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Il existe un certain nombre de films ayant adopté le principe d’une narration « à rebours », que l’on songe à Two Friends de Jane Campion, à Irréversible de Gaspar Noé ou encore à 5×2 de François Ozon. Happy End du tchèque Oldrich Lipsky se distingue de ces titres en étant une œuvre (la seule ?) totalement réversible. Il ne s’agit pas de « blocs temporels » permettant de remonter le temps mais bel et bien d’une sorte de film dont on reverrait tout le déroulé à l’envers. Nous revivrons donc l’existence de Bedrich, le héros, de sa décapitation (pour le meurtre de sa femme et de son amant) jusqu’à sa naissance. Mais plutôt que de présenter le récit comme la redécouverte de la vie antérieure de cet homme, une voix-off nous explique qu’il s’agit d’une véritable naissance (la tête est recollée au tronc) et que notre homme va pouvoir bénéficier d’une nouvelle existence (« l’homme nouveau » rêvé par le pouvoir communiste ?).

Ce postulat permet à Oldrich Lipsky de réaliser un exercice de style extrêmement virtuose qui fait d’Happy End un film quasiment oulipien. Il s’agit en effet de s’en tenir aux contraintes imposées par le dispositif et de faire naitre un nouveau sens aux images et aux dialogues avec un humour souvent irrésistible. Pour le spectateur, ce parti-pris l’oblige également à une gymnastique intellectuelle plutôt stimulante, notamment lorsqu’il se trouve face à des dialogues totalement surréalistes. Un exemple parmi d’autres. Juste avant de monter à l’échafaud, Bedrich se trouve face à un prêtre qui le rassure :

« Bientôt tu te tiendras face au Seigneur et à la Vierge Marie ». Ce à quoi le condamné répond :

« Elle a un sale goût »

Le côté « blasphématoire » de cette réponse s’explique par le fait qu’il s’agissait d’une adresse à un gardien qui, précédemment, lui avait proposé « une dernière cigarette ». Sans arrêt, le cinéaste joue sur le décalage cocasse de ses dialogues qui doivent être remis dans la chronologie originelle pour retrouver leur sens. On peut même avouer ici que c’est la seule limite du film qui tourne parfois au simple procédé. Mais si Oldrich Lipsky échappe malgré tout à cet écueil, c’est qu’il tire également profit de toutes les possibilités de l’image pour affermir son dispositif. Avec ses cadres très travaillés, ses jeux sur les accélérés (qui accentuent l’idée d’une cassette que l’on rembobine) et les ralentis, Lipsky parvient à maintenir la cohérence de son univers à la fois absurde et macabre. Ses trouvailles lui permettent de développer une dimension burlesque assez réjouissante, notamment lors d’une désopilante scène où la femme et son amant prennent le thé et « recrachent » imperturbablement tous les gâteaux qu’ils ont engloutis (la gestuelle est tordante car il ne se départissent jamais d’une certaine élégance pour retirer les aliments de leurs bouches). Ces effets de « rembobinage » offrent des gags classiques (l’homme sauvé de la noyade par Bedrich est finalement replongé dans l’eau) mais permettent également au cinéaste d’accentuer le côté noir de son humour : la tête du décapité se retrouve à nouveau sur son tronc, la femme qui a été découpée en morceau est reconstituée patiemment…

Mais le plus intéressant dans Happy End, c’est la manière dont la voix-off réécrit l’histoire en train d’être vue. Il ne s’agit plus de la tragédie d’un homme médiocre et jaloux qui finit par tuer sa femme mais de la possibilité pour lui de réinterpréter totalement son existence à l’envers. La femme qu’il avait rencontrée dans le cadre de son travail (sapeur-pompier, il l’a sauvée d’un incendie) devient celle dont il se débarrasse en la jetant dans les flammes !

Si l’on considère que le film a été tourné un peu avant le Printemps de Prague, au moment où le régime tchécoslovaque connaissait une certaine libéralisation, on peut voir dans Happy End un regard satirique sur un discours « officiel » (celui des autorités communistes) qui réinterprète le Réel et qui substitue du discours à la vérité des faits.

Mais même sans s’attacher à cette dimension ironique et critique, on sera séduit par ce film singulier et assez fou, burlesque et absurde.

 

***

Happy End (Stastny Konec) (1967) d’Oldrich Lipsky

Avec Vladimir Mensik, Jaroslava Obermaierová, Josef Abrham

Durée : 71 min
Sortie en salles (France) : inédit
Sortie France du DVD : 24 août 2022
Format : 1,37 – Noir & Blanc
Langue : tchèque – Sous-titres : français.
Éditeur : Malavida Films
Collection : Collection tchèque

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A propos de Vincent ROUSSEL

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