Les années 80 marquent l’avènement de la VHS. Les magnétoscopes se font peu à peu une place dans chaque foyer et les séries B horrifiques, les films de genre à petit budget, quand ils ne sont pas portés par les studios (les sagas Vendredi 13 ou Freddy), quittent les salles de quartier pour se muer en direct-to-video. Le bis va alors effectuer une métamorphose et nourrir l’imaginaire d’innombrables cinéphiles qui réhabilitent au fil du temps, certaines pépites découvertes durant leur jeunesse. Sidonis Calysta s’est lancé dans une collection mettant à l’honneur ces bobines eighties à base de créatures en latex et de scream queens, dans de nouvelles éditions en DVD et en Blu-Ray Mediabooks. Après Les Monstres de la mer et Terreur extraterrestre, c’est au tour de Prison de Renny Harlin et des Entrailles de l’enfer de faire leur entrée dans cette sélection. Ce dernier, réalisé par Philippe Mora en 1982 n’eut pas le droit aux honneurs du grand écran sous nos latitudes et constitue un parfait exemple de cette culture vidéoclub. Le réalisateur australien d’origine française (qui vient alors tout juste de signer le western Mad Dog Morgan avec Dennis Hopper) s’empare d’un script écrit par Tom Holland (futur metteur en scène de Jeu d’enfant), le premier qu’il signe pour le cinéma. Lointainement inspiré d’un roman d’Edward Levy qui ne fut finalement jamais publié (le producteur Harvey Bernhard disposait en réalité des droits et avait demandé au scénariste d’inclure un passage de ce dernier), le long-métrage s’inscrit dans la grande tradition du genre. On y suit les mésaventures de Michael McLeary (Paul Clemens), un jeune homme de dix-sept ans qui se retrouve assailli de visions cauchemardesques et de symptômes étranges. Hospitalisé, il s’enfuit, poussé par son instinct vers le lieu maudit de sa conception où les secrets du passé vont refaire surface…
S’il n’est pas un auteur à proprement parler, Tom Holland demeure un profil singulier de l’horreur 80’s. À la plume sur Class 1984, Vampire, vous avez dit vampire ? (qu’il réalise en 1985) ou Jouer c’est tuer de Richard Franklin, l’adolescence, et les troubles qui en découlent, semble être son thème récurrent. Ici, Michael est en proie à une phase de transition, de transformation, sur laquelle il n’a aucun contrôle, comme des reflets déformés de la puberté. Une scène en particulier marque une métaphore à peine voilée et significative : dans un de ses rêves, le garçon pénètre une maison abandonnée et découvre, horrifié, ce qui se cache au sous-sol. Cette terreur de découvrir qui l’on est au fond de soi, de faire face à sa propre identité alors en pleine mutation, renvoie au titre original et bien plus parlant : The Beast Within (« la bête à l’intérieur »). Le script s’avère le point fort du long-métrage et suit en parallèle l’évasion du jeune homme et l’enquête menée par ses parents (interprétés par Ronny Cox, vu dans Robocop, et Bibi Besch). Ancré dans une petite ville rurale, pleine de secrets, habitée par une galerie de personnages troubles (le patron du journal local, le maire / juge…), l’intrigue rend hommage aux inspirations lovecraftiennes, entre autres, du scénariste. L’un des personnages s’appelle d’ailleurs Dexter Ward, et l’évocation d’un mal ancien, prenant possession d’un corps jeune pour se venger de ses bourreaux, n’est pas sans rappeler les obsessions de l’écrivain, que John Carpenter fera également siennes. Si certains dialogues ont tendance à surligner les intentions du héros, que la romance entre ce dernier et Amanda (Katherine Moffat) n’a rien de très incarné, le tout est rempli d’idées inventives. Morcelé en différentes parties, comme autant de nuit de mutation, le récit multiplie les scènes originales, à l’image de ce médecin identifiant un cadavre grâce aux traces que les opérations qu’il a pratiquées ont laissé sur son squelette, ou ce final aux relents œdipiens, conclusion terrible et fataliste. Malheureusement, la plupart de ces trouvailles demeurent des esquisses mal exploitées et laissent imaginer ce qu’aurait pu être le résultat entre de meilleures mains.
L’introduction des Entrailles de l’enfer laisse présager un hommage à l’esprit drive-in (ancêtre du direct-to-video) : un couple tout juste marié – les parents de Michael – tombe en panne au milieu d’une forêt embrumée sous une pleine lune irréelle. Accompagnée par une musique grandiloquente, la femme esseulée est attaquée par une créature qui la pourchasse. Après avoir chuté de nombreuses fois dans sa course (un poncif du genre), et s’être assommée, la bête viole soudainement cette dernière. Une rupture de ton pour le moins choquante et perturbante, qui matérialise une dimension sexuelle, pulsionnelle du monstre qui est d’habitude suggérée mais jamais abordée frontalement. Cette première séquence ne donne malheureusement pas le la du reste du film. Malgré une atmosphère poisseuse héritée de la tradition du Southern Gothic et quelques fulgurances (comme la mue laissée par le héros après sa transformation, seul vestige de son ancien lui), le long-métrage souffre d’une mise en scène très plate et ne tirant jamais parti de son ambiance. Ainsi, le carnage dans la morgue est trop rapidement avorté, tout comme cette attaque de commissariat dont le potentiel claustrophobique n’est à aucun moment pleinement exploité. Mora fait le choix d’un gore certes fun, mais trop rigolard pour correspondre aux thématiques du scénario, désamorçant même la moindre tension ou émotion. La transformation perd toute sa dimension symbolique et psychanalytique pour devenir un curieux mélange de lycanthropie et de possession, lors d’un passage relevant plus de l’exorcisme que de la métamorphose. Les effets spéciaux, pas toujours réussis, ne rivalisent à aucun moment avec ceux du Loup-garou de Londres et de Hurlements, sortis un an plus tôt (le cinéaste a d’ailleurs tourné deux suites au film de Joe Dante, sans plus de réussite). Ces défauts pourraient être pardonnés si le réalisateur ne se bornait pas à dévoiler son hybride en pleine lumière au lieu de s’en tenir aux plans subjectifs de la première partie. Doté d’un design frôlant le ridicule, celui-ci était pourtant bien plus angoissant lorsque sa présence était uniquement suggérée par le son qu’il émet. Cet « homme-cigale », héritage d’une légende indienne, et la dimension métaphorique de la renaissance qu’il charrie avec lui (basée sur le cycle de vie de l’insecte), avait une place importante dans le premier traitement d’Holland, selon Olivier Père qui intervient en bonus. Le metteur en scène a totalement abandonné cet élément, sans raison, préférant se concentrer sur une approche plus grand-guignol. En l’état, malgré un résultat final assez éloigné de son script prometteur, The Beast Within demeure un divertissement certes daté mais néanmoins appréciable pour peu que l’on soit sensible à un esprit bisseux typique de ce genre de productions.
Disponible en DVD et combo Blu-Ray / DVD Mediabook chez Sidonis Calysta.
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