Si l’on s’en tient uniquement à l’impact qu’a eu le film sur la carrière de son acteur principal, Bloodsport est à la filmographie de Jean-Claude Van Damme ce qu’avait été Rocky à celle de Sylvester Stallone une grosse décennie auparavant. Un important succès surprise qui fit changer de dimension un inconnu (l’un et l’autre comptaient une poignée de seconds rôles sur leurs CV) sur lequel l’industrie n’était pas prête à miser et dont l’abnégation a, in fine, été récompensée. Le jeu des comparaisons s’arrête ici, la nature, la genèse et la qualité des projets est bien différente. Plusieurs versions quant à la manière dont se serait déroulée la rencontre décisive entre celui qui s’appelait encore Jean-Claude Van Varenberg, un jeune Belge féru d’art martiaux, ceinture noire de karaté, et Menahem Golan, producteur israélien, détenteur aux côtés de son cousin Yoram Globus, de Cannon Group. Dans un texte précédent consacré à Kickboxer, nous avions opté pour la mouture la plus connue et la plus féérique. Celle où Mr. Belgium 1978 imposa une démonstration de ses talents physiques au nabab à la sortie d’un restaurant, obtenant ainsi à la sueur de son front, un rendez-vous d’affaires fixé le lendemain. Golan lui proposa le rôle principal d’un scénario traînant dans ses tiroirs, qui avait été décliné par Chuck Norris et Michael Dudikoff : le fameux Bloodsport.
Écrit à six mains par deux néophytes (Christopher Cosby et Mel Friedman) et un nom émergeant du cinéma d’action, Sheldon Lettich, collaborateur de Stallone sur Rambo III, bientôt à l’œuvre sur Double Impact et Full Contact dont il assurera également la réalisation, le script s’inspire de l’histoire très contestée de Frank Dux. Ce dernier, une personnalité en vue dans le monde des arts martiaux (il a fondé son école en 1975, on lui prête une influence sur les films de Ninja américains tels qu’American Ninja et American Warrior), a été soupçonné à plusieurs reprises de mensonges éhontés quant à son vécu (prétendus nombreux titres au Kumite de Hong-Kong mais aussi missions paramilitaires aux quatre coins du monde) remettant ainsi évidemment en cause la nature soit-disant autobiographique du présent film. En 2012, Lettich évoquera avec amusement à son sujet, un rêveur plein d’illusions doublé d’un grand baratineur (1). Il en remettra une couche dix ans plus tard, dans son autobiographie Sheldon Lettich : From Vietnam to Van Damme. Pourtant, dans la postérité, les exploits fantasmés de Dux sont intimement liés à la starification inattendue de JCVD et donc empreints d’une aura, certes bas du front, mais à son échelle « légendaire ».
Produit avec un budget très faible et tourné dans des conditions chaotiques à Hong-Kong, ce scénario sans éclats (pour ne pas dire médiocre) est mis en image par Newt Arnold. Premier assistant sur plusieurs longs-métrages majeurs (La Parrain, 2ème Partie, Blade Runner, Abyss) et collaborateur régulier de réalisateurs prestigieux (William Friedkin et Sam Peckinpah notamment), celui qui fut scénariste à la télévision dès la fin des années 50, n’a jamais transcendé son audience les rares fois où il est passé derrière la caméra (il avait signé deux films d’horreur, Les Mains d’un inconnu en 1962 et Blood Thirst en 1971). Bloodsport fait l’objet d’un premier cut (confié Carl Kress, oscarisé pour La Tour Infernale) catégoriquement rejeté par Menahem Golan. Sans expérience en la matière, Van Damme (avec l’aide de son ami d’enfance Mohammed Qissi) réussit néanmoins à convaincre le producteur de lui laisser sa chance, reprenant alors montage et réalisation. Il dispose d’une quantité abondante de rushs (Arnold filmait à trois caméras simultanées) et peut ainsi exprimer sa vision de l’action (il a déjà contribué aux chorégraphies sur le tournage). Sa version est validée et connaît une première exploitation pour le marché vidéo. Le carton est tel (des milliers d’exemplaires de VHS et de Betamax seront vendus) qu’il sort dans un second temps sur grand-écran. Succès surprise avec près de cinquante millions de dollars de recettes, il est l’instantané d’une séquence : la fin des années 80 et l’essor des vidéos-clubs… Comment son « culte » survit-il aux changements d’époques ?
Frank Dux (Jean-Claude Van Damme), un champion américain de karaté, n’a qu’une obsession : remporter le Kumite, un tournoi clandestin d’arts martiaux organisé à Hong Kong, une rencontre où tous les coups sont permis, y compris les coups mortels… Bloodsport ne dévie jamais d’une trame minimale et prévisible, où les sous-intrigues et les péripéties secondaires ont davantage pour fonction d’aérer l’action (ou la retenir, la retarder), que d’approfondir une quelconque psychologie de personnage ou dramaturgie narrative. Paradoxalement, en dépit de sa courte durée (à peine plus d’une heure et demi), il faut patienter jusqu’à la moitié du film avant de voir le premier combat de Dux/Van Damme. Cette première partie épouse inconsciemment la situation de son acteur à l’époque, celle d’un homme qui attend patiemment son tour, prêt à saisir sa chance dès qu’elle s’offrira à lui et montrer ce qu’il a dans le ventre. La talent d’interprète limité de la star en devenir ne fait aucun doute et son volontarisme témoigne d’un manque criant de justesse de jeu (cela sans la moindre ambiguïté), néanmoins il s’en dégage une forme de candeur le rendant irrationnellement attachant, au-delà de ce qu’il propose et de ce qu’il échoue partiellement à incarner. Plus confiant et plus à l’aise au moment de se battre, son énergie débordante (et en soi excessive dans pareille production) traduit une louable absence de cynisme. Des atouts qui auront largement contribué à façonner son aura et qui ne tarderont pas à déchainer les passions.
En revanche, dans son domaine (celui du combat filmé), le spectacle est doté d’une relative efficacité, qui doit moins aux choix de cadres (le découpage est basique en plan larges et serrés) ou aux compétences des artistes martiaux en présence, qu’au fameux montage repris par JCVD, dynamisant les séquences avec instinct et aplomb. Il traduit une intuition de l’action à travers un effet qui deviendra tendance : la multiplication d’un même coup sous différents angles par exemple. Précisons toutefois qu’il ne faut pas être allergique au score ultra-kitsch et omniprésent de Paul Hertzog. Parangon du cinéma de vidéo-club, Bloodsport constitue à certains égards une version live des jeux vidéo d’arcade (à l’instar de celui auquel jouent Frank Dux et Ray Jackson dans un clin d’œil conscient), il préfigure une discipline en plein développement. Outre l’inspiration avérée qu’il a pu avoir, le personnage de Johnny Cage de la saga vidéoludique Mortal Kombat s’inspirant directement de Dux, quand Fatal Fury rendra hommage à Geese Howard, l’adversaire de Chong Li, son mode de narration gonflé aux flash-back va se répandre sur les Tekken, Street Fighter (une manière de boucler la boucle, Van Damme sera la tête d’affiche de l’adaptation cinématographique) et autres futurs références en la matière. La construction de micro-enjeux précédant les combats, qui pointe ses limites au 7ème art, fera des étincelles dans ce contexte en plein essor. En ce sens, au-delà du plaisir primaire et possiblement nostalgique (le film est imbibé jusqu’à plus soif des scories eighties les plus ringardes), nous sommes face à un cas d’école, le mètre étalon d’un genre mineur (il a également contribué à son « occidentalisation ») et un objet culturel dont l’impact est palpable, bien plus loin que sur seul son pré-carré. Il a contribué à façonner un pan de la pop culture nineties, certes tout relatif mais ce n’est pas si anodin.
ESC Editions, qui depuis plusieurs années maintenant, remet au goût du jour la carrière de Jean-Claude Van Damme, était très attendu sur ce titre. Le moins que l’on puisse dire c’est que les choses n’ont pas été faites à moitié, plusieurs combos ESC VHS BOX à tirages limités (tous en ruptures de stock à ce jour) ont été proposés, en attendant la sortie d’un pack UHD/Blu-Ray qui cumule près de quatre heures de suppléments. Pour les plus fétichistes et nostalgiques, il est possible de visionner le film en VF et en qualité VHS, pour les spectateurs plus rationnels le nouveau master 4K est très nettement préférable (et assez haut de gamme). On retrouve une multitude d’entretiens avec des figures phares de la galaxie Van Damme : Mohammed Qissi (très généreux, également présent pour commenter des scènes du film), David Worth (chef opérateur de Bloodsport, coréalisateur de Kickboxer), Sheldon Lettich. Également, des documents se penchant sur la carrière de la star bruxelloise dont la partie 9 de Le poing sur sa carrière par Arthur Cauras. Sur toutes les lèvres, la star bruxelloise n’apparaît que le temps d’une archive d’époque. Difficile cependant d’imaginer les amateurs déçus, à la vue d’une édition qui se donne largement les moyens pour devenir indiscutable et définitive.
(1) Entretien avec Sheldon Lettich, publié le 29 novembre 2012 sur le site Ecran Large.
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