Jérôme Wybon continue de nous régaler avec ces 3 nouvelles sorties de la collection « Nos Années 70 ».
Premier long métrage de Pascal Thomas, Les Zozos révèle un cinéaste au ton unique, superbe entrée en matière qui allait être suivie par quelques autres perles telles Le Chaud Lapin ou Pleure pas la bouche pleine. S’il y a du Rohmer chez Pascal Thomas dans sa façon de saisir au vol la jeunesse et de la retravailler, cette spontanéité réécrite par la littérature, elle se fait chez Thomas beaucoup plus triviale que chez le réalisateur de Pauline à la plage. Dans Les Zozos, Thomas parle ouvertement de cul, et ses adolescents à la découverte de la sexualité en sont littéralement obsédés. Le cinéaste est d’abord sans pitié envers ses héros, des érections ambulantes, laissant ainsi une place de choix aux filles, bien plus intéressantes (Virginie Thévenet est absolument fabuleuse et touchante), qui ne se laissent pas faire malgré leurs attirances et leurs propres pulsions. Mais ce qu’il y a probablement de plus beau et d’inattendu dans Les Zozos, c’est que si le programme nous annonce d’emblée de la libido, il nous conduit progressivement vers la naissance du sentiment à travers son héros d’abord circonspect. Il obtient la plus mauvaise note de sa classe sur le Romantisme, qu’il méprise mais ce sera pourtant le premier à tomber amoureux, et par cela même à affirmer son individualité en s’extrayant de son petit groupe de mecs vantards, fiers de leur virilité et ne pensant qu’à « sauter » la première venue. Aussi cruel qu’il soit, le regard de Pascal Thomas est toujours empathique, interrogeant les raisons fragiles de ses héros, les mensonges des mots, la nécessité de créer son personnage pour épater connement les autres. Il y a également chez lui ce petit air familier loin de Paris qui le rapprocherait de Joël Séria, cette attirance pour les classes moyennes provinciales dont il capte l’essence dans une dimension presque documentaire, ici du côté du Centre de la France. C’est ce qui fera sa patte par la suite, sa dimension si unique et atypique, quelque part entre la drôlerie et l’émotion. On s’étonnera toujours de voir son cinéma s’embourgeoiser autant à l’aube des années 90, lui dont la beauté consistait justement à s’émerveiller des humbles et des ruraux.
Saviez-vous que le rêve de l’immense acteur J. L. Trintignant était avant tout d’être réalisateur ? Il ne nous offrit que deux pépites, mais quels ovnis géniaux que Le maître nageur et plus encore ce Une journée bien remplie, perle d’absurdité et d’humour noir qui ne se plie à aucune règle et encore moins au cinéma populaire de l’époque. L’intrigue est simple et contenue dans son titre. Accompagné de sa mère, le boulanger Rousseau parcourt la France avec une bien étrange mission : tuer en une journée les 9 jurés qui condamnèrent à mort le fils de Rousseau. Très inspiré par la mécanique du cinéma muet, Une journée bien remplie opte pour une économie de mots pour laisser la place au gag surréaliste, à un humour totalement autre qui peut parfois évoquer Etaix ou Tati. Trintignant cite Buster Keaton, et il est évident que voir que cette folle équipée dans un moyen de locomotion atypique renvoie à cet humour décalé, à la fois désopilant et amer du Mécano de la Générale. Finalement, le film suit totalement les règles du bodycount avec leurs assassins vengeurs – de La mariée était en noir à Théâtre of blood – avec ces questions essentielles : comment vont-ils parvenir à accomplir les meurtres de la liste, ici notés méticuleusement dans un petit cahier – une ligne biffée après chaque décès – ? De l’électrocution à l’asphyxie, quand le destin ne vient pas contrecarrer le projet. Finalement dans cet aspect très technique de la mise à mort, le gore en moins, on se surprend même à trouver des rapports avec le théâtre du crime inventif des slashers mais où le morbide glisse vers l’absurde, dans un temps qui s’étire, à l’image de cette séquence où Rousseau consulte son mode d’emploi assassin pour bien agencer les cordes qui briseront le cou du malade plâtré sur son lit d’hôpital. On se dit que Quentin Dupieux n’aurait jamais existé sans ce joyau. Par sa dimension beckettienne qui laisse une grande place au silence, où les humains semblent de bien piètres pantins, qui renvoie également aux premiers Polanski, le burlesque d’Une journée bien remplie se laisse gagner par une indescriptible poésie.
Avec ce titre qui en aura fait fantasmer plus d’un, à tort, Georges Lautner signait l’une des plus belles collaborations Mireille Dac / Alain Delon. Paradoxe, puisque Delon y occupe un second rôle important, mais cède la place du héros à Claude Brasseur. Aussi étonnant que ça puisse paraître, Les seins de glace est la très belle adaptation d’un roman de Richard Matheson : elle y trouve dans sa dimension dépressive et grisâtre des tonalités presque belges, renvoyant tout à la fois à Georges Simenon, Jean Ray ou Thomas Owen. Derrière le prétexte d’un mystère policier, se tisse une histoire d’amour sans issue dont la tristesse infuse lentement jusqu’à son dénouement. Il s’agit avant tout d’un splendide portrait fracturé d’une œuvre dédiée à son héroïne mystérieuse – dont comme son héros nous ne cessons de questionner la vraie nature – et tragique incarnée par une Mireille Darc à son apogée. Les Seins de glace est une balade où le danger est aussi séduisant que l’amour, où l’attirance pour le vide et le mystère – entre altruisme et fascination morbide – d’une femme sont le moteur du sentiment. A redécouvrir de toute urgence.
Bonus
Les Zozos
Préface de Jérôme Wybon
Court métrage : « Le Poème de l’élève Mikovsky » de Pascal Thomas (19773, 23′)
« Côté jardin : Albina du Boisrouvray » par Pierre Neel (INA, 1978)
Une Journée bien remplie
Préface de Jérôme Wybon
Reportage sur le tournage
Portrait du producteur Jacques-Eric Strauss (1985
Blu-rays édités par Studio Canal
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