La sortie du coffret Pedro Almodovar est l’occasion rêvée pour se replonger dans l’univers intime d’un cinéaste. Elle permet d’envisager sa filmographie différemment, de voir combien son cinéma évolue de film en film, tout comme de nouvelles esthétiques se profilent régulièrement, du baroque à l’épure. Fabuleux mélangeur de tons et de genre, Almodovar apparaît dans toute sa cohérence et ses obsessions, ses mélodies lancinantes et la persistance éternelle de la loi du désir. Si l’on regrette un peu que manquent à l’appel Matador et Labyrinthe des passions, on se délectera du reste de sa filmographie, qui in fine n’offre que très rarement de films mineurs.

Premier film officiel d’Almodovar à l’heure où sa vie d’employé de la Compagnie nationale de téléphonie d’Espagne était contaminée par son désir de faire du cinéma, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (1980) est une comédie exubérante placée sous le signe d’une absence totale de tabous, d’un désir permanent de provoquer, d’envoyer à la figure son exaltation de la liberté et de la colère contre ceux qui s’en offusquent. C’est son film le plus symptomatique d’une Espagne de la « transition » entre la mort de Franco et l’émergence de la gauche, avec ses nostalgiques douteux du tyran et d’autres qui incarnent déjà l’avenir. Plus que jamais le Almodovar de la Movida y explose, avec son monde interlope, ses travestis, ses homos joyeux, ses groupes punk lesbien. Il a la beauté des premiers films avec cette fureur instinctive, presque enfantine. Dans la drôlerie, la vulgarité, les situations extrêmes souffle le vent de l’affranchissement. Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier vaut aussi pour son vibrant éloge d’une amitié féminine atypique.

Avec La loi du désir (1987) Almodovar affine les thèmes et la liberté de ton qu’il inaugurait avec Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier et commence à les cadrer en cherchant la traduction stylistique adéquate guidé par une sensualité terrible, en un va-et-vient de l’émotion et de l’outrance. Entre une Carmen Maura en transsexuel, un Antonio Banderas en amoureux fou au sens propre, La loi du désir brille de la fureur de la pulsion irrationnelle et amorale. Il constitue l’œuvre matrice de son étude de la passion, loin de tout tabou et de tout archétype social. La loi du désir excelle aussi dans ses grands moments de théâtralité, son fusionnement du réel et de la mise en scène, un baroque poignant qui trouve son apogée lorsqu’une petite fille chante sur une estrade sombre où éclatent de rares couleurs vives « Ne me quitte pas » de Jacques Brel.

loidudesirLa loi du désir est parsemé des signes de ses œuvres futures – des relations homosexuelles torturées présagent de la Mauvaise Education, un artiste qui commence à se perdre entre l’écriture et la réalité comme dans Kika… etc) comme autant d’indices à de futurs leit-motivs. Le mélange des tons et des genres y est déjà démesuré – mélodrame, intrigue policière, comédie de mœurs.. – passant du moment le plus poignant au merveilleux grotesque.

Dans les Ténèbres (1983) témoigne de la virtuosité du cinéaste à fusionner les genres, au point d’aboutir à un résultat quasi magique dans sa folle absurdité. Cette histoire d’une chanteuse de Bolero qui après la mort de son petit ami se réfugie dans le couvent des Rédemptrices humiliées pourrait n’être qu’une fable provocatrice, irrévérencieuse et sacrilège. Almodovar réussirait déjà évoquer avec une ironie dévastatrice tous les vestiges du franquisme et d’une oppression religieuse intacte. Mais le rire qu’il provoque en nous faisant partager la vie quotidienne de ces sœurs dépressives et toxicos, qui se sont données des noms atroces par culte du dolorisme, ne devrait pas occulter le splendide mélodrame aux teintes oniriques qu’est Dans les ténèbres.

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Il suffit de voir un tigre servir d’enfant à l’une d’entres elles, ou d’entrevoir le sentiment de rébellion s’élever au sein d’un couvent hors-la-loi pour être étreint par une vive émotion. Curieusement, alors qu’Almodovar traite ici le plus frontalement possible de la religion, c’est peut-être ici qu’il respecte le plus l’idée de la foi : indépendante, autre, intime, qui s’affranchit de toutes les oppressions. Dans les Ténèbres est un film fou et splendide.

Comédie désopilante et provocante, réalisée en 1984 Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ça ? va particulièrement loin dans le mauvais goût salvateur, mais plus encore déclare l’humour comme une porte de sortie. Rarement peut-être le terme de politesse (ou remède) du désespoir n’aura autant été aussi adapté à ce comique si particulier, qui s’impose dès la première séquence où Carmen Maura en femme de ménage d’un Dojo imite les combattants avec son balai avant de forniquer furieusement sous la douche avec un combattant. Almodovar plonge délibérément dans le satirique et le scabreux, l’acmé étant probablement atteinte avec cette vision d’un dentiste pédophile tournant lubriquement sa langue près du visage du gamin qu’il ausculte avant qu’il ne lui soit « confié ». Si Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ça ? n’avait été que trash et antisocial, il aurait sans doute pu constituer son Affreux, sales et méchants à lui. Mais, Almodovar a bien trop de tendresse pour ses personnages pittoresques pour être cynique. Que ce soit l’héroïne Gloria ou Cristal, cette voisine prostituée si généreuse, qu’elle est prête à dépuceler gratuitement un adolescent pas si frêle, qu’elles sont belles ces femmes, et qu’elle est moche la virilité, incarnée par des hommes dominateurs, lamentables, tous plus abjects les uns que les autres !

Si Femmes au bord de la crise de nerf (1988) peut s’apparenter à une récréation pour Almodovar, il constitue surtout un tournant esthétique, dès son magnifique générique rétro beau comme d’anciennes gravures de mode. Le cinéaste profite d’une trame de vaudeville pour s’adonner à un pur exercice de style, en filmant une comédie comme un suspense hitchcockien. Justement, à l’instar de La Corde, auquel il empreinte quelques beaux plans de l’urbain vue du balcon, Femmes au bord de la crise de nerf ne dissimule jamais sa dimension théâtrale et son filmage en studio : bien au contraire, il expose furieusement, avec jubilation ses artifices. Femmes au bord de la crise de nerf porte particulièrement bien son titre ; sous couvert d’une infinie légèreté (et de son aspect un peu mécanique, il faut bien le dire), Almodovar évoque des destins de femmes meurtris qui finissent par imploser à la vue des bassesses et de l’inanité des hommes.

Attache-moi (1990) marque une vraie transition dans la carrière d’Almodovar, tout d’abord parce que c’est le film qui le fera connaître d’un public beaucoup plus large pour un cinéaste au succès jusqu’alors un peu plus confidentiel (même si Femmes au bord de la crise de nerf amorce déjà ça). Mais c’est surtout dans la forme que l’évolution est la plus frappante, Attache-moi se caractérisant par une mise en scène beaucoup plus sophistiquée, par la grâce de ses mouvements de caméra (travellings, balayage du décor, utilisation de la grue), la fluidité du montage, la beauté de ses cadrages, la mise en valeur de sa géométrie … L’image y est incroyablement pensée, explosant dans ses teintes primaires.

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Attache moi pourrait être défini comme une lecture de LA comédie romantique par Almodovar, c’est-à-dire sous le prisme de la pulsion sexuelle, du charnel … et du syndrome de Stokholm. En cela il libère son amour de façon fabuleusement émouvante de tous les carcans de la norme et de la morale. Antonio Banderas décline à travers Ricky le personnage d’amoureux-fou qu’il incarnait dans La Loi du désir. Attache-moi constitue également le premier volet de son hommage formel au cinéma de genre, qu’il poursuivra avec Talons Aiguilles et Kika. Si le découpage poursuit la quête hitchockienne, ajoutant un parfum de mystère partout (y compris dans l’emploi souvent herrmannien de la musique de Morricone), c’est tout son amour pour Argento et le giallo qui transparaît dans ces trois films : structure du cadre, fétichisme des plans, agencement des arrières/premiers plan, gestion de l’espace. On se souvient qu’il avait déjà utilisé des plans de 6 femmes pour l’assassin de Bava dans l’ouverture de Matador, mais ici, l’influence est éclatante. Si l’exhalaison du scandale s’est un peu évaporée, Atame reste un formidable film passionnel dominé par la singularité géniale de ses sentiments. Le visage final de Victoria Abril, illuminé par les pleurs est inoubliable.

S’en suivent de manière presque ininterrompue quelques magnifiques portraits de femme dans lequel Almodovar décline à l’envie la figure féminine comme l’héroïne du monde et de la vie : amante, mère, pute ou criminelle, Almodovar lui dresse le même autel, et son cinéma lui est définitivement dédié. Curieusement, bien qu’il fut probablement le film de la consécration pour Almodovar, Talons Aiguilles (1991) est loin d’être son meilleur film. Son intrigue policière abracadrante le rend parfois un peu bancal, et l’hésitation entre les tons est peut-être moins heureuse que dans d’autres de ses œuvres. Il n’empêche qu’il propose l’un des plus belles visions des rapports mère/fille, une déchirante histoire d’incommunicabilité et de quête de rédemption qui aboutit à l’une des plus belles séquences finales d’Almodovar. La dimension tragique est la plus réussie, en accord avec son esthétique rougeoyante et la virtuosité d’Almodovar à filmer l’espace comme une multiplication de lignes horizontales. Le mur le plus banal peut se métamorphoser en création graphique hypnotisante.

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Les moments de grâce musicaux qu’ils soient plongés dans l’ambiguïté sexuelle (Letal power !) , la pure chorégraphie (Bibi Anderssen power !) ou l’émotion poignante (les pleurs de Marisa Paredes) constituent autant de trouées hors du temps, en apesanteur. En l’espace de trois films, Almodovar allait offrir à Victoria Abril des rôles aussi variés que complexes. Après Marina l’ex-actrice de porno séquestrée, et la sublime Rebeca de Talons Aiguilles, elle incarne dans Kika (1993) une vraie méchante, mais pleine de complexité, l’infernale Andrea Caracortada, présentatrice télé futuriste en quête de scoops crapoteux et d’affaires glauques pour flatter les plus bas instincts du spectateur. L’exubérant Kika marque le retour d’Almodovar à la comédie pure, mais une comédie grinçante, satirique, qui s’attaque en particulier à l’obscénité des médias, à l’image-voyeur qui pousse le vice à diffuser des meurtres en direct ou des vidéos volées de viol. Revoir Kika permet de constater combien l’inquiétude d’Almodovar vis-à-vis de l’avancée de la télé réalité avait lieu d’être justifiée. Mais Kika, c’est aussi et surtout son personnage principal, candide, naïf, fabuleusement décalé, hors de la réalité.

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On l’aime Kika, elle nous émeut, elle nous transporte, on admire son innocence et son altruisme. Déjà superbe dans Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ça ? Verónica Forqué lui donne tout son charme et sa verve. Qui d’autre qu’elle pouvait rendre aussi désopilante et attendrissante pouvait livrer l’un des rares scènes de viol drôles du cinéma ? Kika vaut bien plus que son intrigue policière très inspirée de Ténèbres d’Argento. Almodovar nous présentait l’une de ses plus lumineuses héroïnes. Et lorsqu’elle dit avoir besoin d’orientation, on aimerait bien la suivre à notre tour la suivre.

Avec La Fleur de mon secret (1995), Almodovar démontre qu’il est capable d’aller vers l’épure, dans ce drame d’une sobriété exemplaire montrant les affres d’une écrivain (Parades) de roman à l’eau de rose dont la littérature s’assombrit, désormais incapable d’inventer de « bons sentiments ». Sous son apparente douceur, La Fleur de mon secret est d’une mélancolie déchirante.

On connaît l’attirance d’Almodovar pour le cinéma de genre et sa propension à fusionner parfois les univers. Dans En Chair et en Os (1997), il adapte Ruth Rendell pour offrir un vrai film noir mais le classicisme n’est jamais tout à fait ce qu’il présage chez Almodovar. Car derrière le thriller et son furieux quatuor de flic blessé, de bad boy trop sûr de lui, entourés de deux femmes amoureuses, n’est-ce pas à nouveau la loi du désir qui domine dans toute sa splendeur ?

La femme, ne jamais s’en détacher…

Ses œuvres ne se limitent pas à une héroïne, intégrant à l’intérieur d’un seul film plusieurs incarnations telles un chœur de figures flamboyantes. Elles sont plurielles et singulières, tour à tour symboliques et réelles. Tout sur ma mère (1999) propose alors une fascinante quête de filiation posthume où le théâtre se mêle à la vie, avec en filigrane l’idée de cette actrice, muse et mère jouée par Marisa Paredes. L’amour sous toutes ses formes déployé en un gigantesque mélo sans frein débordant d’humour et de grâce.

De film en film, il poursuit cette illustration d’une idée presque alchimique du destin dans lesquelles les âmes, au bout de siècles de souffrances, comme par magie finissent toujours par se retrouver. Chaque drame a sa conclusion, son aboutissement presque miraculeux. Mais la mélancolie persiste dans l’idée d’un sacrifice individuel inévitable. Parle avec Elle (2002) est une telle apogée dans la filmographie d’Almodovar qu’on peut se demander légitimement si le cinéaste sera capable de faire mieux. C’est une forme de film somme qui condense et fusionne tous les thèmes chair à Almodovar mais dans une épure majestueuse, à l’image des ballets de Pina Bausch filmés comme des miroirs symboliques, des harmonies en écho aux sentiments exposés dans le film.

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Parle avec elle est tout d’abord une immense film d’amour, un immense film charnel qui évoque comme souvent chez le cinéaste, une passion qui se soustrait de la morale et des tabous. L’ombre de Bergman pèse sur Parle avec Elle, un peu à la manière de Persona, deux femmes en miroir viennent exprimer l’amour, deux femmes plongées dans le coma, au chevet duquel se tiennent leurs amoureux réels ou chimériques. D’un côté l’amoureux secret Begnino qui ne cesse de parler à la bien aimée rêvée, à la caresser, à la choyer. Et de l’autre Marco, n’osant plus s’adresser à Lydia depuis qu’elle n’est plus consciente.  Ici, le tabou le plus ultime brisé par Begnino est l’amour le plus ultime, car il exprime une forme de passion totale, sans frein qu’Almodovar parvient à exposer en une pudeur inouïe. Alicia, dans le coma n’est jamais juste un corps, elle est la splendeur de la nudité, la splendeur sacrée de la femme.  Et il fallait Almodovar pour être capable de retranscrire cette osmose du sacré et de l’érotisme de façon aussi sublime. A l’image de cet homme qui pleure, incapable de maitriser le reflux d’émotions intimes en regardant un spectacle de danse, parle avec elle est d’une telle intensité qu’il émeut jusqu’aux larmes sans jamais avoir recours au pathos. Il suffit de cet instant magique, de deux visages éclairés d’un même rayon pour suggérer la naissance de l’amour. Le film parfait.

Tel un extraordinaire contraste, le magnifique La mauvaise éducation (2004) évacue l’univers féminin pour plonger dans les vertiges de la passion homosexuelle. Almodovar propose une œuvre extrêmement noire et intime, dont la flamboyance romanesque peine à dissimuler la teneur autobiographique. C’est une œuvre clé dans la filmographie du cinéaste, qui permet d’éclairer de nombreuses zones d’ombre de ses films précédents. Toute son aversion pour la religion se retrouve matérialisée dans l’évocation des abus sexuels pédophiles commis par les prêtres à l’époque franquiste sous couvert d’éducation religieuse – celle qui donne son nom au titre. C’est à la fois magnifique et glaçant.

La femme, comme éternel retour…

Almodovar vient s’y baigner à nouveau, laissant présageant avec la présence d’une nouvelle égérie de la synthèse de toutes les autres. Pourtant, comparé à ces prédécesseurs Volver (2006) paraît plus consensuel et plus redondant, malgré la prestation impressionnante Penelope Cruz. Le fusionnement des genres et de ses thèmes de prédilection (Thriller, mélodrame, comédie, éloge de la femme) se faisait plus systématique et moins surprenant.

Almodovar s’éloigne difficilement de l’arrière plan créatif, proposant un cinéma toujours plus troublant dans son rapport autobiographique, la plupart de ses œuvres évoquant les affres de la création, de l’élaboration de la fiction, du cinéaste à l’écrivain. Accueilli parfois un peu tièdement Les Etreintes brisées (2009) est pourtant le meilleur Almodovar depuis Parle avec Elle. Il partage avec ce dernier cette imprégnation du désespoir qui conduit progressivement vers la luminosité. Comment ce scénariste et écrivain, Mateo Blanco est-il devenu aveugle, pourquoi a-t-il définitivement abandonné son vrai nom Mateo Blanco contre son nom d’artiste Harry Caine.

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La structure en puzzle dont les pièces se reconstituent lentement en un va-et-vient passé présent est d’autant plus splendide qu’elle allie la beauté formelle à la montée en puissance du bouleversement des cœurs. Almodovar, une fois de plus évoque le milieu du cinéma, mais ici tout semble incroyablement intime et tragique, comme une inspiration irrémédiablement liée à la vie, comme un processus créatif qui épouse les soubresauts humains. Les étreintes brisées propose une mise en abyme constante d’un cinéma qui se fait voyeur, aux vertiges du réel confondu à la fiction. C’est une œuvre qui porte le sceau du fétichisme hitchcockien et d’un romanesque échevelé mêlé au mystère, digne de Vertigo. Son image est à la fois le lieu du vertige et une texture sensible – le drame reflété sur un écran télé – dans laquelle on touche l’être à travers elle. Il y a du De Palma dans ces Etreintes brisées.

Almodovar se recolle au polar en 2011 avec La piel que habito (2011) qui semblait être destiné à Almodovar. Adaptation du Mygale de Thierry Jonquet, cette terrible histoire de vengeance fomentée par un médecin qui fait subir un changement de sexe à l’agresseur de sa fille, avait tout pour donner naissance à un film sulfureux, renvoyant à ses thèmes de prédilection, le questionnement de l’identité sexuelle et ses tourments. Hélas, son film, un peu trop paresseux pour convaincre, se contente d’être illustratif, tout en motifs hitchcockiens. In fine La piel que habito (2011) paraît curieusement sage au vu d’un tel sujet.

Les amants passagers marque une pause récréative dans l’inspiration d’Almodovar … et une rupture avec la critique, sans doute trop habituée à un Almodovar plongé dans les labyrinthes des passions. Et pourtant, Les amants passagers a quelque chose de salvateur dans sa trivialité, sa liberté de ton, comme un retour nostalgique vers l’esprit frondeur de la movida. Il y a quelque chose d’adolescent dans cet opus d’Almodovar (nous l’avions défendu ici-même).

Julieta (2016) revient en quelque sorte à cette obsession originelle d’une femme-monde en quête d’elle-même, (Vincent Roussel en parlait ici) et aux déchirures filiales, aux traumatismes familiaux indélébiles. Almodovar emprunte l’ex-actrice fétiche de Julio Medem, celle qui incarnait avec sensualité la Sofía / Lisa de L’Ecureuil Rouge, autre grand film sur les reflux de la mémoire et la nécessité de replonger dans le passé pour ouvrir la voie à une renaissance. Comme un nouvel écho visuel et thématique au Persona de Bergman, Almodovar multiplie les effets de miroir et de dualité, autant dans la dichotomie mère/fille que le passage d’adolescente à femme. A ce titre, Julieta offre la plus belle ellipse temporelle qui soit, où comme par magie, le temps de retirer la serviette sur des cheveux mouillés l’héroïne est passé d’un âge à un autre, d’une actrice à l’autre. Avec une tension presque hitchcockienne, le cinéaste évoque à nouveau les ravages du temps, et l’énergie de l’humain à vouloir rattraper l’irrattrapable, jusqu’à pouvoir faire des miracles.

L’inspiration d’Almodovar ne peut se tarir tant elle inclut la variation, la déclinaison des thèmes comme moteur de son œuvre, comme si les interrogations autour de la femme, de l’amour, du destin, de la mort n’avait jamais de réponse, et que chaque nouvelle œuvre les ramenait, les remodelaient vers des pistes infinies.

Technique

Des copies dans l’ensemble superbes avec notamment plusieurs films jamais sortis jusqu’alors en blu-ray. Les suppléments sont particulièrement intéressants, éclairant l’œuvre d’Almodovar, en particulier en le re-contextualisant dans l’Histoire de l’Espagne et tout particulièrement dans le mouvement contre culturel de la Movida. De nombreux entretiens avec toute la bande d’Almodovar contribuent à faire de cette anthologie un objet indispensable pour les amateurs du cinéaste ou ceux qui voudraient s’y lancer. L’occasion de saisir à quel point il est un créateur majeur.

Le Cinéma d’Almodovar – Anthologie [17 Blu-ray + 1 DVD] [17 Blu-ray + 1 DVD] – Coffret édité par TF1 Vidéo

– Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (DVD)
– Dans les ténèbres (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– La loi du désir (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Femmes au bord de la crise de nerfs (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Attache-moi ! (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Talons aiguilles (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Kika (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– La fleur de mon secret (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– En chair et en os (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Tout sur ma mère (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Parle avec elle (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– La mauvaise éducation (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– Volver (inédit Blu-ray – restauré en 2K)
– « Etreintes brisées » (Blu-ray – restauré en 2K)
– « La Piel que habito » (Blu-ray)
– « Les Amants passagers » (Blu-ray)
– « Julieta » (Blu-ray)

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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