Marlon Brando – « La vengeance aux deux visages »

Vengeance froide

L’unique réalisation de Marlon Brando est finalement assez conforme à ce que fut sa carrière de comédien. Lorsqu’il débute devant la caméra en 1950, le classicisme hollywoodien est à son apogée et Brando sera vite adopté par les grands cinéastes de l’époque : Kazan, Mankiewicz… Mais son apparition dans Un tramway nommé désir marque aussi une véritable rupture dans la manière d’aborder les rôles qui va bientôt donner un autre visage au cinéma américain. Formé à la méthode de Stanislavski, Brando marque l’irruption d’un nouveau type de « sex symbol » jouant la carte de l’intériorité, de l’animalité et d’une certaine ambiguïté sexuelle (que l’on retrouvera chez son aîné Montgomery Clift ou son cadet James Dean).

La Vengeance aux deux visages porte en son sein ce mouvement de balancier entre un certain classicisme et le début d’une vraie modernité. Classique, le film l’est puisqu’il s’agit d’un western et que l’on retrouve tous les motifs qui ont fait la popularité du genre : hors-la-loi charismatiques, grands espaces, opposition entre la Loi et un certain code de l’honneur, duels au pistolet et vengeance froide…

Mais par certains traits, le film annonce déjà les mutations du genre que l’on constatera chez des cinéastes comme Peckinpah (à qui le scénario avait d’abord été confié) et qui culminera avec le western italien. Brando accentue en effet le côté cynique des personnages et traite la violence d’une manière beaucoup plus réaliste.

Mais revenons au récit à proprement parler. Trois truands braquent une banque dans un village mexicain et sont pourchassés par la police locale. L’un est abattu tandis que Rio (Brando) et Dad Longworth (Malden) parviennent à s’enfuir. Parti chercher des chevaux, Dad trahit son compagnon et s’enfuit avec le magot. Rio est arrêté et passe cinq années en prison. Lorsqu’il s’en échappe, il n’a plus qu’une idée en tête : retrouver Dad et se venger…

© Carlotta Films

Le film repose beaucoup sur la performance de Brando, entre mutisme inquiétant et cynisme absolu. Rio est un concentré de violence mais une violence rentrée, prête à exploser à chaque instant et que le comédien enrobe des atours de la séduction. Ce personnage n’a plus rien des justiciers idéalistes de l’Amérique des pionniers. Rien d’autre ne l’intéresse que le gain et d’accomplir son funeste destin. Chez cet homme cynique et nihiliste, il y a déjà quelque chose de « l’homme sans nom » qu’incarnera Eastwood chez Leone. La scène de retrouvailles entre les deux hommes est déjà mise en scène comme dans un western italien (silhouette menaçante qui apparaît dans le lointain, dilatation du temps, gros plans sur le visage de Dad gagné par l’inquiétude…). La seule humanité qui reste chez Rio, c’est dans son rapport avec Louisa, la belle-fille de Dad qu’il séduit d’abord par calcul (un moyen d’assouvir sa vengeance de manière agréable !) et dont il tombe sincèrement amoureux.

Tout en se situant résolument hors la loi, Rio reste néanmoins attaché à un certain code d’honneur (ne pas trahir ses compagnons, rester fidèle à ses amis et à la femme qu’il aime…). L’ironie du sort veut que Dad, le « traitre » soit devenu shérif. On retrouve ici un thème typiquement américain qui veut que les représentants de l’ordre légal soient souvent plus malhonnêtes que les bandits. Brando joue plutôt bien sur cette zone floue entre légalité et illégalité, entre justice « officielle » (terrible scène où Dad fait fouetter Rio en place publique) et loi du talion.

Le grand intérêt de La Vengeance aux deux visages tient également au lien qui unit Dad et Rio. Comme son nom l’indique, « Dad » est un père de substitution pour Rio et il appelle d’ailleurs ce dernier « kid ». Brando réalise donc une sorte de western œdipien puisque le fils découvre les faiblesses de son père et décide de le tuer (et accessoirement de coucher avec sa « sœur » : je mets des guillemets puisqu’il n’y a aucun lien de sang entre les deux). Cette thématique peut alors apparaître comme une métaphore du rapport de Brando au classicisme. Une tentative de lui rendre hommage tout en le « tuant » symboliquement pour s’émanciper et s’engager sur la voie de la modernité…

La Vengeance aux deux visages (1960) de et avec Marlon Brando et Karl Malden, Katy Jurado, Ben Johnson (Editions Carlotta films) Sortie en DVD le 11 juillet 2018

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A propos de Vincent ROUSSEL

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