De la même manière qu’on parle des films des Marx brothers ou de Laurel et Hardy (sans évoquer le nom des réalisateurs), il faudrait dire d’emblée que L’espion qui venait du surgelé est moins un film de Mario Bava qu’un film de Franco et Ciccio. Difficile de reconnaître dans ce pastiche farfelu la patte de l’auteur de Six femmes pour l’assassin et du Masque du démon qui s’illustrera pourtant dans le film d’espionnage pop avec talent en réalisant Danger : Diabolik.

Il faut dire que l’histoire de L’espion qui venait du surgelé est assez compliquée. A l’origine, il s’agit d’une production AIP, la mythique compagnie spécialisée dans la confection de films à petits budgets (notamment ceux de Roger Corman) qui souhaitait alors réaliser une suite au Doctor Goldfoot and the bikini machine de Norman Taurog avec Vincent Price.

C’est l’époque où le triomphe de James Bond contre Dr No a engendré une flopée de produits dérivés et où les espions en tout genre envahissent les écrans. En France, ils s’appellent OSS 117 ou Coplan mais l’Italie n’est pas en reste, notamment lorsqu’il s’agit d’accentuer la dimension fantaisiste et parodique du genre (voir Opération Goldman, très récemment édité par Artus Films). Comme les coûts de production sont beaucoup moins élevés en Italie, AIP opte pour la carte de la coproduction mais se heurte rapidement à une volonté italienne de réaliser un pastiche qui serait avant tout un véhicule pour le duo comique vedette du moment : Franco et Ciccio.

Difficiles de réaliser le succès que connurent Franco et Ciccio dans la mesure où leurs films franchirent rarement les frontières et que leur « humour » s’adressait avant tout au marché national. Néanmoins, ils finirent par être repérés par les cinéphiles puisque Pasolini les fit tourner ainsi que Comencini (Pinocchio) et les Taviani (Kaos). Ciccio Ingrassia obtint même un petit rôle mémorable dans le Amarcord de Fellini.

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L’espion que venait du surgelé , renié ensuite par Bava, sera le fruit de cette union improbable entre des producteurs américains souhaitant rentabiliser une bonne affaire et des italiens désireux d’exacerber la dimension parodique et burlesque du cinéma d’espionnage. Vincent Price endosse une fois de plus la défroque du Docteur Goldfoot, génie du mal menaçant la planète et inventeur de femmes que l’on pourrait qualifier de « bombes » au sens littéral du terme : lorsque les hommes se montrent trop pressants avec elles, elles explosent ! Par un étrange concours de circonstances, Franco et Ciccio sont désignés pour mettre fin à ses agissements.

La confrontation entre le grand Vincent Price et les deux corniauds est pour le moins surprenante et évoque les pastiches américains des grands mythes fantastiques où Abbott et Costello affrontaient Bela Lugosi. Dire que les deux cabots en font des tonnes relèvent de l’euphémisme : à côté de leurs grimaces, Jerry Lewis et Michel Leeb font songer à Buster Keaton ! Franco, le petit, roule constamment des yeux, crispe sa mâchoire, gesticule, pousse des cris d’orfraie et va même jusqu’à se déguiser en coq qu’il imite à la perfection (il peaufine une démarche de dindon que saura reprendre à son compte Aldo Maccione!).

Ciccio, visage longiligne et singulier rappelant un peu celui du grand Daniel Emilfork, est le plus « posé » des deux ; celui qui tance régulièrement son compagnon lorsqu’il provoque des catastrophes.

Les amateurs de gags subtils et de poésie burlesque passeront leur chemin. Néanmoins, si on accepte les (nombreuses) facilités de cet humour « hénaurme », le film distille un certain charme nonsensique. Par sa manière de prendre les expressions au pied de la lettre (Franco arrache l’oreille de Ciccio lorsque celui-ci lui dit de « tendre l’oreille »), de multiplier les gags absurdes (après les avoir vus dévorés par des piranhas, le spectateur peut constater que les chinois ont… un squelette jaune!), de citer de manière parodique des classiques de l’époque (un amusant pastiche de la scène finale de Docteur Folamour) ; le duo finit par nous dérouiller les zygomatiques. Certes, il faut aussi subir de bons gags idiots qui anticipent les riches heures de Benny Hill (les poursuites en accéléré) mais l’ensemble ne s’avère pas désagréable. On goûte par ailleurs au charme juvénile de Laura Antonelli et à une chorégraphie de « femmes bombes » en bikinis tout à fait recommandable ; scène qui se termine par quelques gags très drôles, notamment celui où Ciccio se déguise en Vincent Price qui croit voir son reflet dans un miroir !

Le pauvre Price semble d’ailleurs ne pas très bien savoir dans quelle galère il s’est fourré et le voir déguisé en nonne pourra certainement provoquer quelques infarctus du côté des zélateurs du grand comédien.

Qu’importe ! Si le film ne s’adresse pas aux thuriféraires de l’œuvre de Mario Bava ni aux cinéphiles épris de raffinement, L’espion qui venait du surgelé donne une furieuse envie d’en savoir plus sur Franco et Ciccio qui tournèrent notamment une dizaine de films sous la direction de Lucio Fulci.

La « comédie désolante » (selon l’expression de Christophe Bier) reste un continent méconnu qui mériterait sans doute d’être exploré plus en profondeur.

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Suppléments.

Artus a fait les choses en grand en proposant aux spectateurs le montage italien du film mais également son montage américain (plus court). Furieux de voir que Vincent Price n’avait plus qu’un rôle de faire-valoir, AIP a réalisé un autre montage pour sortir le film aux États-Unis, tranchant le plus possible dans les pitreries de Franco et Ciccio. En revanche, dans ce montage apparaît plus longuement Laura Antonelli, notamment pour une scène de danse sexy qui se termine en explosion. Pour plus de détails, on se reportera sans hésiter à la passionnante présentation d’Eric Peretti qui revient sur la genèse du film et l’existence de ces deux versions.

L’espion qui venait du surgelé (1966) de Mario Bava

avec Franco Franchi, Ciccio Ingrassia, Vincent Price, Laura Antonelli.

Éditions Artus Film

Sortie le 5 avril 2015

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