La guerre froide et le péril atomique qu’elle engendre ont durablement nourri l’imaginaire des auteurs de science-fiction. Au cinéma, cette terreur se traduit au cours des années 50 et 60, par l’émergence du récit apocalyptique. Que les réalisateurs en proposent une vision réaliste (Point Limite de Sidney Lumet), satirique (Dr Folamour de Stanley Kubrick) ou mélodramatique (Le Dernier rivage de Stanley Kramer), la bombe A est dans tous les esprits. Pourtant, les conséquences d’un hiver nucléaire ne sont que peu montrées, l’explosion engendrant la fin de toute chose. Les Cinq survivants (Arch Oboler, 1951), ou encore l’excellent Le Monde, la chair et le diable (Ranald MacDougall, 1959) sont les rares exemples de films post-apocalyptiques avant l’heure, le terme ayant été popularisé par le deuxième volet de la saga Mad Max, au tout début de la décennie 80. En 1965, le comédien et cinéaste Ray Milland (apparu dans Le Crime était presque parfait ou Le Poison de Billy Wilder), s’essaye au genre et s’empare d’un script inspiré de deux nouvelles de Ward Moore parues dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction (Lot et Lot’s Daughter) afin de signer son troisième long-métrage intitulé Panique année zéro !. On y suit les Baldwin, banale famille américaine confrontée à une catastrophe atomique qui a rayé Los Angeles de la carte. Alors que commence la lutte pour la survie, le père, Harry (interprété par Milland lui-même) va révéler sa véritable nature. Le long-métrage, désormais disponible en combo Blu-Ray / DVD, inaugure ainsi la SF Collection de Rimini Editions au travers d’un superbe digipack.
À l’opposé des films de majors qui traitent de la fin de l’humanité – perçue alors comme imminente -, dont Le Jour où la Terre s’arrêta serait l’un des plus prestigieux exemples, Panic in Year Zero ! se présente comme une série B pur jus, digne représentante des productions AIP Pictures. Le studio fondé James H. Nicholson et Samuel Z. Arkoff a offert ses lettres de noblesse au cinéma bis en projetant sur le devant la scène un certain Roger Corman, à travers ses adaptations d’Edgar Allan Poe. En plus de financer le projet de Ray Milland (qui a tourné dans nombre de leurs productions telles que L’Enterré vivant et L’Horrible cas du docteur X), le duo lui met à disposition une équipe de fidèles de la compagnie. C’est le cas de Les Baxter, considéré par Joe Dante dans son interview présente en bonus, comme le « Bernard Herrmann d’AIP », qui signe une bande originale jazzy parfois hors sujet, en témoigne la séquence de viol où la musique enlevée vient désamorcer toute tension. Formellement, si le long-métrage ne s’impose pas comme une réussite flamboyante, la faute à un manque de moyens flagrant (à l’image de ces étranges zooms dans le cadre, opérant des raccords dans l’axe artificiels), il offre néanmoins de beaux moments lorsqu’il opte pour la simple force évocatrice de ses images. Conscient de son budget serré, le réalisateur fait le choix d’une suggestion payante (l’homme qui évoque la mort de sa femme, déchiquetée par l’explosion d’une fenêtre) et ne montre de la catastrophe que des lumières aveuglantes et un plan de champignon atomique. Un simple vêtement abandonné qui révèle la présence d’un personnage, génère un suspense insoutenable, et des figurants inquiets en arrière-plan, suffisent à matérialiser la terreur alors à l’œuvre. Le film bénéficie, en outre, de la photographie du vétéran Gilbert Warrenton, chef op de L’Homme qui rit notamment, qui signe un superbe noir et blanc très contrasté. Milland en profite pour contourner la censure, alors encore sévère malgré l’abrogation du code Hays en 1954, et se permet des sous-entendus sexuels plus qu’explicites, étonnants au sein d’un cadre fidèle à l’american way of life…en apparence.
Lors de ses premiers instants, le film dresse le portrait d’une famille américaine tout ce qu’il y a de plus normal, qui habite un petit pavillon et se prépare à partir en vacances. Cette image idyllique, promesse d’une comédie légère et tout public portée par un casting populaire (la mère, Ann, est jouée par Jean Hagen, connue pour son rôle dans Chantons sous la pluie, le fils, Rick, par le chanteur Frankie Avalon), se retrouve bien vite court-circuitée. La société états-unienne se désagrège rapidement, les citoyens apeurés deviennent agressifs, les autorités se révèlent inefficaces, les vendeurs profitent de la situation pour augmenter leurs prix parce que « les gens payent » quoi qu’il arrive. La compréhension de la catastrophe passe par le dialogue et maintient un semblant de lien social jusqu’à ce que l’horreur prenne une forme concrète, celle du premier cadavre montré frontalement dans la carcasse de sa voiture. Précurseur du post-nuke cher à Mad Max, Milland filme même un groupe de jeunes délinquants écumant les routes afin de détrousser des voyageurs en panique. Alors que le monde sombre dans le chaos, la cellule familiale est pervertie, la machine collective s’enraye et les valeurs fédératrices ne sont plus. Le père perd pied, bientôt suivi par son fils. Le long-métrage devient alors de plus en plus cruel jusqu’à basculer dans le récit de vengeance. Lorsque la civilisation échoue, que l’humanité retrouve sa bestialité, la loi du Talion reprend le dessus.
Loin de décrire l’émergence d’une nouvelle société, Panique année zéro ! opère surtout un retour aux valeurs traditionnelles et fondatrices du pays de l’Oncle Sam. La construction d’un abri en terrain sauvage, la méfiance envers ses voisins et la volonté de défendre son foyer, violemment s’il le faut, rejouent la colonisation de l’Amérique et le devenir des premiers pèlerins. Cette quête est d’ailleurs nommée par l’un des personnages, le « nouvel exode » et la religion y occupe une place prépondérante, comme ultime refuge pour l’humanité qui a retrouvé ses plus bas instincts. La désagrégation de la communauté s’accompagne d’un besoin d’ostracisation (rendre les routes impraticables, détruire les ponts) et d’un recours systématique aux armes à feu. Le fait de porter un fusil en toutes circonstances devient normal (voire un atout de séduction), la Californie post-apocalyptique retrouve ses fondements du temps du far west. Le père, devenu patriarche autoritaire, entraîne son fils dans son obsession sécuritaire. Ils reforment ensemble le séculaire schéma masculiniste, symbolisé à l’écran par leur place dans la voiture, comme le souligne très justement Alexandre Piletitch (critique à Revus & Corrigés) dans sa présentation. Bien qu’Harry prenne conscience de sa métamorphose et le regrette, il ne peut rien y faire, l’Homme redevient un animal qui défend son territoire, trouve dans une grotte un refuge, chasse pour se nourrir et dessine sur les murs : la boucle est bouclée. L’année zéro n’est pas symbolique, la fin de l’humanité rejoint l’aube des temps.
La peur de la guerre froide semble ici banale, quotidienne, comme si tout foyer américain vivait avec la certitude que la fin du monde est imminente. Karen, la fille Baldwin interprétée par Mary Mitchel (Dementia 13, Spider Baby), demande ainsi à son père : « C’est la fin Papa ? » dans un murmure dénué de tout étonnement. Sorti en 1962, Panique année zéro ! trouve le chemin des salles obscures alors que les Etats-Unis et l’URSS sont en pleine phase d’intimidation. Le mur de Berlin a été bâti et le débarquement de la baie des Cochons vient juste d’avoir lieu, la crise des missiles cubains, quant à elle, représentera dès l’année suivante, le moment le plus critique du conflit. Ce climat de paranoïa et d’angoisse, renforcé par le maccarthysme, est alors à son comble et les membres de la famille en semblent conscients. Ray Milland illustre cette fatalité lors des premières séquences par une sorte de compte à rebours égrenant les heures. Le spectateur ne perçoit pourtant que peu de l’Armageddon, une simple radio déréglée et un flash info annonçant la destruction des grandes capitales, sont les seuls éléments à rendre compte des événements. Le récit se focalise sur la famille et ses réactions face au chaos dans un film que Piletitch décrit comme « sur la brèche ». Ni une illustration de l’holocauste nucléaire, ni un post-nuke, il se déroule durant les toutes premières heures qui suivent l’Apocalypse. Harry, organisé et pragmatique, préfiguration du mouvement survivaliste qui émergera des décennies plus tard, se charge de mettre en place la préservation de l’équilibre du foyer. Le danger véritable ne vient pas des tensions qui ont mené à cette conclusion brutale mais au choc et aux bouleversements que cette dernière va provoquer au cœur de la civilisation même. L’ennemi n’est pas extérieur, il n’est que le déclencheur de l’anarchie qui provient de luttes intestines. L’idée de construire une nouvelle humanité, sans espoir de retrouver l’ancienne société, se retrouve illustrée par le happy end en trompe l’œil et par la citation qui l’accompagne. Comme le relève fort justement Joe Dante, la fin de la guerre froide n’a pas empêché l’opposition entre bloc de l’Est et celui de l’Ouest, tout comme les droits civiques n’ont pas mis fin au racisme. Série B de science-fiction qui tire parti de son postulat afin de délivrer une peinture sombre de l’Amérique confrontée à sa chute, Panic in Year Zero ! méritait amplement d’être redécouvert. C’est chose faite grâce à l’excellent travail de Rimini et ce premier tome de leur collection dédié au genre, gonflé de passionnants bonus et d’un master en tout point parfait.
Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Rimini Editions.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).