuelle de Cours, Lola, cours. Pourtant, derrière son recours à une violence gore et puérile, un humour parfois bête et méchant (Hara-Kiri n’est pas si loin) ainsi que son esthétique ultra colorée, le long-métrage arrive à faire naître un vrai attachement à ses héros et un regard pertinent sur l’univers qu’il dépeint.
Les divers retours en arrière qui jalonnent le récit, relevant d’un systématisme un peu toc de prime abord, permettent en réalité de comprendre les motivations réelles des uns et des autres. Si l’argent est au centre des convoitises, tout le monde a une bonne raison, bien plus profonde, sentimentale ou altruiste qu’il n’y paraît, de s’impliquer. Ainsi, ces flash-backs offrent la possibilité d’une relecture empathique des événements à mesure qu’ils se dévoilent. En cela, les innombrables retournements de situations (certains prévisibles, d’autres très surprenants) apportent un éclairage différent sur la perception des différentes personnalités, révélant leur vraie nature et venant contredire nos certitudes. Un twist en particulier (qu’il vaut mieux taire) étonne et interpelle, tant il bouleverse tout le scénario et les valeurs du protagoniste en plus de s’inscrire à contre-courant du climat actuel (quitte à heurter ou donner un sentiment d’inconscience sous couvert de provoc). Le héros justement perd quant à lui la place centrale et agissante qui était la sienne au départ pour se muer peu à peu en témoin passif du chaos à l’œuvre, illustrant symboliquement la citation de l’auteur Flann O’Brien qui introduit le film. Autour de lui la destruction métaphorique du foyer parental induit la mise à mal de la cellule familiale (le titre original Papa Sdokhni peut se traduire par « Meurs papa ») et de toute la société russe par la même occasion. Avec sa police corrompue, sa bourgeoisie perverse et intouchable, Sokolov dévoile une vision acerbe et critique de son pays, d’un système laissant les êtres humains s’entre-dévorer par intérêts. Cette approche désenchantée se retrouve dans des dialogues parfois très drôles (« Il y a quelque chose après la mort ? » « Oui…mais je ne me souviens plus quoi ») confinant à l’absurde. Une satire qui touche également à l’hégémonie états-unienne avec des personnages qui parlent de « merdes venues d’outre-Atlantique » des gros plans sur des dollars en train de brûler ou ce sweat-shirt Batman qu’arbore Matvey, alors dans une quête de vengeance illusoire. Une ironie presque contradictoire tant le cinéaste se réfère sans cesse à la culture américaine qui a nourri son imaginaire et à qui il semble faire des appels du pied à longueur de métrage. Souhaitons-lui de ne pas se perdre dans le système hollywoodien qui finira probablement par le solliciter (comme ce fut le cas pour son compatriote Timur Bekmambetov dont les réalisations peu subtiles mais imaginatives ont rapidement perdu de leur fraîcheur après le sympathique Wanted). Why Don’t You Just Die ? demeure un jeu de massacre aussi jouissif qu’agaçant, maîtrisé et attachant (la séquence finale se révèle étonnamment émouvante), bien que sa dimension critique se retrouve trop souvent court-circuitée par une approche tape à l’œil pas toujours bienvenue.
Disponible en VOD.
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