Michael Anderson fait partie de ces cinéastes méconnus du grand public et peu prisés par la critique mais dont certains films ont été de véritables succès en salles ou ont acquis le statut de film culte avec le temps. Le Tour du monde en 80 jours, L’Age de cristal ou encore Orca sont devenus des références, petits phénomènes qui ont gagné une respectabilité méritée. La carrière de Michael Anderson, marquée par sa longévité s’étalant sur un demi-siècle et son éclectisme, s’apparente à celle de son compatriote John Guillermin. Tous deux ont débuté la même année en 1949 (Private Angelo pour Anderson et Torment pour John Guillermin) et ont poursuivi une carrière anglaise méconnue, victimes des préjugés de la cinéphilie pour le cinéma britannique dans les années 50/60. Leur savoir-faire indéniable sur le plan technique les a conduits aux États-Unis où ils ont réalisé quelques grosses productions. Guillermin, bien rodé après des films comme Le Crépuscule des aigles ou Alerte à la bombe, prend les manettes de La Tour infernale, sans doute l’un des meilleurs films catastrophe de tous les temps. Il signe aussi un remake (peu convaincant) de King Kong. Pour Michael Anderson, l’escapade hollywoodienne est plus compliquée ; les échecs successifs de l’aberrant Doc Savage et sa mythique VF et de L’Âge de cristal, excellent film de SF qui brille à la fois par son scénario et sa direction artistique inventive, n’ont pas permis au cinéaste de se faire un nom et de s’implanter. Il remet un pied en Europe avec Orca, coproduction hétérogène de Dino De Laurentis (tout comme King Kong d’ailleurs) qui surfe sur le succès des Dents de la mer. Le film est un carton, notamment en France avec plus 1,5 million de spectateurs. Après une adaptation décevante pour la télévision des Chroniques Martiennes de Bradbury, il revient avec un projet plus modeste, du moins en terme budgétaire, avec Dominique : les yeux de l’épouvante.
Il s’empare d’un sous-genre influent dans les années 60 suite au succès des Diaboliques de Clouzot, le film de machination teinté d’une ambiance gothique. Ce changement de cap n’est pas si surprenant au regard de la filmographie d’un cinéaste à qui l’on doit deux formidables thrillers paranoïaques, le ludique bien qu’invraisemblable L’Homme à démasquer et le très hitchcockien La Lame nue. Coproduit par Milton Subotsky, le fondateur de la Amicus, firme concurrente de la Hammer dans les années 60/70, Dominique affiche, dès ses premières images, une volonté touchante de se couper du monde contemporain, hommage suranné à des histoires machiavéliques hantées par les fantômes avec pour décorum, de vastes demeures de l’ère victorienne n’entretenant aucun rapport avec la fin des années 70. Cette appétence pour l’ambiance rétro, totalement démodée, brouille les repères spatio-temporels si l’on excepte quelques plans fugaces de Londres et les inévitables coupes de cheveux de l’époque. L’immersion quasi cinéphilique – et donc nostalgique – au cœur d’une période faste pour le cinéma fantastique anglais aurait pu tourner à vide. Mais loin de l’exercice de style vain, le film de Michael Anderson possède des atouts indéniables, en premier lieu un scénario ingénieux qui prend le spectateur par surprise après une mise en place conventionnelle.
A peine remise d’une grave chute, Dominique Ballard, femme d’un riche homme d’affaires, commence à être victime d’étranges et angoissantes visions. Sa raison est-elle en train de vaciller ? Est-elle victime d’un sombre complot ? La demeure du couple est-elle hantée ? Les pistes se multiplient mais l’étau se resserre rapidement et la liste des suspects est très restreinte à l’image de la plupart des classiques du genre, de Hantise de George Cukor au Château du Dragon de Joseph L. Mankiewicz, en passant par le plus méconnu Angoisse de Jacques Tourneur. Cela étant dit, le scénario réserve son lot de surprises, affichant même une direction assez morbide. Sans en dévoiler davantage, ce serait même criminel, un premier coup de théâtre relance le film qui prend une direction originale, redistribuant intelligemment les cartes, dans un flou narratif où victimes et bourreaux ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Adapté du roman What Beckoning Ghost ? de Harold Lawlor, Dominique : les yeux de l’épouvante ne séduit pas seulement par une intrigue très habilement construite, mais aussi par sa mise en scène élégante, bien qu’anachronique à l’aube des années 80. Les impressionnants décors intérieurs sont sublimés par la magnifique photographie de Ted Moore, chef-opérateur attitré de tous les premiers James Bond, dont l’inspiration est à chercher du côté de Mario Bava, par cette utilisation ingénieuse des filtres créant ainsi une multitude de plans à l’intérieur du cadre principal. Cette sophistication, héritée de 6 femmes pour l’assassin, permet à Dominique de dépasser sa patine visuelle désuète et son écriture à l’ancienne, engoncée dans un maniérisme daté. Comme tout cinéaste britannique qui se respecte, Michael Anderson dirige à merveille ses comédiens : Cliff Robertson apporte une mélancolie un peu triste à un personnage ambigu et partiellement antipathique, Jeans Simmons, grande actrice de l’âge d’or, crève l’écran par sa seule présence et Jenny Agutter, une habituée du cinéma de genre, surprend dans un rôle faussement anodin. Échec public et critique à sa sortie, Dominique mérite d’être (re)découvert. Perçu à l’origine comme le défaut rédhibitoire ; la lenteur assumée de ce thriller gothique provoque au contraire une forme d’engourdissement inquiétante, plongeant le spectateur dans une torpeur malaisante qui sied admirablement à l’atmosphère vénéneuse d’une œuvre moins conventionnelle qu’elle n’en a l’air.Disponible en combo DVD/Blu-Ray chez Rimini Edition, Dominique bénéficie surtout d’une très belle copie permettant d’apprécier pleinement les effets de lumière du chef-op, d’autant que le film n’était jamais sorti en DVD. Jusqu’ici, il fallait se contenter de la VHS ou évidemment d’un import. L’édition, dénuée de bonus vidéo, est néanmoins accompagnée d’un livret consacré à Milton Subotsky, concocté par l’inévitable Marc Toullec, qui à son habitude délivre une mine d’informations hyper intéressantes.
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