Jérôme Wybon continue de nous plonger dans le cinéma français 70 avec trois nouveaux titres de sa collection, parus en Décembre 2024 chez Studio Canal.
En pleine montée du fascisme, dans la Grèce du milieu des années 30, Margot Santorini, une jeune aristocrate mariée à un diplomate désargenté, s’éprend de Boutros, un jeune activiste poursuivi par la milice grecque, avec en tête un policier sadique et plein de zèle. Progressivement, Margot dédie son existence à la recherche de cet amant secret de plus en plus difficile à localiser. Avec Une femme à sa fenêtre (1976), Pierre Granier-Deferre et Jorge Semprun adaptent l’un des plus beaux romans de Drieu La Rochelle avec ses héros en fuite. Tandis que Boutros tente d’échapper à la mort, Margot tente l’évasion du carcan social, de sa condition d’aristocrate et de femme en tombant amoureux d’un homme qui est à l’opposé de sa caste. La mise en scène de Granier-Deferre est d’une sobriété exemplaire, fuyant le pathos et observant la passion plus qu’il ne l’épouse, ouvrant Une femme à sa fenêtre à une mélancolie insoupçonnée qui contraste avec la magnifique direction photo ensoleillée d’Aldo Tonti. Romy Schneider, hypnotique, retrouve le cinéaste trois ans après Le Train, tandis que la prestation de Philippe Noiret en ami protecteur du couple qui tait son amour dame le pion à celle Victor Lanoux en amant terroriste. Assister à la montée d’une dictature et regarder la manière dont les individus réagissent individuellement, en futurs héros, collabos ou héros, est un thème qui parcourt l’oeuvre de Jorge Semprun. Mais ce qui intéresse le plus le cinéaste et son scénariste, c’est ce portrait des amours silencieuses, des non-dits, des destins accomplis qui laissent plus de questions que de réponses. La narration éclatée tout en aller-retours temporels provoque une étrangeté, comme si l’attrait pour la rupture s’alignait sur les sentiments des personnages. Toute la beauté d’Une femme à sa fenêtre tient à sa discrétion et à sa pudeur. La musique de Carlo Rustichelli, dont on appréciait notamment les partitions pour Mario Bava (on reconnaît même des phrases musicales d’Operazione Paura) ajoute à ce romantisme amer. Une femme à sa fenêtre est clairement à redécouvrir.
A nous les petites anglaises (1976) : voilà un vrai classique du teen movie à la française, triomphe du box office, classique de la télévision également, un film devenu culte au fil des années. Pour résumer brièvement l’intrigue, à la fin des années 50, deux cancres dont l’un est plus de bonne famille que l’autre, plutôt que de passer leurs vacances à Saint-Tropez, sont envoyés en Angleterre pour y parfaire la langue. Mais c’est évidemment l’autre langue qui les obsède le plus, et l’idée de la mettre dans la bouche des filles. La vision des jeunes mecs libidineux ne pensant qu’à se taper des filles, roulant des mécaniques, se vantant de bien des aventures tout en en ayant connu aucune, constitue une forme d’archétype des comédies de potes d’Europe et d’ailleurs (cf Supergrave et American Pie), mais c’est souvent le regard et la distance qui permet de les différencier les unes des autres . Alors près de 50 après, A nous les petites Anglaises tient-t-il encore la route ? A vrai dire, oui et non. Certes, difficile de lutter contre cette fibre nostalgique, cette vision d’une jeunesse qui n’existe plus dont un cinéma d’avant tire le portrait. Dans A nous les petites anglaises il y a notamment des ados qui lisent Sartre ou citent le cimetière de Moonfleet de Lang (Fritz, hein pas Michel) ce qui contraste tout de même énormément avec l’esprit assez beauf des situations qui vont suivre ! Car si le film reste parfois drôle, contrairement au Zozos de Pascal Thomas (chroniqué ici même), Michel Lang rit avec complaisance des gaudrioles et des attitudes de ses héros, se moquant avec eux plutôt que les observant ironiquement. Ces jeunes mecs traitent donc joyeusement les filles comme des objets, les mettent dans des situations plutôt humiliantes, se les échangent, ce qui rend parfois le film un peu embarrassant à regarder aujourd’hui. Pour ce qui est de la caractérisation des personnages féminins, les filles sont d’ailleurs soit des nymphomanes, soient des fleurs bleues romantiques. Pourtant – toutes proportions gardées – particulièrement dans le dernier tiers du film, quand les garçons s’intéressent moins à ce qu’ils ont dans le pantalon et que les sentiments s’en mêlent, A nous les petites anglaises possède presque des tonalités rohmériennes. Et c’est évidemment lorsque le héros finit par s’extraire du groupe et par refuser d’avancer dans le rang grégaire, comme individu pensant et non comme individu baisant, qu’A nous les petites anglaises devient le plus intéressant, jusqu’à son ultime séquence laissant dans la bouche un ultime goût amer. Le film de Michel Lang est indispensable à revoir au moins autant pour des raisons historiques, pour cette représentation de l’éveil sexuel (impensable aujourd’hui) vu des hommes liée à une certaine époque, que pour ses qualités réelles.
Mais la grosse rareté du trio demeure sans doute Les Fougères bleues (1977), unique long métrage de Françoise Sagan qui y adapte une de ses nouvelles – totalement oubliée. Le sujet de ce quasi huis-clos pourrait presque être celui d’un Chabrol. Deux couples d’amis partent dans un chalet de Haute-Savoie pour y faire une partie de chasse au chamois, mais les véritables enjeux ne se situent évidemment pas où on le croit, et le rapport à l’animal à abattre constitue évidemment une allégorie sur les rapports humains, et plus particulièrement homme/femme. Sans aller jusqu’au cynisme acerbe du réalisateur des Noces rouges, Françoise Sagan s’attaque bien à la bourgeoisie française et à son vernis. Dès les premières minutes, les apparences s’effondrent. Toutes. Dans ces deux couples si bien assortis, idéaux aux yeux de la société, la femme de l’un a déjà trompé son mari avec l’ami, tandis que l’autre petite amie n’est rien d’autre qu’une prostituée payée pour donner le spectacle d’un duo amoureux. Absolument aucun membre du quatuor n’est celui du tableau initial. Les archétypes de la femme infidèle, de la pute idiote, du séducteur invétéré ou du mari jaloux volent en éclat. L’autopsie de Sagan s’avère passionnante et l’on apprécie son féminisme subtil qui rappelle parfois Breillat avant l’heure dans cette manière d’être à la fois attendri et critique vis-à-vis des hommes… et du regard parfois complaisant des femmes. Le film démonte avec force les principes de virilité où l’homme ne consacre sa vie qu’à du gibier quel qu’il soit : femme, chamois ou ambition professionnelle. C’est bien simple, les personnages masculins, entre leur esprit de conquête et de domination et leur jalousie maladive, sont aussi médiocres qu’antipathiques. Seul surnage un bucheron à la candeur enfantine qui l’identifie à un idiot de village (remarquable et étonnant Francis Perrin), apparaissant comme une forme d’âme pure au milieu de ce chaos. Dès lors que l’homme – dont la femme attend pourtant d’être fort – se fissure, se fragilise et perd toute sa contenance virile, il devient pour Françoise Sagan aimable et digne d’être aimé. Jean-Marc Bory en mâle dominateur mis à mal est aussi insupportable qu’impressionnant de justesse, tandis que Gilles Ségal passe graduellement du pauvre type à l’individu en crise existentielle. Mais il est évident que c’est Françoise Fabian et Caroline Cellier qui constituent les protagonistes les plus fascinants et complexes ; deux portraits de femmes aussi antagonistes que forts, qui à leur manière finissent par mener la danse. Il est fort dommage que Les Fougères bleues connusse un tel échec à l’époque et sonna l’arrêt définitif de Sagan en tant que cinéaste, car nous aurions vraiment aimé voir comment aurait progressé sa filmographie.
Comme toujours pour la collection les copies sont particulièrement belles et les suppléments d’archives incontournables qu’accompagnent les préfaces de Jérôme Wybon.
Une femme à sa fenêtre
Interview de Pierre Granier-Deferre (Archive Studiocanal, 2005, 19′)
Interview carrière de Victor Lanoux, émission « Cinéescope » (Archive Sonuma, 1978, 43′)
Bande-annonce (4′)
A nous les petites anglaises
Préface de Jérôme Wybon (3′)
Interviews de Michel Lang et Stéphane Hillel (Archive Studiocanal, 2004, 14′)
Court métrage : « Carole je t’aime » de Michel Lang (1971, HD, 20′)
Bande-annonce (2′)
Les fougères bleues
Interview de Françoise Sagan (Archive INA, 1976, 5′)
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