Le rarissime Un marteau pour les sorcières s’inspire d’un roman de Vaclav Kapliski couplé avec les rapports de procès avec les sorcières. Un carton indique au générique que
les textes de procédures ont été repris des registres authentiques des audiences d’inquisition lors des procès de Losiny et Sumperk de 1678 – 1695
Le film débute par un prologue qui affiche sans ambiguïté les intentions du film. Un religieux encapuchonné avec des yeux vitreux, énonce de manière hallucinée : « Par la femme le péché est venu au monde. La femme c’est le péché ». Pour appuyer – ironiquement dans un but de déconstruction – cette position dominante, le film ne s’embarrasse d’aucun tabou, expose frontalement, dans une série de plans osés, la nudité des corps féminins sortant le plus naturellement du monde du bain. Puis à nouveau, le film revient en gros plan sur le prédicateur qui continue à déverser sa haine envers le sexe « dit » faible.
Faible, c’est peu dire, dans le contexte où se situe le film. L’action se déroule en Moravie – ancienne Tchéquie pour une partie du territoire – en 1670. Les superstitions alimentent la peur irrationnelle d’une population ignorante sous l’emprise du pouvoir politique et surtout religieux. Pour avoir dérobé une hostie, afin de soigner sa vache ne donnant plus de lait, une vieille femme inoffensive, en tout cas filmée comme telle, se fait accuser de sorcellerie. A la demande du curé du village et le seigneur du pays, par excès de zèle et/ou par obscurantisme, font venir un juge, Bobling, qui s’appuie sur les techniques de l’inquisition pour faire avouer, sous la torture, les suspects de tous les crimes qu’ils n’ont pas commis. Bobling s’inspire du fameux manuel Malleus Maleficarum, pour mener ses interrogatoires. Pour rappel, ce torchon, pardon, ce traité, écrit par les dominicains Henri Institoris et Jacques Sprenger au XVème siècle est une invention française. Oui, de belles hérésies ont fleuri dans notre cher pays. Le texte fut évidemment utilisé dans le cadre des chasses aux sorcières au gré de multiples rééditions et traductions. Si ce best-seller fut rapidement condamné officiellement par l’Église Catholique, il continua à circuler en sous mains justifiant les pires sévices et meurtres gratuits. Un alibi idéal pour Bobling, présenté dès sa première apparition, en tenancier d’une auberge, comme un minable imposteur qui n’a jamais terminé ses études mais a pu impunément exercer son métier. Il a bénéficié d’une excellente réputation au sein du clergé avant de se retirer. Dès qu’il endosse sa tenue de juge, confirmant que si l’habit ne fait pas le moine, il lui en donne le pouvoir. Et c’est parti pour une longue et implacable descente aux enfers sans aucune issue possible. Le juge, jouissant pleinement de la situation, comme un gosse sadique et affamé, multiplie interpellations, tortures et les condamnations à mort sur le bûcher. Ce programme sidérant ne laisse jamais respirer le spectateur, asphyxié par une narration rectiligne, sans fioriture, toujours au service d’un narration à l’austérité nécessaire. Amateurs de bisserie déviante, soyez prévenus, Un marteau pour les sorcières emprunte des voies plus proches de Dreyer que de Jess Franco, ce qui ne l’empêche nullement d’être captivant de la première à la dernière image. Son réalisateur, Otakar Vavra, qui fut le mentor de Milos Forman et Jiri Menzel entre autres, semble avoir été oublié des dictionnaires. Méconnu en France, il a pourtant signe une cinquantaine de longs métrages étalés sur plus de soixante ans. Décédé à 100 ans pile en 2011, il fut l’homme de tous les régimes, passant du nazisme au communisme le plus totalitaire, dans lesquels le cinéma lui permit, avec tous les compromis que l’on imagine, de s’épanouir. Cet aparté permet aussi de mieux saisir les enjeux idéologiques qui infusent le film, disséminant un double discours très évident aujourd’hui mais qui leurra la censure à l’époque.
Un marteau pour les sorcières ne triche pas. Il s’agit bien d’un terrible réquisitoire contre l’Eglise et, plus largement, la société patriarcale marquée pas sa détestation et sa peur des femmes. Et derrière, la peur de se voir déposséder du pouvoir mais aussi d’accepter ses faiblesses, ses désirs et sa capacité à se remettre en cause. Dans ce contexte historique, qui, parait-il, n’est pas d’une totale exactitude mais parvient à générer un universalisme bienvenu, il est finalement plus confortable et rassurant d’envisager les femmes comme de potentielles sorcières dès qu’elles s’écartent de la place qui leur a été imposée. La deuxième lecture possible, évidente à la lumière de l’Histoire, et en prenant compte du statut du cinéaste, prend des allures d’allégories contre les régimes totalitaires, quels qu’ils soient puisque Otakar Vavra les a presque tous connus. La charge est d’une violence inouïe révélant la folie des hommes au pouvoir, sombrant dans l’abondance, l’excès. La figure de Bobling est volontairement hypertrophiée, pour mieux faire ressentir au spectateur le sentiment d’injustice, la frustration de se retrouver dans une impasse face à un monstre désespérément humain dans ses pires bassesses.
Tourné en cinémascope dans un somptueux noir et blanc, dont les images possèdent une tessiture assez réaliste, proche de certaines photographies des années de guerre, loin de la dimension esthétiques et baroque du cinéma de genre, Un marteau pour les sorcières brille par sa mise en scène concise et rigoureuse, d’une cohérence absolue jusque dans la direction d’acteurs, volontairement raides, qui ne vous feront pas le plaisir d’afficher un seul sourire. Les séquences de tortures, filmées hors champ, laissent pourtant une forte impression par les choix du réalisateur de montrer en gros plans les plaies sur les pieds et les mains, s’attardant aussi sur les visages terrifiés. La position de Otakar Vavra est claire. Il décrit en monde en perdition, contaminé par le mal offrant une vision marquée par un athéisme profond doublé d’un désespoir absolu. Aucune lumière ne vient éclairer ce douloureux voyage au bout de l’Enfer, lucide et sans concession, très supérieur à La Marque du Diable tourné la même année sur un sujet plus que similaire.
Sortie chez Artus dans une très belle copie, l’édition combo DVD/Blu-Ray ne comporte aucun bonus si ce n’est un diaporama.
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