C’est tout de même, avouons-le, un sacré plaisir que de redécouvrir quelques films français des années 70, totalement méconnus, ou quelque peu oubliés, grâce à la collection de Jerôme Wybon. Ces trois films ne font pas exception à la règle.
Quand les producteurs veulent attirer le public, ils n’hésitent pas à utiliser des méthodes quelque peu douteuses… Le titre « Cause toujours… tu m’intéresses ! » (1979) constitue sans doute la plus belle induction en erreur possible, en ravivant la mémoire de ces délicieuses pochades policières réalisées par Michel Audiard, et plus encore celle où Annie Girardot se laissait aller à toute la gouaille qu’on lui connaît, à l’instar de Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! ou Elle cause plus… elle flingue. Pourtant, cette comédie douce-amère, réalisée par Edouard Molinaro, surprend de bout en bout par sa subtilité, sa beauté mélancolique, rappelant combien Girardot incarne à merveille les femmes mûres solitaires qui semblent ne plus compter sur l’amour, ni sur les changements de la vie. Tout comme le sublime La vieille Fille, Cause toujours… tu m’intéresses ! est donc l’histoire d’une rencontre a priori impossible. François Perrin (Jean-Pierre Marielle), homme qui ne brille ni par ses amours, ni par sa carrière, persiste à présenter quotidiennement son émission d’infos à la radio. Un boulot devenu tout aussi terne que sa vie monotone. « Je m’emmerde ». Miné par le vide sentimental, rejeté même à la moindre proposition de dîner en duo, il décide un jour d’appeler anonymement un numéro en contrefaisant sa voix, et tombe sur Christine Clément (Annie Girardot), une pharmacienne tout aussi esseulée, qui, d’abord agacée, finit pas se prendre au jeu, et pour cause : François s’est inventé une vie de reporter, beaucoup plus trépidante, propre à la faire rêver. Jusqu’au jour où elle lui propose de le rencontrer. Dès lors, comment agir ? Dire la vérité ou rester dans le mensonge ? Se dévoiler dans toute sa banalité ou faire vivre le héros fictif ? De quiproquo en quiproquo, la réalité reprend peu à peu ses droits. Magnifiquement écrit par Francis Veber, Cause toujours… tu m’intéresses ! est à redécouvrir : parfois drôle, toujours touchant, avec des seconds rôles particulièrement beaux, à commencer par un Jacques François en fidèle ami gay de Christine interprété avec une délicatesse peu commune. Et que dire de Monsieur M’Ba (Umban U.Ksët), en voisin africain désopilant et émouvant qui s’ennuie tout autant et recherche tous les soirs de la compagnie en invitant François à manger ? L’air de rien, sous sa légèreté, Cause toujours… tu m’intéresses !, sans atteindre le degré de dépression de Quelque part quelqu’un (1972) de Yannick Bellon, dresse un constat saisissant de la solitude urbaine, à travers quelques portraits puissants.
Voilà un passionnant objet filmique non identifié que ce Qui ? (1970), dans lequel Léonard Keigel reconstitue le duo de La Piscine, Romy Schneider / Maurice Ronet pour l’emmener vers des sillages aux contours moins définis, plus étranges, qui finissent par échapper à toute classification. Une œuvre qui semble mimer le polar de machination, voire le giallo, pour mieux brouiller les horizons. En pleine dispute avec son compagnon Claude (Gabriele Tinti), Marina (Romy Schneider) file en voiture avec lui sur les côtes bretonnes, et c’est l’accident. Elle parvient à s’éjecter tandis que le véhicule sombre dans les flots ; le cadavre de Claude ne sera jamais retrouvé. Comme par magie, Serge, le frère du défunt, est déjà sur les lieux de l’accident. Se tisse alors une étrange liaison entre Marina et Serge, entre l’attirance amoureuse et la méfiance envers elle, que Serge soupçonne d’avoir tué son frère. Il commence à la harceler, à la surveiller, perdu dans ses hypothèses. Derrière ce schéma finalement assez classique, Keigel organise un étrange ballet où la toxicité masculine ressemble à un fantôme poursuivant son héroïne. Est-ce une histoire de transmission du mal, ou bien une illustration symbolique de la domination ? Toujours est-il que Marina passe de Charybde en Scylla et se retrouve au sein d’un couple tout aussi néfaste, tout aussi dominé par le vampirisme psychique que celui qu’elle vient de quitter. Porté par une merveilleuse partition pop de Claude Bolling qui rivalise avec Michel Legrand, flirtant parfois à la fois avec le fantastique et l’expérimental, Qui ? est d’autant plus intriguant et fascinant lorsqu’il établit des connexions avec la providence, établissant comment le fantasme du meurtre mène de façon quasiment surnaturelle au passage à l’acte, comme si le destin ne pouvait pousser qu’à cet événement inéluctable. Marina semble être poursuivie par l’ombre de la mort à laquelle elle croit avoir échappé, entrainée dans un processus de répétition qui la ramène toujours à la scène – et au lieu – inaugurale, condamnée à revivre le même cauchemar du couple et comme condamnée à accomplir le crime dont elle est « innocente ». Qui ?, par son ton, sa narration, et son avance sur son temps dans son portrait de femme(s), ne ressemble en somme qu’à lui-même. Romy Schneider et Maurice Ronet y sont tous deux magnifiques.
Laurent Heynemann fait partie de ces cinéastes bien trop discrets pour avoir connu une carrière éclatante, et pourtant, sa filmographie comprend quelques thrillers remarquables, dont Les mois d’avril sont meurtriers et Il faut tuer Birgitt Haas. L’excellent Le mors aux dents se situe justement dans la tradition des polars pamphlétaires à la Yves Boisset, mais dans une forme peut-être plus ironique, moins sèche, rappelant parfois le cinéma de Bertrand Tavernier, et dont la teneur politico-satirique anticipe quelque peu sur Francis Girod. Comme le présage son titre dans Le mors aux dents, il est question de la manière dont des courses hippiques truquées mettent en jeu de grands enjeux politiques à travers le chantage qu’organise un homme d’affaires véreux (incroyable Michel Galabru, assez terrifiant) avec sa petite mafia, sur un jeune candidat politique (Jacques Dutronc) ayant suffisamment de choses à se reprocher pour qu’elles soient consignées dans un dossier ne devant pas apparaître au grand jour. Les courses hippiques ne sont a priori pas le sujet le plus passionnant qui soit, et pourtant, le scénario est suffisamment finement construit pour que Le mors aux dents reste haletant, tout en imposant – à la différence d’un Costa Gavras par exemple – une légèreté ludique : le spectateur ne cesse de se demander comment cet embrouillamini finira par se démêler. Une certitude : en politique comme en jeu, le cynisme est tout-puissant, et jamais l’honnêteté. Il ne s’agit donc pas de faire triompher la vérité, mais de la falsifier au mieux pour faire tomber les plus escrocs, et peu importe ceux qui sombreront avec. Un peu comme lorsque pendant les élections, les citoyens préfèrent voter « contre », le spectateur se situe plutôt du côté de Loïc Le Guenn le jeune politicien, sans pour autant se faire aucune illusion sur sa nature : pour sortir victorieux de ces péripéties, il s’agit d’utiliser la même mécanique que le bandit, et de le surpasser dans sa technique de corruption. Si toute la distribution est brillante, on retiendra surtout celle de Michel Piccoli, dandy distingué et exubérant, grand prince des paris haï par le directeur de la fédération hippique, soupçonnant des malversations et n’ayant de cesse de vouloir le faire tomber. Mais à l’arrivée, au milieu de cette fourmilière, n’est-il pas le plus honnête de tous ?
Suppléments
Cause toujours… tu m’intéresses ! »
Préface de Jérôme Wybon
Interview de Jean-Pierre Marielle
Édouard Molinaro et la musique de films
Qui ?
Préface de Jérôme Wybon
Interview de Romy Schneider
Interview de Claude Bolling
Bande-annonce
Le mors aux dents
Préface de Jérôme Wybon
Interview de Michel Galabru
Interview de Laurent Heynemann par Jean Ollé-Laprune pour FilmoTV
Blu-rays édités par Studio Canal
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).