Avant même de pénétrer dans la fiction, le titre sonne comme une petite provocation à l’ordre établi. Aucune oreille sérieuse n’avait entendu ces prénoms se succéder d’une telle façon. Il n’y a rien d’anodin à modifier la structure d’un titre aussi populaire que celui là. Un conte appartient à tout le monde, au moins à ceux qui ont entendu sa leçon. Cette subtile inversion ne constitue pas en soi un grand risque mais elle promet au moins un détournement, si ce n’est une réinterprétation. Plus que le titre, les entrailles de ce conte ont été remaniées, bouleversées.

L’identité visuelle et sonore de ce nouveau conte représente à elle seule un premier atout marquant, un petit choc esthétique pour le moins séduisant. Un étrange entrelacement d’éléments formels modernes (typographie du générique, design épuré) et anciens (costumes, objets), le tout bercé par la bande-son électrisante de ROB, et offert sous un aspect de vieux livre grâce à ses lumières poussiéreuses. Des triangles, symboles de la féminité, envahissent les plans en les gratifiant d’un ton ésotérique, d’une aura presque Jodorowskienne. Les couleurs s’accordent entre elles dans un expressionnisme troublant, tantôt naïf et primaire, tantôt sérieux et glaçant. Un sentiment de réel vient perturber et enrichir d’une manière inattendue ce monde merveilleux. La maison de la sorcière n’est pas faite de sucre mais de bois très sombre. Avant de la rencontrer, Gretel et Hansel ont faim, si faim qu’ils mangent des champignons hallucinogènes. Curieusement, cette scène psychédélique a quelque chose de concret, de réaliste, dans la mesure où elle rend plus vrai cet univers en en montrant sa possible perception altérée. Elle permet d’accepter les fabulations qui habitent cet espace enchanté.

Revenons au titre. Peu importe les langues et les versions, Gretel ou Margot, n’est nommée qu’après son frère, Hansel ou Jeannot, malgré le fait que, sans elle, il finirait dans l’estomac d’une vieille sorcière. Elle n’a pas son mot à dire, après tout, elle n’est qu’un personnage conté par un narrateur extérieur à son histoire et à son monde. En fait elle n’existe pas, pas même pour celui qui la raconte. C’est le sort de tous les héros et héroïnes de contes de fées.

Cette réécriture filmique lui offre littéralement une voix (voix off), elle devient la narratrice de sa propre histoire. Auparavant elle n’était qu’un protagoniste défini par ses actions, ici elle acquiert une conscience. Elle sait ce que l’on attend d’elle, et ne veut s’y résoudre. Plutôt partir que d’accepter une existence de gentille fille qu’on envoie au couvent ou qu’on marie à un vieil homme. En chemin vers son indépendance, un chasseur lui rappelle la condamnation de sa nature féminine qui ne lui laisse que peu « d’usages » possibles. Guidée par la sorcière, elle prend possession de ses pouvoirs surnaturels, dont l’expression, sous forme de visions, était réprimée par la mère qui l’a chassée. Gretel est une sorcière, mais dans le sens féministe du terme. Cette figure qui symbolise à elle seule la pire des misogynie, basée sur la peur et le mépris, fut à l’origine des chasses surréalistes, et d’une véritable guerre contre les femmes qui ne s’est jamais vraiment terminée. Le détournement militant de ce mot infamant, racontée par Mona Chollet dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes, est une manière de revendiquer une féminité forte et libérée des attentes de la société patriarcale. La maison de la sorcière n’est plus un lieu à fuir, mais un endroit à s’approprier. Tout en conservant la trame narrative du conte, le film propose à son héroïne une belle rébellion. Cette libération évoque quelque peu le très beau The Witch de Robert Eggers, qui, dans un style plus noir et plus brut, rendait son heure de gloire à cette figure martyre : le pacte avec le diable comme un « non » au patriarcat, une envolée de sabbat vers son indépendance.


Gretel n’est pas la seule à se voir offrir une relecture profonde. La vieille sorcière de la forêt, si elle demeure évidemment une figure malveillante et cannibale, apparaît ici plus complexe, comme parée d’une nouvelle dimension. Elle affirme sa liberté par son statut de célibataire, et son refus de la maternité. Comme elle le dit lors d’une partie d’échecs, le roi a peur parce que la reine est toute puissante. Alors que dans le conte sa profondeur est à déchiffrer derrière un archétype universel qui se suffit à lui-même, celui de la sorcière, ici elle ne parait pas y adhérer parfaitement. Cette sorcière semble plus humaine, sa cruauté est présentée comme la finalité d’un parcours douloureux. Dans un conte, les personnages ne sont pas tenus de justifier leur nature, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Leur simplicité et leur manichéisme apparents les rend justement intéressants à étudier. Bruno Bettelheim, dans son célèbre ouvrage Psychanalyse des contes de fées, a précisément su démontrer leur valeur morale et éducative par une lecture analytique où tout élément (personnage, lieu, objet) représente un concept plus large, un sens dissimulé sous des images assimilables par les enfants.

Le paradoxe du film réside dans son désir de dépasser l’archétype, mais, en contextualisant ses personnages et en les humanisant, il les prive de leurs significations cachées. Ainsi, il bouleverse l’équilibre des valeurs du conte originel et les détourne avec une vision contemporaine. Cela dit, il ne tombe pas dans l’explication à outrance et parvient à entretenir un petit goût de mystère propre au conte de fées, peut-être de manière un peu artificielle mais habile grâce à l’écriture d’un nouveau conte au sein de l’ancien. Gretel et Hansel se révèle être davantage un jeu de mise en abyme et de réappropriation qu’une simple et fidèle adaptation aux airs de film d’horreur. Si le conte est bien le reflet d’une psyché inconsciente collective, alors celui- ci exprime un besoin urgent de libération.

Photos : captures d’écran blu ray © Warner

Blu-ray sorti chez Warner (Zone A)

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