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22
Sep
2011
"Les Inédits fantastiques" (Le navire étoile, La brigade des maléfices, Fantômas)
L’INA nous offre avec cette nouvelle collection intitulée « Les inédits fantastiques » la plus belle nouvelle DVD de la rentrée. Quelle heureuse initiative en effet que de se donner pour mission d’exhumer des trésors en rassemblant ce que faisait de mieux la télévision française des années 60 aux années 80, à l’heure où elle osait s’aventurer sur les sentiers de l’imaginaire et où il existait encore des téléastes pour créer et innover en matière de fiction.
Le choix des trois premières sorties (Le navire Etoile, La Brigade des Maléfices et Fantômas), se révèle d’autant plus pertinent qu’outre leurs qualités respectives, elles présentent un intérêt historique et sociologique indéniable, permettant de constater une évolution de la conception de l’imaginaire parallèle à celle des mentalités, tant dans les thèmes que dans le traitement visuel. Il est en effet tout à fait passionnant de commencer par Le navire Etoile (1962), de poursuivre avec La Brigade des Maléfices (1970) pour finir par Fantômas (1980) et mesurer pleinement le règne des années et la progression des visions artistiques.
L’impression première face à cette réjouissante nouvelle risque de ne pas être très objective car revisiter cette ère de la télévision constitue une occasion de se replonger dans les délices de son enfance, pas nécessairement pour avoir pu assister à leur premières diffusions, mais pour la satisfaction de retrouver une forme d’état d’esprit perdu, de saveur du passé, une reprise de contact avec nos jeunes années. Coeur battant, sourire aux lèvres, nous allumerons cette fois-ci notre télé différemment ; s’il n’était le geste de glisser le dvd dans le lecteur, nous aurions la sensation d’utiliser la célèbre machine d’H.G. Wells.
Le Navire Etoilé n’est peut-être pas la panacée au niveau formel mais n’en demeure pas moins une intéressante tentative d’intégrer la Science Fiction dans l’imaginaire des téléspectateurs. Tentons un instant de pénétrer dans un foyer français des années 60 tournant le bouton de son poste de télé noir et blanc à l’heure du repas et tombant sur un tel programme. On se dit que cette entreprise culottée serait rigoureusement impossible au XXIe siècle, au même titre que la résurrection de « Temps X », zapping et audimat étant devenu presque aussi terrorisant pour le programmateur qu’un couperet de guillotine. A ce titre, l’introduction qui sert de préambule au téléfilm et dans lequel le présentateur « explique » précautionneusement la Science Fiction (définition, hypothèse d’un futur qui pourrait être le nôtre, etc.) au cas où les français auraient été trop dépaysés, est particulièrement étonnante et drôle. Le Navire étoilé est en effet LE 1er téléfilm de science fiction à avoir été diffusé sur les chaînes hertziennes. Très statique, il ressemble plus à du théâtre filmé, sensation amplifiée par le jeu des acteurs (en grande partie de la comédie Française, comme Geneviève Casile ou François Maistre) et des décors minimalistes biscornus inspirés par l’expressionnisme allemand. Sans effet spécial, Le Navire Etoilé compose son monde de demain avec ses combinaisons moulantes et ses bonnets médiévo-futuristes, son cadre confiné, et ses bips d’ordinateur. Le film d’Alain Boudet, adaptation du roman d’Edwin Charles Tubb a tout de même pris un sérieux coup de vieux et faute de convaincre se regardera essentiellement comme l’intéressante expression culturelle d’une époque. Il possède un charme naïf indéniable, un peu à la manière des pièces radiophoniques du théâtre de l’étrange et constitue en tout cas un parfait spécimen de SF des années 60 qui fantasmait les siècles à venir en s’inspirant directement des pouvoirs totalitaires en place et des traumas historiques encore bien gravés dans les mémoires.
La vision de La Brigade des maléfices se révèle en revanche tout à fait enthousiasmante et procure une toute autre euphorie. Diffusée dans les années 70, composée de 6 épisodes, elle est un des rares spécimens de série française à avoir osé le fantastique. « La Brigade des maléfices ne figure sur aucun document officiel de la préfecture de police. Personne dans le public ne soupçonne son existence et pourtant chaque jour s’étend le champ de ses activités. Bien des enquêtes menées par les plus fins limiers de la police judiciaire s’arrêtent souvent devant l’impossible, l’incroyable, le surnaturel. C’est alors qu’intervient Guillaume-Martin Paumier, chef de la Brigade des maléfices. Sherlock Holmes de la féerie, Maigret de la sorcellerie moderne, expert en sciences occultes, familier de l’invisible ; l’inspecteur Paumier ne refuse aucune des voies ouvertes sur l’inconnu. Il a accepté d’ouvrir pour nous quelques dossiers, de nous faire participer à quelques unes de ses étranges enquêtes »… Chaque générique s’ouvre sur cette délectable introduction tandis que nous pénétrons dans l’antre du commissaire Paumier et de son fidèle acolyte Albert ; son capharnaüm tel un cabinet d’antiquaire. Toute proportion gardée (il est tout de même moins sexy), ce détective de l’étrange, chargé de résoudre des mystères sur lesquels la police patine, serait un peu un Dylan Dog français avant l’heure. Une fée qui hypnotise les promeneurs au bord d’un lac, une télé qui tue, un fantôme dans un hlm, un vampire : que d’étranges affaires lui sont confiées ! La Brigade des maléfices, au delà de sa poésie fantastique et du charme suranné qu’elle exhale, brille par sa propension à s’ancrer dans le réel au présent. Outre le fait que c’est le quotidien des français des années 70 qui revit sous nos yeux, les histoires concoctées par Claude Jean Philippe et Claude Guillemot sont de vrais instantanés de leur époque et l’air de rien, elles abordent de véritables sujets de sociétés. Ainsi, dans «La septième chaine », par l’intervention d’un personnage diabolique, les jeunes couples venant louer leurs premiers téléviseurs, sont hypnotisés par leur émission quotidienne jusqu’à la jalousie et le meurtre, par l’entremise d’un savant maléfique. Un autre épisode évoque un fantôme ayant précédemment œuvré dans une vieille demeure venant hanter le HLM qui s’érigera à sa place : évolution des mœurs, urbanisme, construction des cités… ce sont bien ces bouleversements majeurs du XXe siècle qu’effleurent les auteurs par le biais du surnaturel, en poétisant le quotidien.
Et sous son agréable nonchalance, sa légèreté, son ironie, La Brigade des Maléfices possède une jolie substance critique et un soupçon d’irrévérence que ne viendrait pas infirmer la personnalité de son acteur principal, Leo Campion, qui fut à la fois chansonnier, caricaturiste, régent de Pygologie du Collège de Pataphysique et Grand maître de la confrérie des chevaliers du Taste Fesses.
On y retrouve le ton feuilletonnesque des Maurice Renard et Gaston Leroux, un univers de savants fous qui rappelle à la fois Tardi et les Avengers. Avec ce plaisir de pénétrer dans Paris et ses alentours, La Brigade des Maléfices possède le charme des promenades dans des rues pavées entre Belleville et Place des fêtes, ou celui que procurent les photos jaunies de ce qu’étaient nos banlieues avec leurs vieilles boulangeries, leurs squares, leurs mairies ou les bois désormais disparus.
Qu’on se le dise, la série Fantômas, plus de 30 ans après, constitue encore un formidable moment télévisuel. C’est en 1911, à la veille des frasques de la Bande à Bonnot qu’Allain et Souvestre avaient créé le célèbre génie du crime.
Sous la houlette de Claude Chabrol et Juan Luis Buñuel, Bernard Revon transposent l’œuvre dans la France des années folles. Oublions les pitreries de Louis de Funès pour un retour à l’état d’esprit du sérial original ; Fantômas fait exécuter des innocents, défigure ses victimes, en fait écraser une autre sous un train. Ici, nulle victoire du bien, peu d’humour, bref cruauté et ténèbres dominent.
Que pouvait-on rêver de mieux qu’Helmut Berger, l’égérie de Visconti dans Ludwig ou Les damnés, pour incarner la séduction maléfique en personne, condensé d’ambiguïté sexuelle, visage d’ange exterminateur teinté d’androgynie. Son seul regard inspire fascination et malaise, déroutant le spectateur au point qu’il ne sache lui-même que choisir entre l’effroi et l’attirance, plongé dans les contradictions hypnotiques du mal. Le fabuleux Jacques Dufilho lui donne la réplique, tentant de l’arrêter, mais arrivant généralement bien tard. Fantômas est un héritier des grands héros frénétiques maudits du romantisme noir, de Melmoth à Dracula, avec leur propre fonctionnement hors du monde, qui défient la morale usuelle. Mais plus encore, il est la matérialisation romanesque – et diabolique – des troubles d’une époque, de ses plaies. En cela l’adaptation est extrêmement fidèle à son modèle – ce qui en fait un témoignage historique passionnant -, un tel héros pouvant servir de catharsis à l’angoisse collective et aux évènements traumatiques. Fantômas, c’est un peu le Docteur Mabuse français – Mabuse, qui fut réalisé… dans les années 20 – avec tout ce qu’il stigmatise des hantises de l’après 1ère guerre mondiale, des prémisses de la prochaine et de la situation socio économique; on comprendra alors aisément ce qui a pu fasciner Chabrol, admirateur de Fritz Lang devant l’éternel, qui en profite de son côté pour égratigner par petites touches l’Eglise et la bourgeoisie.
Meilleure adaptation des aventures de ce grand héros frénétique après le chef d’œuvre de Feuillade, elle capte toutes les origines de la création d’un mythe et garde un incroyable parfum de violence anarchiste, retrouvant l’esprit des années qui le virent naître, avec la fascination du Mal comme contestation ultime, comme outil expiatoire et de dérision. Le monstre naît de la monstruosité du monde. Il est en quelque sorte son rejeton infernal. Fantômas n’est pas un gentleman cambrioleur mais un héros névrotique et pervers, foncièrement mauvais, qui cherche à arriver à ses fins, entretient une relation éminemment sado-masochiste avec une comtesse. Ce bel apparat du déguisement, cette majesté du masque, cette beauté du seul regard éclairé, le rangent au côté des grands criminels cyniques qui lançaient des défis à la police, génies de la mise en scène qui bravaient le monde dans le sang, comme Landru ou Lacenaire.
Avec sa reconstitution historique minutieuse, sa photo étonnement travaillée, belle et lugubre dans les scènes nocturnes, Fantômas n’a rien perdu de sa superbe, puissamment immergé dans un climat d’amoralité glaçante.
« Les inédits fantastiques » constitue donc une immanquable collection pour sa capacité à nous ramener aux grandes heures de la télévision, y compris celles que nous n’avons pas connues.
Ajoutons à cela un transfert de qualité et une belle restauration (surtout sur Fantômas et La Brigade) : cette collection laisse présager du meilleur pour la suite, et même libre court à nos fantasmes… (Allez, au hasard, rêvons à L’homme sans visage de Franju !) . Sont déjà annoncés La poupée Sanglante d’après Gaston Leroux, un coffret Jules Verne (Les Indes noires, le secret de Wilhelm Storiz et l’île Mystérieuse), ainsi que l’incroyablement bizarre Tout spliques étaient les borogroves.
On les attend de pied ferme …