Indissociable de son premier long-métrage américain, Bullitt et sa légendaire course-poursuite, le Britannique Peter Yates n’est pourtant pas l’homme d’un seul succès. Touche-à-tout talentueux, il alterna entre petites productions et gros budgets, navigant entre l’Angleterre et les États-Unis, aussi à l’aise dans le drame (Breaking Away, John and Mary), l’aventure (La Guerre de Murphy) ou évidemment le policier (Les Quatre malfrats ou Trois milliards d’un coup grâce auquel il se fera repérer par Steve McQueen). En 1983, alors que sort sur les écrans Le Retour du Jedi, Columbia compte bien profiter de l’engouement autour de Star Wars en développant sa propre franchise fantastique et offre au cinéaste ce qui était alors le projet le plus cher du studio : Krull. Imaginé comme un potentiel successeur à la saga de George Lucas qui arrivait (provisoirement) à son terme, le film est accompagné d’une gigantesque campagne marketing et d’innombrables produits dérivés (jeux vidéo, jeux de plateau…) mais ne remplira pourtant pas les salles, en plus de critiques pour le moins mitigées. Écrit par Stanford Sherman, habitué de la télévision (il a officié sur la série 60’s Batman avec Adam West et sur Des Agents très spéciaux), ce dernier prend donc place dans le monde imaginaire de Krull. On y suit le prince Colwyn (Ken Marshall), parti à la recherche de sa bien-aimée Lyssa (Lysette Anthony) enlevée par la Bête et son armée de Slayers, le jour de leurs noces. Ayant peu à peu gagné le cœur des fans du genre et acquit un petit statut culte, cette épopée d’heroic fantasy (qui, un an après la sortie de Conan le barbare, s’apprêtait alors à connaître son heure de gloire au cinéma) est désormais disponible dans un mediabook Blu-Ray / DVD édité par Sidonis Calysta.

(© Copyright Sidonis Calysta 2020)

Krull trouve donc son origine dans la volonté de producteurs de surfer sur un succès planétaire sans réellement prendre de risques. Contrairement aux divers plagiats de séries B (voire Z) ayant fleuri en Italie entre la fin des années 70 et le début des années 80 (Star Crash de Luigi Cozzi, L’Humanoïde d’Aldo Lado), il prend la forme d’un blockbuster au budget pharaonique. Ses emprunts sont certes divers, allant du Seigneur des anneaux (qui avait connu sa première adaptation animée signée Ralph Bakshi trois ans plus tôt) au Magicien d’Oz (le sorcier d’émeraude, le cri que pousse l’un des ennemis en fondant qui évoque la mort de la Sorcière de l’Ouest), mais la principale inspiration demeure évidemment La Guerre des étoiles. Du plan d’introduction et son astéroïde venant frôler la caméra sur fond de ciel étoilé, aux gardiens de la Forteresse Noire dont le look évoque les Stormtroopers, en passant par son intrigue de princesse prisonnière d’un seigneur du mal, tout est mis en œuvre pour satisfaire les fans de la trilogie culte. Si la fidélité aux figures chères à Joseph Campbell est incontournable (élu, vieux mentor, arme légendaire, tanière du méchant…) et que certains des choix s’intègrent plutôt bien à l’univers mis en place (les Slayers extraterrestres tirant des rayons lasers, les tenues rétro-futuristes des soldats), d’autres semblent trop similaires à la saga pour engendrer une quelconque originalité. Ainsi les deux soleils dans le ciel de la planète Krull (renvoyant à Tatooine) ou le solennel « chacun son destin » que les personnages se souhaitent, qui n’est pas sans rappeler le fameux « que la Force soit avec toi », révèlent une approche ouvertement plagiaire dans la construction de ce « nouveau » monde. En résulte un curieux mélange d’heroic fantasy, de space opera et de film de cape et d’épée (Ken Marshall en héros bretteur et charmeur façon Errol Flynn) handicapé par un scénario simpliste et mécanique, piochant dans les figures du jeu de rôles comme Donjons et Dragons (le guerrier, le mage, les voleurs…) pour façonner ses personnages. Avec des alliés débarquant comme par magie afin de rejoindre le protagoniste dans sa mission, et des péripéties similaires à des tableaux à compléter pour poursuivre, le systématisme du récit renvoie aux schémas basiques de l’écriture vidéoludique. Ce dernier se résume à parcourir des niveaux en amassant des items jusqu’à l’affrontement contre le boss final, le souffle épique ou la profondeur psychologique n’étant pas de mise. Pourtant, le long-métrage, à la faveur d’une naïveté et d’une candeur kitsch, provoque un plaisir presque enfantin à voir un Colwyn valeureux éviter les pièges et les chausses trappes d’un château démoniaque. Dans le making of promotionnel présent en bonus, Peter Yates cite des œuvres ayant marqué sa jeunesse, comme Le Voleur de Bagdad et les romans du Cycle de Mars d’Edgar Rice Burroughs, parmi ses influences. C’est par ses références aux serials et à la culture pulp, son premier degré, son refus de tout cynisme (opposé à l’opportunisme du projet), que Krull partage le plus de points communs avec les aventures de Luke Skywalker.

(© Copyright Sidonis Calysta 2020)

Le film conserve un vrai charme malgré son approche trop markétée, en partie due à la sincérité de Yates, sa foi absolue en un pouvoir d’émerveillement provoqué par un spectacle quasi enfantin. Ici, tout est artificiel et fièrement assumé (dans une démarche proche de celle de son compatriote John Boorman avec Excalibur), du carton-pâte d’un château au design étonnamment épuré, à ce marais brumeux et cauchemardesque, en passant par cette chevauchée accompagnée d’une voix-off semblable à celle d’un conteur. Un mélange de prises de vues réelles (sur les paysages monumentaux de la campagne italienne), de maquettes et de décors en studio (dans les mythiques locaux de Pinewood), participe de la réussite visuelle, magnifiée par la superbe photo de Peter Suschitzky (chef op attitré de David Cronenberg) à laquelle le master proposé par Sidonis rend justice. Bien qu’accusant un certain coup de vieux, à l’image de l’animatronic de la Bête qui, malgré son statut de révolution technologique en son temps, a grandement perdu en crédibilité et minimise l’impact lors de ses apparitions, de nombreuses trouvailles visuelles émaillent l’aventure. Des dizaines de chevaux enflammés, le rendu très psychédélique de la cellule de Lyssa ou encore une magnifique araignée en stop-motion, hommage évident à Ray Harryhausen (au cœur d’une séquence touchante) sont autant de visions marquantes à mettre au crédit du réalisateur et de son équipe. Porté par la partition féerique et enlevée de James Horner et par la présence de comédiens alors débutants (Robbie Coltrane, Liam Neeson), Krull n’est pas un simple spectacle puéril et infantilisant et la quête de son protagoniste se double d’une lutte contre des dogmes archaïques. Ainsi, bien que léger, le récit n’en oublie pas pour autant de faire planer l’ombre de la mort sur tous ses personnages, s’abattant de façon abrupte, se jouant de tout héroïsme, de toute bravoure, sans pour autant tomber dans la noirceur faussement mature des tentatives récentes du genre (comme Blanche Neige et le chasseur). S’il n’égale pas le comique parodique de Princess Bride ou la puissance du drame intime de L’Histoire sans fin, il fait partie d’une heroic fantasy 80’s à réhabiliter aux côtés du formidable Legend de Ridley Scott ou du Ladyhawke de Richard Donner, le sous-texte psychanalytique propre aux contes de fées en moins. Deuxième projet auquel s’attelle le cinéaste en 1983 (l’autre étant l’adaptation cinématographique de la pièce L’Habilleur, qui recevra deux nominations aux Oscars), cette épopée s’avère une véritable récréation pour lui, les bonus témoignant de sa sincère implication dans la création de cet univers. Contrairement à la saga de Lucas, les années ont malheureusement eu raison de ses ambitions, les créatures ne sont pas mémorables et le monde de Krull n’éveille pas un intérêt profond pour sa mythologie, motifs probables de son échec au box-office et de l’annulation des éventuelles suites qui avaient été envisagées. Néanmoins, il demeure un curieux objet kitsch et attachant, tiraillé entre l’envie de bien faire de son auteur ainsi que sa véritable passion pour le fantastique, et une ambition cynique du studio, véritable cas d’école du système hollywoodien post-Star Wars.

(© Copyright Sidonis Calysta 2020)

Disponible en Blu-Ray et DVD chez Sidonis-Calysta.

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A propos de Jean-François DICKELI

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