Si évoquer le regard au cinéma relève de l’évidence, quand un cinéaste choisit pour héroïne une photographe, il devient le sujet du film. Dans L’Amour des hommes, circulant des yeux d’Amel à ceux de ses modèles, il ne se limite pas à l’objectif de l’appareil photo.
Frappée par la mort soudaine de son compagnon, se retrouvant sous la protection de son beau-père, lequel se voit autant en mécène qu’en père de substitution, la jeune femme fait face à la violence de son amour disparu en s’engageant dans un nouveau projet artistique l’amenant, en quelque sorte, à sortir d’elle-même. Le film débute par une succession d’auto-portraits qui figent tout ce qu’Amel ne veut pas exprimer, autant d’archétypes féminins qui, dans la Tunisie contemporaine, ne la représentent pas.
Déterminante, sa rencontre avec Rabah, la séance improvisée qui en découle, montre la voie du chemin que la photographe va explorer. En imposant son regard d’artiste mais aussi de femme, le posant sur les corps presque nus de jeunes hommes devenus objets de désir, mais désirant eux-mêmes, Amel inverse les rapports de force, voire de domination, qui régissent autant les relations sociales qu’intimes. Magnifiquement éclairée, captant les regards et leurs interactions, la lumière diffuse voilant l’érotisme prégnant de la scène, la séquence illustre la dimension charnelle d’un film d’apparence chaste mais plus profondément transgressif.
Amel évolue certes dans un milieu privilégié. Ses protecteurs bourgeois lui offrent la possibilité de se concevoir et de s’exprimer en artiste dans une Tunisie que le réalisateur Mehdi Ben Attia montre telle qu’il la perçoit. Loin des fantasmes de ceux qui ne la connaisse pas, Tunis apparaît bouillonnante et riche, vivante et volontaire. À ce titre, la dernière séquence du film illustre autant le nouveau départ d’Amel que la diversité d’une ville qui échappe aux images stéréotypées d’une cité chaotique.
L’Amour des hommes dresse le double portrait d’une femme et d’une artiste. Le soin avec lequel Mehdi Ben Attia met en scène les séances photo, l’implication d’Hafsia Herzi dans ce projet écrit pour elle et la manière dont elle s’approprie son personnage, habitent le film d’une douceur sereine mais déterminée. À travers la figure de la photographe, elle-même double de cinéma (combinaison du cinéaste et de son actrice), le film avance à visage découvert dans une Tunisie qui se reconstruit avec une volonté positive.
La bienveillance avec laquelle le réalisateur filme ses acteurs, sa foi affichée dans son personnage principal, la conviction que les femmes peuvent acquérir leur liberté par leur propre volonté, nourrissent un long métrage délicat et audacieux qui, en inversant les regards, en assumant avec Amel son désir des hommes, participe au long changement des mentalités.
De quasiment tous les plans, affichant une détermination sans faille, profondément cinégénique, Hafsia Herzi nourrit Amel d’un mélange d’assurance et de nonchalance naturelle et s’impose avec autorité au milieu d’un casting masculin troublant et contrasté. La réussite de L’Amour des hommes tient aussi au regard que la caméra porte sur la beauté des corps, l’alchimie mystérieuse de leur langage et la profondeur des âmes qu’ils accueillent.
L’Amour des hommes est disponible en DVD chez Epicentre Film depuis le 21 août 2018, tentez de gagner un exemplaire en participant au concours ici.
Chronique initialement publiée pour la sortie du film en salles le 28 février 2018.
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