De tout temps, Hollywood a capitalisé sur des recettes déclinables à l’infini. Bien avant l’ère des super-héros en lycra et de la nostalgie préfabriquée des innombrables reboots de sagas estampillées années 80-90, il y eut les polars testostéronés portés par Charles Bronson. Entamée après le deuxième volet de Death Wish en 1982, cette mode préfigure les vigilantes, plus ou moins recommandables, mettant en vedette Sylvester Stallone, Steven Seagal ou Liam Neeson (qui, à l’instar de l’interprète de Paul Kersey, s’est découvert une passion pour le tabassage de criminels sur le tard). Sous l’égide de l’inénarrable Cannon Films, l’acteur enchaîne donc les long-métrages aux titres évocateurs, Le Justicier de minuit, La Loi de Murphy, Le Justicier de New York, où il use son personnage de redresseur de torts adepte de la loi du Talion. Réalisateur capable (Les Nerfs à vif premier du nom) mais souvent cantonné dans une situation de faiseur au service des studios, prenant en charge des suites (La Bataille de la planète des singes, Le Justicier braque les dealers) ou des contrefaçons de grands succès (le diptyque des Allan Quatermain pillant allègrement Indiana Jones), J. Lee Thompson devient l’un des yes men réguliers des producteurs Menahem Golan et Yoram Globus. Pour le compte de leur firme il signe pas moins de cinq longs-métrages avec Bronson en vedette, sur les neuf que le duo tourna ensemble. Avant-dernier de cette longue série, Le Messager de la mort se présente de prime abord comme une resucée opportuniste du Witness de Peter Weir sorti trois ans plus tôt. On y suit Garret Smith, journaliste de Denver, enquêtant sur le meurtre violent d’une famille de mormons, les Becham, au sein d’une communauté reculée du Colorado. Désormais disponible en Blu-Ray et DVD grâce au travail de Sidonis-Calysta, il est temps de se pencher sur ce thriller symptomatique de la carrière de l’acteur durant les 80’s.
Au vu de son postulat de départ (tentative de récupération du hit porté par Harrison Ford, producteurs enclins au too much, acteur star habitué aux rôles musclés), Le Messager de la mort se révèle en définitive bien sage. Construit autour de l’investigation de Smith au cœur d’une population ultra-religieuse et conservatrice, l’intrigue se résume à une série d’entretiens platement dialogués, le journaliste allant d’un habitant à l’autre afin d’obtenir des informations. Le scénario le ballade ainsi à travers le Colorado, joliment mis en images au travers de ses superbes paysages enneigés (à noter le très beau master proposé par Sidonis). Si Charles Bronson impose un charisme naturel malgré une fatigue physique et un manque d’investissement (fréquent chez l’acteur durant toute sa période Cannon) perceptibles, le reste du casting, assez médiocre, n’est pas à la hauteur. Au-delà de certaines facilités scénaristiques (le héros, ami du commissaire, est ainsi autorisé à pénétrer sur une scène de crime alors que la police est encore sur les lieux) et une conclusion pour le moins abrupte, le long-métrage n’offre que peu de vrais moments de mise en scène, Thompson (âgé et malade lors du tournage) se contentant d’illustrer mollement les différents climax. De la course-poursuite avec un poids lourd sur une route sinueuse à l’attaque d’une ferme façon Rio Bravo, le tout fait montre d’une certaine sobriété voire d’un manque d’énergie dénotant totalement avec les excès et le déluge de mauvais goût habituels des productions Golan/Globus. Pourtant, la cruelle et sanglante scène d’introduction à elle seule déploie l’intégralité des idées et des fulgurances de réalisation du long-métrage. En l’espace de quelques minutes, le cinéaste filme le massacre d’une famille (femmes et enfants) par des hommes mystérieux dont on ne distingue que la silhouette, les mains gantées ou les canons des fusils. Les cadrant dans l’ombre comme des boogeymen de films d’horreur, le réalisateur fait monter la tension jusqu’à un déluge de violence graphique (rien n’est épargné des impacts de chevrotine sur les corps) ne préfigurant en rien le reste du film, à la facture presque télévisuelle.
Dès la séquence inaugurale, et son générique sur fond de musique sacrée, se détache une composante importante du Messager de la mort : la communauté religieuse. Ici, les mormons sont dans un premier temps désignés comme des fanatiques (un prédicateur n’hésite pas à vanter le meurtre comme seule espoir de salut pour les victimes), repliés sur eux-mêmes qui n’ont que peu de contacts avec les grandes villes avoisinantes. En témoigne le montage faisant se succéder le cadre bucolique et paisible où vivent les Beecham et un plan sur les rues bruyantes et bondées de Denver où travaille Garret Smith. Rapidement le protagoniste, comme le personnage interprété par Harrison Ford dans Witness, devient un intrus, un véritable étranger au sein de son propre pays, découvrant les croyances et les rites obscurantistes d’individus évoquant les assassins comme étant l’Antéchrist, maudissant leurs ennemis « pour l’éternité ». Pourtant, alors qu’une relation façon Caïn et Abel oppose les Beecham, le journaliste va mettre à jour une machination plus importante, dépassant les fidèles, réduits finalement à un simple groupe de marginaux dignes des premiers pionniers du nouveau Monde. Sans tomber dans une image idyllique pour autant, J. Lee Thompson dresse le portrait d’une autre Amérique, en marge (et victime) d’un capitalisme forcené, à l’image de ce plan ironique où le tourisme de masse (en l’occurrence de jeunes skieurs descendant d’un bus au milieu du petit village) gagne de plus en plus de terrain.
Cet aspect réactionnaire (au premier sens du terme), cette idée, sujet à débat, que le progrès n’est pas porteur que de positif et qu’un retour aux valeurs ancestrales est nécessaire, traverse toute la carrière de Charles Bronson. Ici, c’est l’ultra-libéralisme alors en vogue dans cette ère reaganienne, qui menace l’équilibre d’une communauté séculaire, poussant même ses membres à se déchirer et à s’entretuer. Le monde citadin (policiers, politiques, patrons) est corrompu et ne vise que des intérêts pragmatiques et terre à terre, voir pour cela la scène de dîner dans laquelle les invités préfèrent parler de leurs investissements et de leur avenir électoral plutôt que du massacre qui vient d’avoir lieu, sous le regard effaré de Smith. S’il est bien loin de son rôle de cow-boy taiseux iconisé par Sergio Leone, l’acteur retrouve un personnage qui, comme dans Il était une fois dans l’Ouest, se retrouve confronté à un capitalisme grandissant et aliénant. Ici c’est une compagnie des eaux, dans le western culte, l’entreprise de chemin de fer. Comme l’Homme à l’harmonica, la communauté mormone est ici une relique, un fantôme du passé voué à disparaître. Une situation cynique lorsque l’on sait à quel point le comédien était alors devenu une sorte de mercenaire à la solde de la toute puissante Cannon, arpentant les plateaux de tournage en dilettante, plus intéressé par le montant de son chèque et les voitures qui lui étaient offertes que par l’épaisseur psychologique de ses rôles. Dans le même ordre d’idées, voir Golan et Globus produire un film qui prône la défense de l’Amérique rurale face aux grandes entreprises est plutôt cocasse. Le fameux « messager de la mort » évoqué dans le titre, cet ange exterminateur qui hante tout le long-métrage (de la statue du générique au dessin laissé sur les lieux du meurtre) pourrait être le surnom de Paul Kersey héros de la saga Death Wish. Tout comme Smith qui renoue avec les mythes fondateurs des États-Unis et prend les armes afin de remplir le rôle de la police (inactive), Kersey avait aussi une révélation, une épiphanie en assistant à un Wild West Show, faisant naître en lui le justicier new-yorkais marchant sur les traces de ses aïeux de la ruée vers l’or. Par ailleurs, le documentaire Vigilante, les origines : une histoire américaine, présent en bonus (tout comme une présentation de Patrick Brion), bien que très intéressant, semble hors sujet tant le film n’épouse jamais les contours du genre. Les poussées de violence se font plus rares, le rythme moins effréné, mais l’acteur sexagénaire à qui il ne restait alors qu’un dernier grand rôle à interpréter (Indian Runner de Sean Penn en 1991, dans lequel il est bouleversant) retrouve par moments ses instincts et démontre ses capacités physiques lors d’un combat à mains nues contre un tueur professionnel bien plus jeune que lui. Fils d’immigré lituanien, Bronson demeure, à l’instar de l’italo-américain Sylvester Stallone (dans un registre plus humaniste et pro-American Dream) et l’autrichien Arnold Schwarzenegger (plus musculeux), un légendaire action hero, véritable symbole de l’Amérique de son époque, pour le meilleur et pour le pire.
Disponible en Blu-Ray et DVD chez Sidonis-Calysta.
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