La grande malédiction du besogneux Lamberto Bava  est bien celle d’être « un fils de… », situation d’autant plus inhibante quand votre paternel n’est autre que le maitre d’œuvre de merveilles comme Le Masque du démon ou Six femmes pour l’assassin et que votre plan de carrière consiste à assurer la relève. Pas simple comme projet artistique. Naturellement, il devient assistant son assistant  à l’âge de 21 ans  pour La  Planète des vampires, un poste qu’il occupe jusqu’à Schock en 1977.  Il passe à la mise en scène en 1980, année de la mort de son père, comme si le fardeau était trop lourd à porter pour tenter l’expérience de son vivant. De plus, il débute au mauvais moment, à une époque où le cinéma italien s’effondre commercialement et artistiquement. Symboliquement le début des années 80 correspond à la quasi disparition des studios de Cinecittà et au début de la toute-puissance de la télévision. La majorité des  cinéastes populaires vont sombrer dans la série Z, se reconvertir en téléaste ou emprunter la voie pas très catholique du porno. Au cœur de cette configuration délicate, peu propice aux jeunes auteurs, Lamberto Bava tente de raviver la flamme du bis horrifique avec l’ambitieux et inégal Baiser macabre puis le giallo avec le soigné mais scolaire La Maison de la terreur.

Blastfighter

Copyright @ Le Chat qui fume

Co-produit par Luciano Martino, le frère de Sergio, Blastfighter devait, à l’origine, être réalisé par Lucio Fulci. Mais le projet est tombé à l’eau. Finalement, le cinéaste n’a gardé que le titre d’un film qui surfe sur le succès récent du premier Rambo sorti un an auparavant, consacrant Sylvester Stallone comme une sorte de porte-parole des anciens du Vietnam rejetés par les siens. Les scénaristes, ont évacué cette dimension politique, qui ne peut parler qu’aux américains, même si la portée humaniste du Ted Kotcheff est universelle. Cela dit, par rapport à Tonnerre de Fabrizio De Angelis ou Rolf L’exterminateur de Mario Siciliano, bisseries foireuses mais sympathiques, Blastfighter, est une excellente surprise, réalisée par un artisan en pleine possession de ses moyens pour ce qui reste malgré tout une commande, un pur produit de consommation. Mieux, il s’agit peut-être du meilleur film de son auteur, le seul qui peut se targuer de bénéficier d’une mise en scène cohérente et efficace tant au niveau du montage que de la photographie, un condensé de testostérone moins bête qu’il n’en a l’air.  Le récit a la bonne idée de ne pas singer la structure narrative de Rambo.  Il s’en démarque même assez vite, citant volontiers Délivrance à travers un caméo du fameux joueur de banjo et en situant l’action dans les mêmes paysages magnifiques. Si le film rend un hommage respectueux au chef d’œuvre de John Boorman, il n’a rien d’un « survival » anxiogène, mais plutôt d’un  vigilante, un Bronson-porn bucolique, se déroulant en pleine nature.

Blastfighter (1984) - Plex

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Le prologue n’augure pourtant rien de tel, placé sous le signe d’un polar italien vintage situé dans une ville États-uniennes.  Le héros, Tiger Shark, littéralement Requin Tigre, est un ex-policier condamné à dix ans de prison pour avoir abattu l’un des meurtriers de sa femme et son coéquipier. Lorsqu’il sort enfin de prison, un ami lui remet un fusil expérimental pour qu’il se venge, mais au dernier moment notre valeureux héros meurtri hésite et décide de partir se réfugier dans les montagnes, retournant dans sa Géorgie natale. Par un malheureux incident autour d’un bébé cerf, il s’attire la haine d’un groupe de braconniers dirigé par le frère de son ancien meilleur ami, Tom. Les ennuis ne font que commencer, sorte d’escalade vers la violence, jusqu’à un climax final réjouissant.

Avec un tel sujet, pas plus idiot – mais plus écolo – que n’importe quelle production Cannon des années 80, Blastfighter remplit sa mission de divertissement fun et sans prétention, malgré certains défauts mineurs mais touchants, comme cette citation maladroite de Voyage au bout de l’enfer lorsque Tiger Shark part seul chasser le cerf, renonçant à  le tuer au dernier moment.

Cool Ass Cinema: Blastfighter (1984) review

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Michael Sopkiw, convaincant dans l’excellent 2019 après la chute de New York, tient plutôt bien son rôle arborant fièrement une moustache à la Maurizio Merli, une  mâchoire carrée et un regard perçant. Le jeu monolithique calqué sur les flics des poliziescos convient très bien au personnage. En revanche, il est mal à l’aise dans ses déplacements, trop raide, peu assuré en plan large lorsqu’il doit courir, se battre. Son  manque de naturel et de souplesse le trahisse souvent. Il est très crédible sur les gros plans, quand il suggère une colère rentrée. Par contre, magie du cinéma d’exploitation qui ne s’embarrasse pas de vraisemblance, il est difficile de croire que ce jeune homme qui ne parait guère avoir plus de 30 ans malgré un vieillissement factice (l’acteur à 29 ans sur le tournage), ait une fille autour de la vingtaine, interprétée par la débutante Valentina Forte qui tient plutôt bien son rôle. Les antagonistes sont impeccablement tenus par des comédiens parfaits en redneck débiles et par un George Eastman, alias Luigi Montefiori, au jeu sobre et mesuré dans le rôle du méchant (malgré lui) de l’histoire.

Vénéré par Quentin Tarantino qui le considère comme un des meilleurs films du genre, Blastfighter impose une atmosphère tendue et une ironie bienvenue qui élèvent le métrage au-dessus du produit de consommation courante.  Lamberto Bava se risque à des saillies humoristiques pertinentes, d’un humour noir bien senti, à l’image de cette analogie entre le massacre des biches entassées dans un 4/4 et la fin où Tiger Shark ramène son butin – les cadavres des locaux  disposés identiquement – vers la ville.

Blastfighter - KBZ - Film Genre Lists and Movie Recommendations

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Formellement soigné, de la musique qui alterne un morceau country composé à l’origine par les Bee Gees pour Kenny Rodgers et un thème dico pop à la Giorgio Mordorer très comestible, à la superbe photographie qui baigne dans des tons naturalistes, Blastfighter est un film d’action plus fréquentable que n’importe quelle pitrerie avec Chuck Norris, réalisé dans un style sobre et sans fioriture. Le montage nerveux à la Sam Peckinpah  ne succombe pas au péché mignon d’un autre adorateur du maître, Enzo G. Castellari. Le film n’use pas des ralentis ou des répétitions d’une même séquence sous plusieurs angles mais file droit au but, sans temps mort avec des scènes de bastons et de fusillades aussi trépidantes que lisibles. Tiger Shark, ange exterminateur bien décidé à venger sa fille et ses amis, armé d’un équipement de destruction massive fait tout exploser pour le plus grand plaisir du spectateur, ravi d’avoir assisté à une série B décomplexée et euphorique.

Présenté dans un master de qualité, le même que celui de l’édition import 88 films, le Blu-Ray comporte un bonus croustillant. L’Esprit de la vengeance (38 mn), interventions croisées de Lamberto Bava, Luigi Montefiori et le chef opérateur Gianlorenzo Battaglia. Alors que le brave Lamberto ne tarit pas d’éloge le comédien fétiche de Joe D’Amato, ce dernier ne mâche pas ces mots, qualifiant le pauvre Lamberto de crétin. Luigi Montefiori revient sur sa propre carrière qualifiant la plus par des films dans lequel il a joué de sus produits sans intérêt.

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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