Qu’on l’envisage sous n’importe quel angle, Roar est un film littéralement aberrant. On sait désormais qu’il doit sa réputation à un tournage qualifié de « plus dangereux de tous les temps » et que des dizaines de personnes ont été blessées durant les six années qu’a pris la réalisation du long-métrage.

Après deux films tournés en Afrique, Tippi Hedren et Noël Marshall, son compagnon d’alors, décident d’acheter un ranch en Californie et d’y élever des fauves en toute liberté. Apprivoisés mais non domptés, les animaux deviennent alors les héros d’une fiction minimaliste naviguant entre le film d’aventures animalier édifiant (la scène finale de grande réconciliation mystico foireuse entre les hommes et les fauves est particulièrement cucul) et le film d’horreur menaçant à chaque instant de basculer dans le « snuff ».

La trame du récit peut se résumer en deux mots. Une femme (Tippi Hedren) et ses trois enfants (dont la jeune Mélanie Griffith qui faillit être défigurée d’après Vincent Malausa dans l’excellent dossier qu’il consacre au film dans les Cahiers du cinéma) débarquent en Afrique pour y retrouver leur mari et père qui vit avec les fauves et cherche à les protéger contre de très vilains chasseurs.

Dans l'arène des fauves

A partir de là, le film joue beaucoup avec les ficelles du film d’horreur. La petite famille débarque dans la maison et découvre tous ces dangereux félins qui menacent constamment de les tailler en pièce. De manière ironique, lorsque Tippi Hedren débarque dans la maison et ouvre une porte, c’est par… un oiseau (forcément !) qu’elle se fait attaquer. D’une certaine manière, Roar est une version démesurée des Oiseaux d’Hitchcock où, cette fois, ce sont des lions, tigres et panthères qui menacent la diaphane héroïne blonde. Comme chez le maître et dans de nombreux « films de survie » qui lui succéderont, c’est l’espace domestique du foyer américain qui est envahi par des éléments exogènes et menaçants.

D’un point de vue strictement narratif, le film n’a pas grand intérêt tant il répète jusqu’à la nausée la même scène (des individus entourés d’une dizaine de fauves, qui flippent et cherchent à trouver un moyen de s’échapper). En revanche, difficile de nier la force documentaire sidérante de chacun de ses plans. Si l’on sait que les animaux connaissent bien la famille qui joue, il n’en est pas moins vrai que chacun risque constamment sa vie à se confronter constamment à ces bêtes imprévisibles. Cette façon qu’à Noël Marshall de mettre dans le même plan des hommes et la radicale altérité des animaux renvoie évidemment au fameux article de Bazin intitulé Montage interdit ou, pour le dire très schématiquement, le grand théoricien écrit que dans une scène de confrontation avec des animaux, il faut obligatoirement abolir le montage à un moment donné, que l’homme et la bête partage le même cadre pour qu’on y croit. Dans Roar, il n’y a pas (ou presque) de plans où les hommes ne partagent pas le cadre avec de nombreux fauves. Le film impressionne par ce « réalisme ontologique » mais finit même par provoquer un certain malaise tant on se dit qu’il peut constamment basculer du côté de l’horreur « snuff » (non simulée, à l’image de cette blessure infligée par un lion à Marshall) ou aux « mondos » extrêmes du style Face à la mort.

Il faudra attendre l’immense Grizzly Man d’Herzog pour retrouver cette intensité réaliste. Mais Herzog avait le mérite d’alerter sur la folie mystique de cette prétendue communion de l’homme avec les bêtes sauvages (Timothy Treadwell finissait dévoré par les ours) tandis que Marshall termine sur une note écologiste à la fois assez louable (protéger les bêtes de l’avidité des chasseurs) et très discutable (une sorte de « danse avec les lions » d’une naïveté redoutable).

Sans être un très grand film, Roar est une expérience unique et assez sidérante de la puissance « réaliste » que peut avoir le cinéma…

Roar (1981) de et avec Noël Marshall et avec Tippi Hedren, Mélanie Griffith.
DVD Blu-Ray édité par Rimini Editions

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