Larry Cohen, vilain petit canard du cinéma d’exploitation des années 70-80, n’a pas eu la reconnaissance – même tardive – de George A. Romero, John Carpenter et Wes Craven. Tout au plus, un succès d’estime de la part d’un corpus critique souvent embarrassé par le manque d’unité d’une filmographie hétéroclite dont il est difficile de recouper des thématiques personnelles. Le créateur de la série Les Envahisseurs n’a pas construit une œuvre homogène et cohérente, ni imprimé un style visuel identifiable. Dans la droite lignée de l’iconoclaste William Castle, il a, en revanche, compris que le cinéma populaire se devait d’être attractif, d’autant plus quand les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous. Pour cela, il faut partir d’une idée novatrice et stimulante pour le spectateur dans un pur esprit forain. En cela, il a été l’un des précurseurs des films concepts dans le cadre du cinéma d’horreur, un pionnier dont l’influence se ressent dans des productions contemporaines comme les Destination finale ou Saw. Un homme, installé en haut d’un gratte-ciel, tire sans raison sur la foule (Meurtre sous contrôle), une femme accouche d’un bébé-monstre (Le Monstre est vivant) ou encore une substance similaire à un yaourt tue les consommateurs d’un nouveau produit (The Stuff). Ces délirantes hypothèses, liées souvent à des légendes urbaines, constituent l’ADN créatif d’un artisan à l’imagination débordante qui n’a pas toujours pu concrétiser ses projets – d’autres s’en sont parfois malheureusement chargés.
Réalisé après l’échec de Full Moon High, pastiche poussif du film de loup-garou, Épouvante sur New-York ne déroge pas à la règle, amorçant une situation surprenante et pourtant familière : surprenante car, sans aucune explication, une sorte de ptérodactyle commet des crimes dans la ville de New York et familière par ses références aux grands films de monstre type King Kong qui ont bercé la cinéphilie du cinéaste. Le récit aurait pu s’en tenir à une enquête lambda sur la recherche et les motivations de l’oiseau géant, point de départ qui rappelle curieusement une bande dessinée a priori très éloignée, le premier tome des aventures d’Adèle Blanc Sec, Adèle et la bête. Tout comme Tardi, et sans doute sans l’avoir lu, Larry Cohen explose une narration qui s’agite dans tous les sens, mais dont on présume que les éléments disparates vont finir par s’accorder. Pendant que le volatile continue ses exploits, une série de crimes atroces sont commis selon des rituels sacrificiels. Serait-elle liée à Jimmy Quinn, ce looser à la fois sympathique et irritant, qui accepte de participer à un braquage foireux ? D’ailleurs, le Q du titre original renvoie autant à la première lettre du nom de famille du personnage principal, Jimmy Queen qu’à celle du dieu Quetzacoatl.
Larry Cohen continue à nous perdre, convoquant les codes du film noir des années 40/50 avec son désespoir diffus et son humour à froid, servi par d’excellents dialogues et la prestation d’acteurs remarquables. Il faut louer la performance géniale de Michael Moriaty, parfait en petit délinquant médiocre et suffisant, détestable à bien des égards, mais auquel on s’attache bizarrement. Il compose un personnage très bien caractérisé, d’une authentique ambiguïté. Face à lui, David Carradine campe un flic intègre avec conviction.
Par ces décrochages et ses brusques ruptures de ton, Épouvante sur New-York n’est jamais là où on l’attend, en constant décalage, à l’image de Quinn qui paraît provenir d’un univers plus intimiste. Étonnamment, cette production Samuel Z Arkoff a trouvé son public et a bénéficié de bons retours de la presse, ce qui n’était pas gagné d’avance. La désuétude des effets spéciaux aussi charmants que rudimentaires, même pour l’époque, ont été réalisés par Dave W. Allen, petit protégé de Charles Band à qui l’on doit les fameux Puppet Master quelques années plus tard. Il a su retrouver avec sa créature animée image par image une forme de candeur et de poésie surannée rappelant les travaux de son mentor Ray Harryhausen. À l’heure du tout numérique, les apparitions de la bête sont de purs moments de plaisirs, non pas régressifs, mais enfantins, troués de quelques séquences gore très efficaces, dont une étonnante introduction en haut de l’Empire State Building avec une décapitation. Ce rapport artisanal au cinéma participe au charme de cette série B, drôle et modeste, qui sort du tout venant par l’émotion qu’elle finit par dégager, par son étrange récit et la présence de comédiens visiblement très impliqués. Moins maîtrisée que celle de Meurtres sous contrôle, la mise en scène, souvent décriée chez Cohen, y compris par ses admirateurs, est loin d’être paresseuse ou brouillonne. Au service de la narration, elle est soumise à un sentiment d’urgence par le filmage à l’arrache, caméra à l’épaule, dans les rues de New York, les plans d’hélicoptère impressionnants au-dessus des grandes tours, la crudité d’une photographie surexposée et l’utilisation très réaliste de la topographie urbaine pour les intérieurs et extérieurs. Pour toutes ces raisons, cette Madeleine de Proust mérite une révision, d’autant qu’aucune copie digne de ce nom n’était disponible en France jusqu’à ce jour. Seul un DVD pirate affreux au master dégueulasse circulait officieusement.
Il s’agit encore d’une belle initiative de la part de Rimini, qui outre l’habituel livret riche en informations de Marc Toullec, a eu la bonne idée d’enrichir l’édition avec une intervention passionnante du cinéaste et spécialiste de l’animation en stop motion, Jean Manuel Costa, qui revient sur les effets spéciaux du film et la carrière de l’étonnant David W. Allen.
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