Le cinéma de genre italien charrie avec lui toute une tradition de relectures décomplexées (voire de plagiats purs et simples) de succès internationaux. Si les bisseux de tout poil se délectent des divers « remakes » signés Enzo G. Castellari (La Mort au large, décalque des Dents de la mer, Les Guerriers du Bronx, mêlant le post apocalyptique tendance Mad Max aux Guerriers de la nuit), ou Joe d’Amato (Ator, version toute personnelle de Conan le barbare) certains cinéastes plus « institutionnalisés » ne sont pas en reste. Pour une poignée de dollars de Sergio Leone n’est-il pas qu’un simple décalque de Sanjuro d’Akira Kurosawa transposé au far west ? Mario Bava, réalisateur ô combien respecté, initiateur du giallo avec son fondateur La Fille qui en savait trop, se plie également à l’exercice. Celui qui vient de tourner Les Mille et une nuit et Hercule contre les vampires (en plus de son travail sur Esther et le roi de Raoul Walsh), persiste dans sa veine aventures à grand spectacle et jette son dévolu sur l’un des succès américains de l’année 1958 : Les Vikings de Richard Fleischer. Entouré des scénaristes Oreste Biancoli (notamment à l’œuvre sur Le Voleur de bicyclette) et Piero Pierotti (spécialiste ès péplum et cape et d’épée), il s’attelle donc au script de La Ruée des Vikings. Première incursion du metteur en scène dans l’univers des guerriers scandinaves – il y retournera en 1966 à l’occasion de Duel au couteau –, Gli Invasori (de son titre original) suit le parcours d’Erik (George Ardisson) et Eron (Cameron Mitchell), deux frères séparés durant l’enfance, devenus, par la force des choses, rivaux lors de la guerre opposant les peuples du nord aux Britanniques. Le Chat Qui Fume, toujours prompt à exhumer des pépites méconnues ou oubliées, propose désormais une superbe édition Blu-Ray, deux ans après sa ressortie en salles sous l’égide du Théâtre du Temple, au même titre que Six femmes pour l’assassin et Les Trois visages de la peur (lui aussi disponible chez l’éditeur).
De prime abord, le long-métrage remplit sagement son contrat de version bis du classique de Fleischer, décalquant purement et simplement certains éléments de l’intrigue (le conseiller veule et traître), voire même de sa mise en scène. Bava s’amuse à reprendre quasiment plan pour plan une séquence d’action montrant un guerrier escaladant une citadelle. La Ruée des Vikings prend ainsi par moments les atours d’un jeu des différences ludique et assumé, dans la grande tradition du genre. Le récit de ces frères ennemis (Cameron Mitchell offre par ailleurs une superbe imitation de Kirk Douglas) se teinte ici d’une histoire d’amour en forme d’imbroglio à base de sœurs jumelles. Le malentendu cocasse s’écarte de sa nature de ressort scénaristique galvaudé pour mener à une très belle scène d’adieu, éliminant, en revanche, toute l’ambiguïté morale du final du film « original ». Comme toujours dans ce type de production, le spectateur trouvera son lot de perruques improbables, de doublures visibles, de poupons en plastique et de figurants sans grande conviction, ajoutant une patine gentiment kitsch et un charme certain à l’ensemble. Pourtant, il serait malhonnête de résumer Gli Invasori à un simple plagiat dénué de tout intérêt cinématographique, car si le réalisateur écope d’un budget bien moindre que celui de son homologue américain produit par la MGM, il tire parti de chaque élément afin de livrer une oeuvre spectaculaire. En cela, la scène de couronnement d’Erik, avec sa salle du trône étroite et ses sujets étonnamment peu nombreux, est symptomatique. Elle offre l’occasion au cinéaste de prouver (si besoin était) sa science certaine du cadre, mettant en valeur chaque détail par d’amples mouvements de caméra, donnant au simple geste d’enfiler une cape, une dimension grandiose et solennelle, faisant ainsi oublier la petitesse du décor. Si la prophétie fataliste aux accents de tragédie du récit initial disparaît au profit d’un rendu plus trivial, plus terre à terre, c’est pour mieux servir les motifs récurrents de l’auteur italien.
La Ruée des Vikings s’ouvre sur le pillage d’un village et le massacre de ses habitants par les troupes du roi d’Angleterre. Loin d’être anodine cette inversion par rapport au long-métrage de Fleischer, qui faisait des Anglais le peuple civilisé, démontre l’envie de Mario Bava de représenter l’époque dans tout ce qu’elle avait de plus dur, de plus cruel, évitant le manichéisme facile. Loin de toute velléité de réalisme (contrairement encore une fois au film de 1958), le cinéaste fantasme la quête de ses héros à travers une lumière expressionniste et des plans monochromes, devenus depuis longtemps sa marque de fabrique. Signant lui-même la superbe photographie, il offre de pures visions qui impriment durablement la rétine du spectateur, comme cette bataille sur fond de soleil couchant, ou ce rituel dans lequel une femme adultère se retrouve entravée par des ronces au-dessus d’un ossuaire. Créant sa propre mythologie viking, il imagine et façonne des traditions (une danse du ventre très orientale), des vêtements (principalement des peaux de bêtes évoquant plus des hommes préhistoriques que des guerriers nordiques) et des lieux – à l’image de cette étrange grotte creusée au milieu des racines d’un arbre, qui sert visiblement d’habitation et de temple – qui s’écarte d’une quelconque véracité tangible. Mêlant ainsi diverses influences historiques, légendaires et cinématographiques (les danseuses sont probablement héritées de son précédent Mille et une nuits), dans une sorte de syncrétisme filmique, le réalisateur s’amuse à donner naissance à son propre univers. Si Les Vikings abordait l’avancée scientifique comme rempart à l’obscurantisme des croyances à travers la découverte de la boussole, Gli Invasori, quant à lui, prend un chemin bien différent. La vestale (autre emprunt, à la civilisation latine cette fois) interprété par Alice Kessler, se retrouve ainsi fascinée par la luxueuse croix que porte Erik en pendentif, le christianisme devenant alors source de fascination pour les peuples barbares. Si l’on est en droit de reprocher un certain relent de prosélytisme catholique opposé aux croyances païennes, il faut surtout y lire l’obsession de la culture européenne – surtout méditerranéenne au vu des références invoquées – pour le faste du cinéma anglo-saxon hollywoodien alors dominant. Sous ses atours de simple décalque opportuniste, La Ruée des Vikings se pose en spectacle généreux et élégant, pétri d’une imagerie souvent sidérante. Le metteur en scène offre une relecture des récits scandinaves vus à travers le prisme de son propre héritage. Un travail d’artisan piratant les mastodontes yankees afin de les personnaliser, de les faire siens.
Le très beau master proposé par Le Chat Qui Fume s’accompagne d’un bonus intitulé Le Petit prince, une interview de Loris Loddi, interprète d’Erik enfant. L’acteur évoque son arrivée sur le projet (son père en avait eu vent par son ami, Jack Palance, qui tournait alors Barabbas, également signé Richard Fleischer) et salue avec émotion la mémoire de George Harrison.
Disponible en Blu-Ray chez Le Chat Qui Fume.
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