Ce que nous rapportent les blocs de réel mis en narration par le montage de Perrault (nous sommes sur les terres du cinéma direct le plus emblématique du genre), c’est une partie de chasse à l’orignal à laquelle participe pour la première fois Stéphane-Albert, dit «Bert», personnage-relais du cinéaste (tous deux sont poètes et se connaissent) qui va se retrouver confronté au groupe d’habitués dont font partie son cousin et, surtout, son ami d’enfance Bernard. Au fil de la semaine passée dans les bois, le film va s’attacher tout particulièrement à la relation Bert/Bernard, le premier dépeint en poète -et surtout bloc de sensibilité- pas complètement adapté à la rudesse bourrue du groupe dont le second est le parfait représentant. Si les premières séquences dessinent une opposition technique (Bert et son acolyte Maurice chassent à l’arc, Bernard et tous les autres au fusil et chacun défend vigoureusement sa pratique), ce qui les sépare grandit de jour en jour, Bert devenant un souffre-douleur désigné pour le groupe et une violence sourde se faisant de plus en plus présente. C’est que Bert est là par amour pour la Beauté et pour un Bernard à qui il n’a de cesse de déclarer une amitié enflammée, tandis que les autres honorent la nature à leur manière, doigt sur la gâchette, mains dans les tripes et blagues salaces à la bouche. Plus que l’orignal qu’on appelera, priera presque, et attendra beaucoup dans cette aventure, la «bête lumineuse», c’est l’humain -et surtout Bernard à travers le regard de Bert. Dans cette appellation paradoxale se retrouve toute la profondeur du regard de Perrault: l’homme y est parfois réduit à son animale primitivité, mais l’illumination ne lui sera pas refusée. A travers une construction subtile de blocs saisis sur le vif, nous faisant avancer dans cette partie de chasse, de moments de traque en soirées plus qu’arrosées, à coup de séquences remarquablements inscrites dans le temps et de quelques allers-retours parfaitement négociés entre moment vécu et débrief du soir, La Bête Lumineuse balade le spectateur d’hilarité (le film atteint pafois des sommets de comédie) en inquiétude (un soupçon de malaise commence à poindre). Une balade jonchée de moments d’anthologie.
Si dans les séquences finales, d’une rare tension émotionnelle, la meute humaine semble avoir le dernier mot sur un Bert à la gorge serrée et au souffle coupé, Perrault se garde bien de condamner qui que ce soit, et rend aux hommes un petit peu de l’impériale opacité de la nature. D’ailleurs, Bert finira par avoir sa revanche symbolique, dans l’œuvre du cinéaste: c’est L’Oumigmag, court-métrage de 1993 à la recherche d’une autre bête mythique, où ne subsistent plus que la nature et la poésie -pour une définition paradoxale de l’objectif documentaire. Ce beau film est repris en bonus dans l’edition DVD de La Bête Lumineuse, aux côtés d’un entretien éclairant avec Caroline Zéau sur la place de Pierre Perrault dans l’histoire du cinéma direct. Autant de raisons suplémentaires, s’il en était besoin, d’aller chercher la bête.
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