"Les Inédits fantastiques" (Le voyageur des siècles, L’invention de Morel, Coffret M.Aymé)

L’INA continue d’exhumer ses trésors du fantastique avec la sortie ce mois-ci de trois nouvelles œuvres qui, si elles ne sont peut-être pas aussi enthousiasmantes esthétiquement que les Indes Noires ou Fantômas par exemple, la facture étant tout de même plus neutre, n’en demeurent pas moins fascinantes. Elles précisent combien le fantastique aurait pu être au cœur de la tradition française, au même titre que la littérature fantastique classique.

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Réalisée par Jean Dréville, Le voyageur des siècles est une savoureuse mini-série qui exploite à satiété les thèmes du voyage dans le temps et des paradoxes temporels. C’est Noël Noël qui eût ce projet de « Julevernerie ». Ne réussissant pas à le faire aboutir pour le cinéma, il se résolut à une série de 6 h qui passa malheureusement presque inaperçue lors de sa diffusion en 1971. Il évoque le chassé croisé temporel entre un Philippe d’Aubigné de 1981 trouvant le moyen grâce à « chronosphère », la machine fantastique de son arrière grand-oncle de 1881, de le rejoindre et de parcourir avec lui bien d’autres époques… Et lorsque le héros du XXe siècle se meurt d’amour pour une beauté de l’ancien régime il se donne pour but d’aller la rejoindre et de la sauver, au risque de chambouler tout le cycle historique.
Il est toujours très agréable d’observer l’anticipation du futur dans des œuvres qui appartiennent désormais à l’histoire, curieuse chevauchée temporelle, absurdité poétique où le temps écoulé à vampirisé l’imagination de l’avenir. Cette série au charme fou imagine 1981 en 1971, comme une époque où les trottoirs sont à sens unique, où tout est réglementé, comme une mini dictature des nouvelles techniques, où le monde est tellement intelligent qu’il est devenu bête. Avec ses appareils volants, ses curieuses inventions, ses traversées d’un siècle à l’autre et ses modifications de l’Histoire, Le voyageur des siècles se savoure, se respire, en suscitant un sourire continu. On appréciera cette science fiction du passé qui devançait – entre autres – les diffusions de films en vidéoprojecteur dans des salons, sauf que sur les parois sont diffusés les siècles révolus. Quelle splendide idée que celle de ce miroir dans lequel défilent les siècles passés. Ce pouvoir du reflet, merveilleux et émouvant n’est-il pas la meilleure métaphore du sortilège du cinéma ? Le voyageur des siècles est donc une série qui envoûte un peu plus au fil des épisodes, qui fait regretter que le cinéma français se soit si peu risqué au fantastique alors qu’il aurait pu être un bel héritier des grands novellistes comme Gautier, Mérimée, Maupassant.
Les auteurs font entrevoir à leurs personnages du 19e, la guerre de 14 (« qu’est ce que c’est que ces poilus dont il parle ? Des hommes poilus ? ») et de 39-45 ; aussi cette beauté légère libère une vraie rêverie sur les ravages du temps et de l’histoire, ainsi que sur l’absurdité de la destinée. Le voyageur des siècles est une série qui exploite, derrière son postulat fantastique et son fantasme, la mélancolie du temps qui passe, la disparition des êtres aimés, la peur de la mort. Ainsi, lorsque ce vieux monsieur demandant à son arrière arrière petit neveu venu le visiter dans le temps « combien de temps me reste-t-il à vivre », Le voyageur des siècles, l’air de rien, titille et questionne subtilement le spectateur sur « ce brouillard, profond, mouvant et vertigineux : le gouffre du temps ».

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Après Jules Verne, c’est au tour de Marcel Aymé d’avoir droit à son coffret, nous permettant de reprendre contact avec l’esprit joyeusement anarchiste et anti-clerical de celui qu’on réduit souvent aux Contes du chat perché, à la Jument verte et au Passe Muraille, en oubliant ces fables ironiques et cruelles, qui s’employaient à faire passer par le biais du fantastique de belles saillies subversives et critiques des mentalités. Ici, des personnages ordinaires sont happés par une situation extraordinaire qui bouleverse leur quotidien. Dans Le Nain (Pierre Badel, 1961), un nain, attraction la plus populaire d’un cirque, se réveille du jour au lendemain en beau garçon à la taille normale, et tombe en disgrâce au contact de cette renaissance et de la normalité. Avec pour narratrice Odette Joyeux, La bonne peinture (Philippe Agostini, 1967) raconte l’histoire d’un peintre dont les toiles nourrissent au sens propre les spectateurs qui les regardent, rassasiés au même titre qu’un bon repas. Au-delà de la variation sur les jeux de mots et la nourriture spirituelle, Aymé s’attaque avec délice à la supercherie d’un milieu artistique terriblement artificiel, narcissique et méprisant. On pense à Boris Vian. La grâce (Pierre Tchernia, 1979) dote, un matin, un homme très pieux d’une auréole de saint, avant l’heure. Ce dernier finira par trouver ce don tellement gênant et honteux qu’il va épuiser tous les péchés pour la faire disparaître. On connaît le thème du Passe Muraille (Pierre Tchernia, 1977) et de ce garou garou, passant à travers les murs et en profitant pour prendre sa revanche sur son supérieur méprisant et pour trouver l’amour, avant que son pouvoir le coince… entre deux murs.
Marcel Aymé excelle à trouver des dons à ses personnages, des pouvoirs qui stigmatisent les tares sociales, les préjugés, les travers de l’humain, quelle que soit sa condition. Milieu artistique, petite bourgeoisie, étroitesse d’esprit bigote des petites gens, le monde de Marcel Aymé est à l’image du décor du Nain : un gigantesque cirque qui cache sa monstruosité sous ses bonnes manières. Mais la misanthropie et le cynisme d’Aymé, malgré sa cruauté, garde toujours une certaine douceur, comme si sous la violence de son propos l’écrivain continuait malgré tout à avoir une certaine tendresse pour les hommes. Les adaptations, très classiques, valent surtout pour leur fidélité au texte et à une distribution excellente qui voit défiler Michel Serrault, Rosy Varte, ou encore Paul Francoeur et Claude Brasseur.

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L’une des plus belles découvertes de cette salve est sans doute L’invention de Morel. Adapté du petit roman éponyme de Bioy Casares, compagnon de route de Borgès, le film de Claude Jean Bonnardot, produit par l’ORTF en 1967, en respecte le caractère proprement littéraire par une large place laissée à la voix off et un pouvoir des images tout juste suggéré. On pourrait regretter avec nos yeux actuels que le principe fantasmatique de l’Invention de Morel ne soit pas exploité plus férocement, mais au-delà d’un léger aspect daté – plutôt dans les attitudes des personnages – il faut voir dans le lent égrenage des mots et le diaphane des actions une expression visuelle dénaturant le moins possible la moiteur du roman et laissant jaillir le projet morbide du grandiose Morel. Le regret, alors, provient de cette capacité de la télévision à produire des oeuvres audacieuses, en marge, d’un fantastique philosophique envisagé pleinement qu’aujourd’hui on hésiterait à passer aux heures les plus tardives de la nuit. Même les fantômes finissent par s’éteindre lentement.

  

 

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