En apparence, rien ne prédisposait Lucio Fulci à devenir le roi du gore et des chairs en décomposition. Lorsque le producteur Fabrizio De Angelis, associé à Ugo Tucci et Gianfranco Couyoumdjian, envisage de profiter du succès de Zombiede Romero, il confie le scénario à l’incontournable Dardano Sacchetti et la réalisation à Enzo G. Castellari qui déclina l’offre pour des raisons artistiques et prosaïques : l’univers abordé serait trop éloigné du sien. La version du scénariste diverge, indiquant que le salaire demandé par le réalisateur de Big Racket était beaucoup trop onéreux. Angelis se tourne alors vers Lucio Fulci qui a enchaîné deux échecs successifs en salles avec le western Sella d’argento et le pourtant magnifique L’Emmurée vivante, giallo surnaturel.
Lucio Fulci n’a encore réalisé aucun film d’horreur en 79. Paradoxalement, il traîne derrière lui près d’une vingtaine de comédies d’intérêts discutables ne laissant nullement transparaître le formalisme incroyable du cinéaste. Mais, à côté de ses gaudrioles populistes, Fulci signe de remarquables films au sein desquels son penchant pour la violence et le morbide frappe au détour de quelques séquences mémorables: la sorcière lacérée de chaînes dans La longue nuit de l’exorcisme ou le corps se fracassant contre les rochers dans le prologue de L’Emmurée vivante en sont les plus (in)dignes exemples.
C’est donc avec un naturel confondant, pour un non spécialiste, qu’il s’empare de L’Enfer des zombies co-écrit alors par Elisa Briganti (seule au générique pour d’obscures histoires de droits). Il constitue autour de lui une équipe solide avec Vincenzo Tomassi au montage, Sergio Salvati à la photo et Giannetto de Rossi aux maquillages qui ne le quittera plus pour une série de films marquée par le sceau de la mort et de la déchéance.
L’Enfer des zombies part d’un postulat classique mais se démarque du film de Romero en situant en grande partie le récit sur une île exotique, le rapprochant finalement davantage, toute proportion gardée, de White zombie de Victor Halperin et surtout du Vaudou de Jacques Tourneur.
La connexion avec le Tourneur s’articule en inversant la proposition esthétique, pas seulement en ce qui concerne, époque oblige, la représentation de la violence. Si Tourneur érige la dimension cachée par l’art de la suggestion comme principe immuable de mise en scène, Fulci fuit la litote, parsemant son film de séquences complaisantes particulièrement éprouvantes telle l’énucléation de la fille du docteur Ménard, dans un dispositif excessif jouant sur le voyeurisme le plus outré avec gros plans à l’appui, insistances sur les effets gore. Ce qui a valu à certains critiques de comparer ce cinéma à de la pornographie. Mais Fulci va encore plus loin, et ne se cantonne pas à cette facilité mercantile. Les clairs obscurs expressionnistes de Tourneur laissent place à une lumière agressive alliée à la moiteur de l’île…. La peur ne naît pas des ténèbres, des dérives nocturnes dans des lieux à l’architecture inquiétante. Non, elle s’affiche en plein jour, sous la canicule d’un décor qui devrait être paradisiaque. Les zombies s’extirpent d’une terre poussiéreuse, dans un état de décomposition avancée, ils déambulent lentement comme ceux de Romero et ne peuvent mourir que si on leur tire une balle en pleine tête. Ils n’appartiennent pas au présent, attirés par la société de consommation, ils incarnent les émanations d’un passé que l’on voudrait bien enterrer à jamais.
Le scénario ne se singularise pas par son originalité. Un zombie échoue sur un voilier aux portes de New York et s’en prend aux gardes côtes. La fille du proprio du bateau, Anne Bowles, s’inquiète pour son père qui se trouve alors aux Antilles. Avec l’aide d’un journaliste, elle décide d’aller enquêter sur place et se rend alors sur l’île de Matu où règne une atmosphère de décrépitude. Ils rencontrent le docteur Ménard, sorte de Docteur Moreau en moins cinglé, qui a inventé un remède expérimental contre une maladie ramenant les morts à la vie… Et oui un zombie en cache toujours un autre, et puis un autre…
Lorsque le film sort en salles en 1980 dans une version tronquée, après un franc succès au festival fantastique de Paris, la critique n’est pas tendre, d’autant qu’à l’époque la direction d’acteurs et le sens d’un scénario importe davantage pour les plumes en vigueur que le rendu visuel. C’est sûr que de ce côté-là le film de Fulci ne marque pas des points. Le récit s’avère prévisible, quoique bien construit et linéaire, et offre même quelques séquences à la limite du ridicule comme ce mort vivant sorti tout droit des océans combattant un requin.
Les comédiens sont plutôt fades, si l’on excepte Richard Johnson (La Maison du diable) pourtant très fatigué. La mimi Tisa Farrow, loin d’avoir l’expressivité de sa sœur, s’en sort avec les honneurs. Quant à Ian McCullough et Al Cliver, inutile de dire qu’ils n’ont pas vraiment de charisme.
Mais c’est omettre l’essentiel que de se focaliser sur des défauts qui masquent les qualités plastiques de l’ouvrage et la nature du projet. À savoir une maîtrise de l’espace qui parvient à rendre totalement anxiogène un environnement paradisiaque filmé en plein jour. Tout n’est que désolation, tristesse, poussière, pourriture. La fin du monde est proche. Scandé par la musique hypnotique de Fabio Frizzi, Fulci filme une apocalypse saisissante comme s’il faisait corps avec son sujet : les zombies déambulent dans un no man’s land évoquant un décor de western à l’abandon. Les humains se débattent dans un univers qui sombre dans le chaos, gangrené par des corps putrides surgissant de leurs tombes. L’horreur graphique éclate à l’écran : énucléation, chair arrachée, geysers de sang ininterrompus, amputations de divers membres, cervelles éclatées. Le réalisateur ne nous épargne rien et pourtant cette débauche d’atrocité n’est pas si complaisante qu’elle n’en a l’air. L’Enfer des zombies est un pur trip horrifique immersif magnifiquement cadré et photographié avec une prédilection pour les images surexposées. Un parti pris esthétique gagnant et pas du tout dans les canons à la mode de l’époque préférant la pénombre pour suggérer la terreur. L’horreur est exposée à la lumière comme si les ténèbres avaient embrasé le monde. Les morts sortent de la terre, prennent leur revanche sur une humanité en voie d’extinction. L’épilogue marque le désespoir d’un cinéaste qui s’affranchit de son pur contexte d’exploitation, tout en ne perdant jamais de vue la dimension ludique et voyeur de son film, devenu avec le temps un classique.
D’une certaine manière, Lucio Fulci s’adapte à un genre qu’il se réapproprie tout en suivant à la lettre un scénario linéaire. À l’avenir, il va laisser libre cours à ses expérimentations narratives et visuelles, à ses visions macabres, quitte à flirter avec l’illogisme.
L’Enfer des zombies lui offre l’opportunité d’ouvrir son cinéma vers d’autres horizons. Mais il n’est pas encore dans le lâcher prise, freine sa folie latente et reste encore terre à terre avec son histoire classique, transgressée à de rares occasions par des séquences triviales.
Il franchira un cap supplémentaire avec ses films suivants insufflant une poésie macabre et tourmentée avec Frayeurs et L’Au-delà. Fabrizio De Angelis de son côté a préféré capitaliser le succès du film sorti sous le titre de Zombi 2 en rajoutant des séquences situées à New York, filiation opportuniste avec le chef-d’œuvre de George Romero. Il va enchaîner sur un ersatz ridicule mais jouissif, l’inénarrable Terreur des Zombies, aka Zombi holocaust de Marino Girolami.
Quant à la polémique sur la nouvelle édition d’Artus, elle demeure objectivement injuste. La copie proposée est magnifique même si on peut regretter un lissage des images, à contrario de celle de Blue underground, sans doute plus fidèle à l’originale. Mais le livret de 80 pages est passionnant, signé par quelques plumes acérées comme David Didelot, Gilles Vannier, Didier Lefèvre et Lionel Grenier.
Les bonus, synthétiques, ne virent pas au remplissage. Lionel Grenier revient sur le film avec son érudition coutumière. Alain Petit évoque la diffusion de l’œuvre sur Canal + dans Quartier interdit avec les deux versions. Maurizo Trani relate sa carrière en tant que maquilleur. Mais l’intervention la plus précieuse reste celle de Dardano Sacchetti qui n’a pas sa langue dans sa poche. Volubile à l’excès, il n’hésite pas à balancer ses petits camarades et livrer des anecdotes intéressantes, à prendre évidemment avec des pincettes.
(ITA-1979) de Lucio Fulci avec Ian McCullough, Tisa Farrow, Richard Johnson, Al Cliver, Olga Karlatos
Format : 2.35 (16/9)
Langues : Français, italien
Sous-titres : Français
Durée : 91 mn (blu ray) 87 mn (DVD)
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