Pupi Avati – « La Maison aux fenêtres qui rient »

Longtemps invisible, si ce n’est une édition DVD médiocre et recadrée sortie chez Free Doplhin, La Maison aux fenêtres qui rient débarque enfin dans une version en Blu-Ray et en UHD du plus bel écrin. La réputation de ce giallo provincial n’a rien d’usurpé, mais peut surprendre par son rythme lancinant, son absence d’effet de style et sa dimension épurée en rupture avec les frasques baroques du bis transalpin des années 70. Pupi Avati est un cinéaste classique ayant œuvré dans tous les genres avec un bonheur variable, entre comédie, mélodrame et film politique. Il débute en 1970 avec deux essais horrifiques quasiment invisibles par chez nous, Balsamus, l’homme de Satan et Thomas … gli indemionati. Et puis changement de cap, il réalise deux comédies, dont La Mazurka del baronne. Il occupe une position instable, ne pouvant être logé dans aucune case déterminée, ni un auteur à part entière comme certains grands maîtres de la comédie ni un artisan identifiable. Tout au long d’une carrière riche et hétéroclite, entre bizarrerie ésotérique, comédies populaires et films prestigieux calibrés pour les festivals, Pupi Avati ne s’est jamais positionné, éternel électron libre qui n’a pas connu la consécration ni de la part de la critique ni du public.

La Maison aux fenêtres qui rient - Film (1976) - SensCritique

Copyright Le Chat qui fume

Sa versatilité, loin d’être un handicap, lui a permis de se renouveler régulièrement et de livrer parfois le meilleur de lui-même, à l’image de La Maison aux fenêtres qui rient, poème morbide et inclassable traité sous l’angle d’un film classique, que certains ont qualifié de timoré. En effet, le réalisateur ne cède pas aux effets tapageurs, à l’érotisme à la mode et aux meurtres sanglants, misant sur une sobriété plastique risquée. Ce refus du spectaculaire se traduit à l’écran par une mise en place lancinante participant à son atmosphère lugubre. Pourtant, l’ouverture montrant un homme nu attaché et lacéré à coups de couteau, laisse augurer le contraire, la vision d’une œuvre graphique et hallucinée, proche de l’hystérie, ce que renforce une voix off déclamant un texte liturgique aux accents macabres. Après cette introduction choc, qui met le spectateur en condition au risque de le décevoir, le film emprunte furtivement la forme de la chronique picaresque. Stefano, restaurateur de tableaux, débarque dans un petit village situé dans la région d’Émilie-Romagne. Dès son arrivée, il est accueilli par le maire et un nain accompagné de son chauffeur dans une voiture rouge. La scénographie très picturale et atypique évoque une imagerie proche du surréalisme, une étrangeté disséminée dans un quotidien banal et ensoleillé d’une campagne, cadre habituel de comédies plus légères. Ensuite, Stefano prend ses fonctions dans une église, où il doit restaurer une peinture très abîmée, représentant le supplice de Saint-Sébastien, peinte par un artiste maudit assassiné quelques années auparavant. La toile demeure la véritable énigme du récit et la colonne vertébrale de ce qui va se dérouler sous nos yeux. Fasciné par la fresque, Stefano tente d’y percer le mystère et s’improvise détective amateur, revêtant ainsi la caractéristique classique d’un personnage issu d’un giallo classique.

La Maison aux fenêtres qui rient - Film (1976) - SensCritique

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D’autant que les morts commencent à entraver sa curiosité. Si la structure narrative ne se démarque pas du tout venant des thrillers italiens des années 70, en revanche, la manière de détourner un environnement géographique de ses fins habituelles, d’injecter du gothique dans un paysage apaisant, crée toute la saveur de cette œuvre envoutante à la bizarrerie enfouie derrière la surface. Rien n’est véritablement naturel dans ce village dépeuplé, quasi fantomatique où errent quelques figurants. Comme chez Michelangelo Antonioni, Pupi Avati décrit un environnement délesté de sa population. Ne participent au théâtre absurde que quelques silhouettes emblématiques : un curé étrange et solitaire, un chauffeur qui en sait plus qu’il ne veut bien le dire, un maire sympathique mais décalé et une institutrice nymphomane qui va rapidement se faire remplacer. L’absence d’enfant remet en question la fonction des personnages. Avati prend soin de distiller son atmosphère mortifère par petites touches. Tel un impressionniste, sans effet visuel ostentatoire, il rend compte de la désolation d’une topographie irréelle, proche du cauchemar éveillé. Le fantastique s’immisce à l’intérieur d’une enquête somme toute classique où le protagoniste cherche des réponses qu’il finira par trouver.

La Maison aux fenêtres qui rient - Film (1976) - SensCritique

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À contrario d’un titre ironique – et très bien choisi – La Maison aux fenêtres qui rient est un film qui fait la gueule, un drame d’épouvante poignant, description sans fard d’une Italie rurale oubliée, perdue dans ses superstitions et sa morale arriérée. Le chemin de croix du héros va l’amener à découvrir des secrets enfouis, des révélations qui dépassent l’entendement. Sous ses dehors convenus où la présence du surnaturel est liée à son climat onirique, ce giallo rural, à l’instar de La Longue nuit de l’exorcisme ou du plus méconnu Terreur sur la lagune de Antonio Bido dans lequel on retrouve le comédien Lino Capollichio, est une œuvre mélancolique, d’une tristesse infinie, où la chair n’est que le reflet d’un dolorisme assumé. Avati ne filme que l’abandon, les rues désertes, l’église vide de ses fidèles, les habitations déprimantes. Il suffit d’un plan sur l’intérieur d’un frigo rempli d’escargots pour saisir l’effroi de la situation. En réalité, Stefano atterrit au cœur d’un monde mort-né, « vide » de toute substance. Dès qu’il franchit le sol de la petite bourgade, il passe de l’autre côté du miroir, un peu comme Christopher Lee dans The Wicker Man. Derrière le conte horrifique, peuplé de fantômes et de culpabilité refoulée, Avati décrit aussi un pays rongé par la honte, par la duplicité d’une religion coupable des pires atrocités. Il n’a pas le talent baroque d’un Dario Argento ou d’un Mario Bava, restant accroché à une forme de naturalisme qui, loin d’être un défaut, apporte toute la portée dérangeante d’un film qui ne cesse de se dérober sous nos yeux, inclassable et fuyante.  Perdu dans les limbes de l’enfer, le protagoniste cherche une vérité évidente, qu’il avait sous ses yeux en restaurant le tableau. La mise en scène, subtile et faussement anesthésiée, ne vise pas le spectaculaire, préférant la suggestion aux effets chocs, volontairement dénué de meurtre sanglant et d’érotisme, très éloigné de la surenchère pratiqué dans le cinéma d’exploitation de l’époque. Mieux, elle gratte sous la couche de peinture, approche un réel aussi glauque que traumatisant à l’image d’un épilogue terrifiant, twist aussi logique que profondément pathétique.

Be Kind Rewind] LA MAISON AUX FENÊTRES QUI RIENT de Pupi Avati (1976) – Obsession B

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On ne remerciera jamais assez le Chat qui fume pour cette sortie miraculeuse d’un classique de l’épouvante des années 70. En bonus, l’éditeur a privilégié les interviews des comédiens -ne- s Lino Capolicchi et Francesca Marciano, du producteur Antonio Avati et surtout de Pupi Avati – décédé depuis – qui se livre à travers une intervention émouvante, où l’on se rend à quel point La maison aux fenêtres qui rient reste un projet unique et personnel, issu de l’enfance du réalisateur.

 

 

 

 

 

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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