La trajectoire de Larry Cohen est pour le moins atypique. Il n’aura jamais connu les louanges de la critique et la reconnaissance publique, cantonné à vie à un succès d’estime, un respect de la profession pour ses scénarios astucieux. Ces derniers, entre les mains de certains cinéastes reconnus sont presque devenus des blockbusters, loin de ses séries B bricolées  en marge. Pourtant l’importance du cinéaste dans la culture populaire américaine n’est pas à négliger. Il est le créateur de la série Les Envahisseurs et le premier réalisateur blanc – sacrilège sans doute pour Spike Lee – à profiter de l’engouement pour la  blaxploitation pour mettre en boîte deux petits classiques, Le Parrain de Harlem et Bone. Il est surtout l’auteur de quelques pépites terrifiantes, drôles et inventives du cinéma de genre telles que Meurtres sous contrôle, Le Monstre est vivant et Epouvante sur New York. Dix-huit longs métrages et trois téléfilms au compteur et très peu de ratages (hormis Ma Belle-mère est une sorcière et Original Gangstas) jalonnent une carrière exemplaire. L’art de Larry Cohen se distingue par cette appétence intuitive pour les sujets fondés sur des hypothèses délirantes partant souvent d’un principe de suppositions alimentées par les légendes urbaines. Parfois, avec des « si », on crée des miracles. La preuve : « et si un homme se retrouvait enfermé dans une cabine téléphonique », « et si ta femme accouchait d’un monstre », « et si un homme se mettait à tirer au hasard dans la foule », etc.

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Idem pour L’Ambulance. Et si après un malaise, une ambulance vous emmenait non pas pour vous sauver la vie mais pour vous l’ôter ? Josh Baker, dessinateur new-yorkais pour Marvel, croise une jeune femme, Cheryl, en pleine rue au milieu de la foule. Dire qu’il tombe amoureux serait exagéré ; en revanche, il a suffisamment le béguin pour lui faire la cour. Une drague spontanée qui la charme. Coup du sort : elle s’effondre d’un coup sur le sol. Une mystérieuse ambulance la récupère et l’emmène à l’hôpital. Josh décide de la voir dans l’établissement le plus proche qui, surprise !, assure n’avoir eu aucun patient correspondant au profil. Après des recherches infructueuses en faisant le tour des hôpitaux, Josh finit par mener son enquête, la police étant dubitative quant à ses dires, le soupçonnant même de ne pas être étranger à la disparition de Cheryl. Le syndrome David Vincent a encore frappé. Sauf qu’il n’a pas vu des extra-terrestres mais des ambulanciers au comportement suspect. Pas de quoi finir à l’asile mais une ambulance qui kidnappe des gens, cela n’arrive pas tous les jours, sauf dans les fantasmes bizarres de quelques allumés à l’imagination débordante. Josh n’en manque pas, étant un dessinateur, donc un artiste, judicieux choix de profession pour accréditer la thèse du délire et crédibiliser le personnage. On reconnaît la griffe, ou plutôt la plume de Larry Cohen qui sait écrire des scénarios brillants et malins, en phase avec nos peurs contemporaines. D’ailleurs, l’idée du film lui est venue suite à une situation plausible qu’il a vécue personnellement. Il puise la force de son cinéma dans cette part de réel : partir d’un fait divers authentique ou d’une situation ancrée dans le quotidien le plus banal pour bifurquer, dériver vers l’insolite, le fantastique voire le pur délire onirique, à l’image de l’enquête excentrique d’Epouvante sur New York où une enquête policière conventionnelle vire au surréalisme lorsque le tueur se révèle être un ptérodactyle.

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L’Ambulance ne va pas aussi loin dans la démesure, gardant toujours un arc narratif vraisemblable par rapport à l’actualité, notamment par la présence du trafic d’organes, très répandu de par le monde. Cinéphile, Larry Cohen rend également hommage à Alfred Hitchcock en reprenant la construction narrative de La Mort aux trousses, plaçant un quidam au cœur d’une histoire qui le dépasse. A la différence qu’au lieu de subir comme Cary Grant, Josh, en quête de vérité, cherche les ennuis en mettant son nez là où il ne devrait pas, tout cela pour une fille qui lui a tapé dans l’œil, principe classique du film noir.

Si tout le monde accorde à Larry Cohen un sens indéniable de l’écriture doublé d’une inventivité permanente que nombre de cinéastes s’arrachent, il est en revanche souvent considéré comme un piètre metteur en scène comparé à des gens comme John Carpenter ou Georges Romero. Loin d’égaler l’auteur de The Thing en matière de découpage et de redéfinition de l’espace par la simple puissance des plans, il n’en reste pas moins un vrai réalisateur, attentif à la forme même si celle-ci est moins visible. Evidemment, Cohen n’est pas un styliste, il n’en met pas plein la vue. En revanche, son approche filmique est souvent pertinente, notamment son style documentaire quasi naturaliste. Les premiers plans de L’Ambulance sont éloquents : par commodité budgétaire sans doute, Larry Cohen vole des plans de rue à l’arrache, filmant la foule avec beaucoup de réalisme. Tourné sans autorisation, caméra à l’épaule, il prend le pouls d’une urbanité grouillante. Un peu à la manière de l’Abel Ferrara des débuts ou de William Lustig, parallèle logique vu que Cohen est le scénariste des Maniac cop tournés par le réalisateur de Vigilante.

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Toutes les séquences nocturnes, beaucoup plus graphiques, utilisent à merveille le décor urbain, transformé pour l’occasion en un espace angoissant d’où peut surgir d’un instant à l’autre le monstre clinquant à quatre roues. Dès la première apparition de l’ambulance, Larry Cohen ne cherche pas à berner le spectateur. Elle est filmée comme une entité organique, même si ce n’est que de la taule et un moteur, contrairement à la fameuse Christine. Mais elle partage avec cette dernière ce look vintage très années 50, une carrosserie rouge pétard, symbole de la perversion et de la séduction.

Une autre qualité inhérente à la plupart des films de Larry Cohen concerne non seulement le goût du casting insolite mais aussi de la direction d’acteurs. Les seconds rôles sont tous très bien campés ; ils ont néanmoins bien du mal à éclipser la prestation démente d’Eric Roberts, survolté et attachant là où un autre comédien pourrait être pénible. Tout au plus peut-on lui reprocher une coupe de cheveux atroce, typique des années 90, que même Mel Gibson dans L’Arme fatale n’aurait pas voulu. Les amateurs de caméos ne manqueront pas de remarquer l’apparition de Stan Lee bien avant la déferlante des films du studio Marvel dans le paysage cinématographique.

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Efficace et ludique, souvent très drôle sans verser dans la parodie, L’Ambulance remplit son contrat : celui d’une formidable série B à l’ancienne, à la portée réflexive inexistante par rapport aux chefs-d’œuvre de son auteur mais qui déborde d’amour pour le cinéma de genre. Avant-dernier long métrage pour le cinéma, le film reste, malgré des critiques mitigées à sa sortie, l’un des plus gros succès du cinéaste dans les salles françaises.

Le digipack, concoctée par l’équipe précieuse de Extralucidfilms, comprend une passionnante Master Class de Larry Cohen enregistrée lors du festival Niff en 2013 où il revient sur sa carrière.  Une présentation du film par Christophe Lemaire complète l’édition. L’ex-journaliste de Starfix, qui s’est toujours défendu d’analyser les films, n’en livre pas moins d’intéressantes pistes de réflexions notamment en ce qui concerne la manière de tourner, quasi documentaire, faute d’argent le plus souvent, de la part du réalisateur. Jusqu’ici uniquement disponible en VHS, L’Ambulance bénéficie d’une excellente copie proche de la version cinéma. Du travail d’excellence pour un éditeur à défendre.

(USA-1990) de Larry Cohen avec Eric Roberts, Janine Turne, James Earl Jones, Red Buttons

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