Monte Hellman – Coffret: "L’Ouragan de la Vengeance", "The Shooting", "Cockfighter"

« The Shooting » (1967)

Il est aisé de voir dans Monte Hellman l’un des pères du cinéma américain indépendant moderne, tel qu’illustré par Gus Van Sant aujourd’hui… Ses travaux ont précédés ceux de Jerry Schatzberg ou les succès de Easy Rider et Five Easy Pieces ; illustrant une vague de films se voulant très libres qui précédèrent l’avènement du Nouvel Hollywood. Il est ainsi notable que dés 1974 il soit devenu très difficile pour Hellman de travailler, incarnant par excellence le cinéaste culte et maudit via ses longues périodes de silence. Pourtant à son époque sa position est particulière : évoluant au sein de compagnies d’exploitation de Roger Corman, il lui a fallu se démarquer au sein de genres pleins d’archétypes. Le parcours de l’auteur évoque un détournement progressif des conventions New World pour imposer un cinéma de marge qui ne ressemble alors à aucun autre. Très vite c’est avec l’une des vedettes maison que se crée une sorte de tandem : Jack Nicholson. Après The Terror et Flight to Fury, les deux hommes vont collaborer pour deux westerns atypiques, filmés en simultanés même si sortis avec deux années d’écart. Il fallut d’ailleurs à Hellman la possibilité de racheter et revendre ces films pour leur trouver une distribution.

« L’Ouragan de la Vengeance » (1965)

 

Co-écrit par Nicholson, on retrouve dans L’Ouragan de la Vengeance des qualités formelles qui seront plus tard développées d’une façon plus affirmée chez le metteur en scène : étirement du temps, espaces désertiques et montagneux dans lesquels des personnages se débattent, comme dans des projections mentales. Le film reste pourtant tout du long de sa fuite encore imprégné par le genre du western et ses codes ; mais aéré et sur bien des points très en avance sur son temps en ce milieu des années 60 dans sa mise à l’écart de l’intrigue, le film est déjà un OFNI. Pas de dimension stylistique à la Leone ni de déconstruction à la Godard ceci dit. Le plus proche réalisateur identifiable à cette période serait sans doute un Sam Peckinpah qui n’est pas encore au sommet de sa gloire. 1965 est l’année de Major Dundee, film de studio très audacieux mais difficile à mener. A côté Hellman donne vraiment le sentiment de jouir d’une grande liberté et ce western prépare d’une certaine manière le terrain à un film en dehors des normes comme Pat Garrett et Billy the Kidd (Hellman devait un moment le réaliser). Les relations entre les œuvres de Peckinpah et Hellman sont notables, dans la dimension picaresque et l’abstraction, et L’ouragan de la vengeance pourra en apparaître comme une prémisse à la portée plus mineure mais d’une grande maîtrise et fraîcheur.

« The Shooting » (1967)

 

Plus radical, The Shooting a acquis un certain statut culte. Abstraction et métaphysique se dessinent plus nettement jusqu’à évoquer même l’œuvre d’un Stanley Kubrick qui se serait perdu en plein désert (rappelons que ce dernier a bien faillit réaliser La Vengeance aux deux Visages de Brando). Et encore là aussi Hellman est en avant-garde, puisqu’il précède nettement 2001. On peut préférer toutefois quelque peu le mystère plus discret de L’ouragan… Ici l’épure est poussée à un espace et un nombre de personnages réellement limités. Dans cette danse, écrite par d’ailleurs par une femme, on en profite pour exposer au maximum les ambiguïtés sexuelles et se tendre vers des mirages qui sont autant de miroirs pour les personnages. La sécheresse assez remarquable de la forme fait preuve d’une réelle maîtrise même si elle n’est pas nécessairement séduisante. Hellman raconte très souvent comment il aime à décaper le « vernis » au cinéma, pour atteindre une certaine perspective de réel. The Shooting ne fonctionne d’ailleurs pas réellement comme un trip telle qu’il pourra se ressentir dans un film comme Gerry qui lui doit beaucoup mais comme un vrai cinéma d’abstraction rare en Amérique, dont tout de même un certain manque d’ampleur se fait ressentir pour ne pas en ressortir avec un certain sentiment de dérisoire. En cause surtout ici un dernier contre-champ sur la rencontre fraternelle qui ferme le film peut-être avec un peu de maladresse. Il ne reste pas moins, et c’est une belle qualité, que The Shooting parvient à laisser une bonne place à l’humour. Il le doit aussi à ses interprètes : Nicholson (plus en retrait) et surtout Oates sont parfaits (ce dernier sera amené à devenir l’alter ego du réalisateur, comme si sa disparition en 1982 avait aussi mine de rien donné un coup d’arret à cette filmographie). La notion de « troupe » d’acteurs que bâtit alors le cinéaste a un charme indéniable, et Millie Perkins se voit offrir peut-être le plus beau rôle écrit pour une femme chez le metteur en scène.

Cockfighter (1974)

Dans ce coffret DVD, Cockfighter peut, malgré la présence de Millie Perkins, Warren Oates ou Harry Dean Stanton, faire office d’un film quelque peu à part du projet mené dans les deux œuvres précédentes. D’ailleurs Monte Hellman en était assez peu satisfait. Suite à l’échec de Macadam à deux Voies ou il collabora avec Universal, Hellman a fait un retour à la New World mais a eu des conflits avec Roger Corman au niveau de l’écriture et du montage pour l’exploitation américaine : le film fut rebaptisé Born to Kill à sa sortie avec quelques ajouts d’inserts plus « exploits » et racoleurs. Le métrage est désormais visible sans ces déformations. Ballade en va et viens, superbement photographiée par Nestor Almendros, Cockfighter s’abstient de tout jugement de valeur sur les combats de Coq qu’il met en scène, ce qui peut déranger, leur violence étant sèchement retranscrite : il semble d’ailleurs que le cinéaste se soit pris au jeu de cet univers en marge mais peu complexé. En Grande-Bretagne, le film est toujours vu de travers pour sa cruauté envers les animaux. De fait on est assez loin du S’en fout la mort que réalisera Claire Denis plus tard sur le sujet… Ici c’est surtout matière à décrire le divertissement d’une Amérique rurale qui s’ennuie quelque peu. Le personnage principal campé par Oates, naguère stigmatisé comme beau parleur, refuse désormais d’ouvrir la bouche tant qu’il n’aura pas obtenu l’espèce de médaille en chocolat d’un tournoi majeur, ce qui vaut une prestation décalée et remarquable de l’acteur. Chronique amorale, Cockfighter est un beau film inclassable, moins mis en avant que ses deux compagnons mais à redécouvrir.

LES BONUS

Carlotta qui a fait redécouvrir avec bonheur ces films en salle à toute une nouvelle génération, joue beaucoup sur le statut culte du cinéaste dans son packaging des DVD, qui ont ainsi accueillis en prime Cockfighter. Dans ce coffret l’un des atouts maître est sans nul doute les bonus. En Particulier un documentaire exceptionnel qui est en soit une œuvre à part : Plunging on alone : Monte Hellman’s life in a day (90 minutes) réalisé par le documentariste Paul Joyce est un dialogue poussé et passionnant entre deux créateurs. Le cinéaste y livre l’essence de sa vision du cinéma et ses références théoriques et philosophiques (le passage sur le mythe de Sisyphe de Camus est excellent). On y retrouve aussi un Hellman qui, n’ayant pas réalisé de films depuis 7 ans semble pourtant toujours dans le vif de son métier, se montrant peut-être plus passionné dans le fait d’imaginer des films que de les réaliser. La propriété ou vie ce dernier et son mini eden aménagé montre un individu résolument à part, un rêveur de cinéma très romantique en fin de compte, ce qui est parfois surprenant par rapport à son œuvre. Voici un documentaire qui aurait eu sa place dans la célèbre série Cinéastes de notre Temps.

Réalisé en 1988, Hellman Rider (43 minutes) est plus anecdotique même s’il est justement plein d’informations très intéressantes sur les rapports du réalisateur avec Oates, Nicholson ou Peckinpah. Réalisé par deux allemands au cours d’un trajet à Amiens, ces derniers n’hésitent pas à l’interroger sur Wenders ou Herzog. La forme (un entretien en vidéo ; la majeur partie du temps en plan serré dans une voiture) est moins recherchée mais elle permet de refaire un point à la sortie d’Iguana sur le moral d’un réalisateur qui semble s’être quelque peu assombris. Tous les espoirs de films qui ne se sont pas concrétisés, comment le Hellman d’aujourd’hui les portent-ils ? Description d’une attente lumineuse, le film de Paul Joyce est aussi à remettre en perspective avec l’impasse réelle dans laquelle s’est retrouvé le cinéaste.

L’Ouragan de la la Vengeance (1965), de Monte Hellman avec Jack Nicholson, Harry Dean Stanton, Millie Perkins

The Shooting (1967), de Monte Hellman, avec Will Hutchins, Warren Oates, Millie Perkins, Jack Nicholson

Cockfighter (1974), de Monte Hellman, avec Warren Oates, Harry Dean Stanton, Patricia Pearcy

DVD parus en zone 2 chez Carlotta.

Voir aussi sur le site: chronique du DVD de Macadam à deux Voies

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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