Disponible en import chez Blue Underground et seulement en DVD en France chez feu Neopublishing, Manhattan Baby sort enfin en Blu-ray chez Le Chat qui fume avec un autre Lucio Fulci malaimé, Le Chat noir. N’y voyez nul sarcasme avec le terme « enfin ». C’est juste que le film, visible dans une copie du plus bel écrin, redonnant une vigueur aux couleurs d’origine, vaut largement mieux que son exécrable réputation, celle d’un effroyable ratage au scénario incompréhensible marquant le début du déclin de la carrière du réalisateur Italie. Comparé aux classiques vénérés par la geekosphère, de L’Enfer des Zombis à La Maison près du cimetière, le film n’a rien d’honteux. Il pâtit surtout d’un assagissement radical concernant la violence graphique, et donc le gore, marque de fabrique du cinéaste depuis la fin des années 70. Au grand désarroi des fans, l’absence d’énucléations, de tripes à l’air et de surenchère d’hémoglobine, a eu pour effet un rejet sans appel et injuste du film.

Manhattan Baby (1982) - Moria

Copyright Le Chat qui fume

Plutôt qu’un appauvrissement de son cinéma, ne pourrait on pas y déceler plutôt un désir de se renouveler, de s’émanciper des éternels visions de morts-vivants putréfiés sur des récits lovecraftiens ? La filmographie de Lucio Fulci est suffisamment dense et éclectique pour que cette hypothèse soit valide même si le résultat ne convainc pas totalement. Il ne s’agit d’un chef-d’œuvre maudit ni d’un grand film malade, soyons honnête. Pourtant, Manhattan Baby, connu des amateurs de VHS sous le titre La Malédiction du pharaon, révèle sa beauté, non pas par ses partis pris narratifs discutables, mais par son désir de traiter le fantastique selon la logique des rêves, comme un pur cinéma de sensation. Cette variation singulière – et anachronique à sa sortie en 1982 – de L’Exorciste, qui débute avec un envoutant prologue situé en Égypte, où le talent visuel du cinéaste se manifeste par sa variété des plans et sa maîtrise de l’espace magnifié par une superbe utilisation du scope, fascine davantage pour son atmosphère onirique que pour son intrigue illogique. Le professeur Hacker se rend en Égypte avec sa famille. Il découvre un tombeau inexploré. Au même moment où sa fille se voit offrir une étrange amulette par une vieille femme aveugle, le professeur est confronté à une force démoniaque qui lui ôte la vue. Retour au bercail, à New-York. D’étranges phénomènes se produisent et les morts violentes s’accumulent. L’amulette ne serait pas étrangère à la situation.

A Curse Across Time – Manhattan Baby (1982) – The Telltale Mind

Le scénario de Dardano Sacchetti et Elisa Briganti s’embourbe dans un salmigondis de croyances antiques scandé par des incohérences successives. Cela dit, en s’écartant des tropes religieux, avec son imagerie aussi pieuse que conformiste, il offre au spectateur des situations inédites, des visions déroutantes comme ce sable qui se répand dans la demeure des protagonistes. Lucio Fulci recycle certaines idées de L’Au-delà : la vieille aveugle qui apparait à Lucy remplace la jeune femme avec son chien, l’un des personnages n’est plus attaqué par des araignées dans sa bibliothèques mais par des oiseaux empaillés. Amputé d’une partie de son budget en cours de tournage, Manhattan Baby est clairement un film hybride, qui oscille entre une facture de série B américaine, avec ses extérieurs sans éclat de New-York, ses plans télévisuels sur les immeubles et ses références appuyés à Poltergeist  et sa nature profondément italienne, enracinée dans un traitement du genre éloigné d’une construction cartésienne, davantage portée par son climat poétique et mélancolique que par une inclinaison à en mettre plein la vue. L’histoire avance par des intuitions et digressions difficile à cerner, moins évidentes à accepter que dans certains autres films du réalisateur dont l’univers était très cohérent dans son illogisme excessif. Là on se retrouve dans un entre deux perturbant, avec une représentation d’un réel tangible, presque banal soudain maltraité par des incursions oniriques, plus proche du conte de fée que de l’horreur traditionnel. Si l’efficacité n’est pas au rendez-vous, en raison d’effets spéciaux rudimentaires et de trous scénaristiques (les liens entre la cécité de l’archéologue et l’amulette ne sont pas explicites), le film parvient à séduire par son climat étrange et surréaliste, transcendé par le savoir-faire d’un cinéaste qui n’a pas perdu la main dès qu’il s’agit de créer une tension lors des (rares) scènes de meurtres. Manhattan Baby bénéficie également de la très belle photographie de Guglielmo Mancori, d’une excellente partition de Fabio Frizzi qui revisite l’un des thèmes hypnotiques de L’Au-delà et de la présence de comédiens convaincants, dont la jeune Martha Taylor, parfaite dans le rôle de la fille du professeur. Une œuvre à redécouvrir et réévaluer d’urgence !

Film] La Malédiction du Pharaon, de Lucio Fulci (1982) - Dark Side Reviews

L’excellente édition du Chat qui fume propose en bonus le formidable documentaire Fulci For Fake, réalisé par Simone Scafidi, sorte de faux biopic rêvé sur le cinéaste ainsi qu’une interview de l’actrice Cinzia de Ponti.

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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