Mark DiSalle et David Worth – « Kickboxer » (1989)

En 1979, le producteur et réalisateur israélien Menahem Golam s’associe avec son cousin, Yoram Globus, afin de racheter Cannon Group, une petite société de production, pour la modique somme de 500 000 dollars, en vue de s’implanter à Hollywood. L’enseigne, jusqu’à lors spécialisées dans la sexploitation – ses premiers succès ayant été au cours des années 60, la réalisation de versions anglaises pour les films pornographiques suédois de Joseph W.Sarno comme Inga, la séductrice au corps de velours et To Ingrid, My Love, Lisa – va connaître un changement de cap sous la houlette de ses nouveaux propriétaires. La série B d’action est le nouveau créneau, les premières vedettes maisons se nomment Charles Bronson et Chuck Norris et la firme se distingue par une productivité impressionnant (parfois plus de dix films produits la même année !), lui permettant de profiter pleinement d’un marché salles et vidéo très demandeur. Le duo Golam/Globus étend son influence en rachetant des salles de cinéma dans plusieurs pays d’Europe ainsi que les studios londoniens d’Elstree avant de devenir dans un certain nombre de territoire, son propre éditeur vidéo. Tout simplement, la Cannon devient la boite de production indépendante la plus puissante du monde et va régner à ce rythme fou près d’une décennie durant. Parmi ses gros « hits », se côtoient pèle-mêle les suites de Death Wish (si l’on défend fermement le premier opus, les séquelles vont de mal en pis), le premier Highlander, Delta Force (réalisé par Menahem Golam lui-même). Le succès ne suffisant pas, une recherche de respectabilité occasionne la mise en chantier de projets venant radicalement trancher avec la ligne directrice du studio, on peut retrouver dans leur catalogue des œuvres telles Love Streams de John Cassavetes, Fool for Love de Robert Altman, Barfly de Barbet Schroeder, un Runaway Train transcendé par l’approche existentialiste d’Andreï Kontchalovski ou encore une version du Roi Lear signée Jean-Luc Godard avec Molly Ringwald (Breakfast Club), Julie Delpy, Woody Allen, Leox Carax et le cinéaste Helvète en personne. Un documentaire sorti en 2014, The Go-Go Boys de Hilla Medalia retrace de manière aussi plaisante qu’instructive l’histoire de la Cannon en retraçant l’ascension et la chute de ses producteurs.

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En parallèle, en 1982, un certain Jean-Claude Van Varenberg, alors âgé de vingt-deux ans, quitte sa Belgique natale et arrive, 3 000 dollars en poche, à Los Angeles, en compagnie de son ami d’enfance Mohamed Qissi. Passionné d’arts martiaux, ceinture noire de karaté, sacré Mr. Belgium en 1978, également passé par la danse classique, celui qui deviendra célèbre sous le nom de Jean-Claude Van Damme rêve lui aussi de conquérir Hollywood. Les premières années sont délicates, entre des petits boulots et des petits rôles loin de satisfaire un homme ambitionnant d’occuper le devant de l’affiche. Un jour, il provoque la rencontre qui se révélera décisive pour sa carrière, en allant approcher Menahem Golam à la sortie d’un restaurant et lui faisant une petite démonstration de ses talents physique sur un parking. L’audace est récompensée, rendez-vous pris le lendemain au bureau du producteur, avec à la clé le premier rôle dans un film intitulé Bloodsport (1988). Scénario bas de gamme sorti des tiroirs, budget très faible, tournage chaotique, l’affaire semble très mal embarquée. Après un premier montage désapprouvé par Golam, JCVD parvient à convaincre ce dernier de reprendre les choses en main, devenant alors monteur et réalisateur. Inexpérimenté mais intuitif, sa version est celle commercialisée en vidéo, puis – suite au succès rencontré – dans un deuxième temps, en salles. Nouvelle icône en puissance du cinéma d’action, les projets s’enchaînent rapidement avec L’Arme absolue (1988) et Cyborg (1989), sorte d’ersatz cheap et bas du front de Max Max initialement pensé comme une suite des Maîtres de l’univers avec Dolph Lundgren, qui sera ultra rentable. Dans ce contexte, où Van Damme est entre guillemets, une attraction nouvelle que le grand public découvre, chaque nouvelle apparition sur un écran est un événement venant consolider son statut de star. Avant d’aller plus loin, rappelons que durant le règne de la Cannon, un film qui a triomphé commercialement au milieu de la décennie 80 a laissé une influence palpable au point de poser certains standards, au grand dam des amateurs de bon goût. Il s’agit de Rocky IV de Sylvester Stallone, dont la tonalité fortement manichéiste et le schéma narratif aussi simpliste qu’efficace (la vengeance), ainsi qu’en prime le choix d’un cadre géographique à la fois exotique et hostile (la Russie), génère bien des émules, parmi lesquels figurent évidemment, le présent Kickboxer. Eric Sloane (Dennis Alexio), champion du monde en titre de kick-boxing, voyage avec son frère Kurt (Jean-Claude Van Damme) en Thaïlande afin d’y affronter Tong Pô (Michel Qissi, nom de scène de Mohamed Qissi), le champion local. Malgré les avertissements de son frère, Eric décide d’affronter son adversaire. Battu sauvagement, il reçoit un terrible coup au dos alors qu’il est déjà au sol et hors de combat. Sa moelle épinière sectionnée, Eric restera définitivement paraplégique. Bouleversé, Kurt souhaite se venger en affrontant Tong Pô. Pour ce faire, il part apprendre le muay-thaï auprès de Xian Chow, un ancien maître vivant en ermite loin de tout…

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Réalisé en binôme par Mark DiSalle (producteur de Bloodsport, dans lequel il était également acteur) dont il s’agit de l’unique réalisation, et David Worth (directeur de la photographie sur Bloodsport mais aussi, plus étonnant, quelques années plus tôt sur Bronco Billy de Clint Eastwood et Ça va cogner de Buddy Van Horn) doit en grande partie sa survie dans les mémoires et son petit capital sympathie à sa tête d’affiche. Inutile de tourner autour du pot, Kickboxer reprend à son compte de manière sommaire plusieurs figures archétypales (antagoniste, mentor,…) au service d’un récit vengeur accumulant des clichés déjà éculés au moment de sa production, lequel véhicule des valeurs aussi primaires que ringardes. Sur ce dernier point, il peut être intéressant de rappeler qu’à leur manière, les films de la Cannon ont contribué à répandre l’idée, nourri l’imaginaire d’une masculinité qui ne serait véritable qu’à travers une virilité exacerbée et une attitude « dominatrice » en imposant à l’écran la vision des hommes forts et puissants. À n’en pas douter, cet aspect mais aussi d’autres considérations – à minima archaïques – sur la gent féminine présentes dans le long-métrage, ne devraient pas faciliter une éventuelle réconciliation entre l’acteur Belge et notre Marlène Schiappa nationale. Néanmoins, en digressant et focalisant l’attention sur les contours on en vient à oublier, l’une des principales raisons, si ce n’est la, pour laquelle l’ensemble a été pensé : ses scènes de combats. Séquences chorégraphiées et réalisées par Jean-Claude Van Damme (également scénariste) qui constituent le véritable motif d’excitation éventuelle durant le visionnage. Acteur limité mais personnage attachant par son mélange de candeur et générosité, il s’agit surtout d’un combattant aussi impressionnant que spectaculaire, doté de quelques instincts quant à la mise en scène de l’art martial au cinéma. Le découpage des passages en question est ici assez rudimentaire (on alterne généralement entre deux valeurs de cadres occasionnellement entrecoupées d’inserts du public) tout en mettant un point d’honneur à valoriser les prouesses physiques de ses personnages et rendre les chorégraphies les plus fluides, les plus lisibles possible, la durée relativement longue des plans ne nuisant ni au dynamisme de l’action ni à l’impact des coups. Cette volonté de mettre en avant le caractère réel des coups, la véracité de ce qui se déroule à l’écran, va de pair avec un autre parti pris, celui du tournage en décors naturels. À l’image de son impressionnant cadre pour les séquences d’entraînements, le ballet des corps est optimisé par rapport à l’environnement dans lequel il se passe, avant que la caméra ne vienne capturer ces performances. Une recherche d’authenticité qui contribue à sa singularité, témoignant si besoin était, de la passion véritable de JCVD pour les disciplines martiales qu’il filme. Il est d’ailleurs intéressant de constater que plus tard dans sa carrière, dès qu’il en aura la possibilité, il ira chercher des maîtres du cinéma d’action hongkongais (John Woo, Ringo Lam, Tsui Hark) – faisant de lui un précurseur dans leurs exils respectifs – pour se donner les moyens de franchir un cap, conscient qu’ils sont les meilleurs dans le domaine.

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Avec toutes les limites que cela peut impliquer, Kickboxer conserve son efficacité relative grâce à ses scènes de combats brutales et spectaculaires, tout en bénéficiant d’un petit charme rétroactif vis-à-vis d’un pan de cinéma partiellement disparu aujourd’hui ou du moins qui ne bénéficie plus du tout de la même exposition. À l’occasion du 30ème anniversaire du film, l’éditeur ESC propose une édition qui devrait faire le bonheur des fans, soit un Combo DVD/Blu-Ray auquel s’ajoute un livret de vingt-quatre pages et un poster. En plus d’un nouveau master en haute-définition de très bonne facture (ceux qui ont usés leurs VHS et DVD seront aux anges), on retrouve quatre entretiens en guise de supplément. On retient principalement celui avec Jean-Claude Van Damme et surtout celui avec Hélène Merrick, spécialiste du cinéma d’action musclé (auteur d’un ouvrage sur le sujet intitulé Dans leurs gros bras) qui fut la première à publier une interview de « The Muscles From Brussels » en France au moment de la sortie de Bloodsport.

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A propos de Vincent Nicolet

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