En quoi Renato Polselli – volontairement ou non – échappe-t-il à la catégorie des artisans besogneux du cinéma italien, ces déclassés malheureux qui n’ont jamais su atteindre le niveau d’un Sergio Martino ou d’un Umberto Lenzi ? Des noms ? Est-ce utile ? Nous ne sommes pas là pour critiquer le travail d’honorables faiseurs, d’autant qu’il n’y a aucune condescendance dans ces propos. Aussi interchangeables soient-ils, ces mercenaires de la caméra font souvent du bon boulot, n’en déplaise aux cinéphiles avertis qui attendent patiemment que le vent tourne pour apprécier ceux qu’ils ont toujours ignorés à défaut de les mépriser. Rien de nouveau sous le soleil transalpin, me direz-vous ! Mais Polselli est un cas à part, une énigme parmi ses confrères. Il débute pourtant dans les années 50 avec des petits mélodrames confidentiels avant de découvrir les vertus fantaisistes du cinéma gothique avec Les Maîtresses du vampire et L’Orgie des vampires, où déjà les prémisses d’une folie non contrôlée irriguent des récits lunaires. Après quelques longs métrages, il emprunte une voie singulière, La verità secondo Satana, prémisse du déjanté Au-delà du désir, pour le meilleur et pour le pire, qui marque sa rencontre avec Rita Calderoni.
Abusivement considéré comme un giallo, cette aberration filmique ne ressemble à rien de connu, entre expérimentation visuelle, exploitation malsaine et art naïf. Polselli n’a peur de rien et surtout pas du grotesque, affichant une désinvolture qui n’appartient qu’à lui, d’autant qu’il demeure son propre scénariste, confirmant l’adage bien connu que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Essayons de résumer le pitch dans les grandes lignes : Herbert Lyutak, éminent psychologue, spécialiste en criminologie, collabore régulièrement avec la police, dessinant le plus sérieusement le profil de criminels … dont il fait lui-même partie. Pire, c’est un tueur en série qui s’en prend à des jeunes et jolies filles présentées – époque oblige – comme peu farouches. Il les invite gentiment dans sa voiture avant de disjoncter, ne pouvant contrôler une montée de désir insupportable. Il faut dire qu’il est marié à une femme élégante, Maria, qu’il n’arrive pas à satisfaire, étant impuissant. Seules ses violentes pulsions scopiques parviennent à lui offrir un semblant d’excitation virile. Et comme il aime sa femme, ben il s’en prend aux autres. Insatisfaite, Maria, quant à elle, entretient une relation avec sa servante et éprouve une attirance pour son amie Joaquine. Tout se dérègle le jour où notre bon docteur est suspecté par la police. Bizarrement, alors que le spectateur n’a aucun doute sur sa nature profonde, il possède un alibi infaillible pour le meurtre d’une prostituée. A l’évidence, un deuxième assassin sévit dans les environs. Si vous pensez déjà que cette mise en place est absurde, vous n’êtes pas au bout de vos peines. Chaque séquence annule l’autre par sa dinguerie, poussant l’incongrue à un point de non-retour, proche d’un surréalisme inconscient, comme si Polselli l’artiste était possédé, animé d’une frénésie sexuelle pour ce qu’il représente à l’écran, faisant corps avec les fantasmes douteux de son sympathique psychopathe. Sans aucune distance, et encore moins d’ironie, le réalisateur affiche un voyeurisme malaisant, observant par le petit trou de la serrure les courbes affriolantes de jeunettes en mini-jupe suivies de sévices divers, de meurtres sanglants et de scènes saphiques sur fond de musique psyché décalée et d’hystérie collective. Contrairement à ses petits camarades du bis, il n’est même pas rattrapé par une morale catholique pouvant créer une ambivalence ou un trouble. Non, non, il va dans le mur sans se protéger, un peu comme Joe D’Amato, mais sans la cohérence obsessionnelle de ce dernier.
Loin d’être antipathique, cette complaisance fièrement étalée étonne par sa candeur, servant une intrigue azimutée qui part dans tous les sens, se terminant en apothéose avec un délire psychanalytique à trois à vous faire cramer le cerveau. Les acteurs, en roue libre, sont au diapason de ce dérèglement permanent. Mickey Hargitay, devenu culte pour son personnage de bourreau dans Les Vierges pour le bourreau de Massimo Pupillo, joue les cinglés schizophrènes avec délectation. D’ailleurs, on se demande si le médecin fou se rend compte de ses actes, car, à l’instar du génial film d’Elio Petri Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, il enquête sur lui-même, se prenant au jeu de sa propre démence. Face à Hargitay, qui ressemble à une sorte de Howard Vernon dégénéré, Rita Calderoni n’est pas avare de ses charmes A défaut d’être une grande comédienne, elle possède un charme indéniable. On la retrouvera dans le très étrange Reincarnation of Isabel, du même Polselli.
La mise en scène épouse cette narration azimutée, cumulant les faux raccords, les angles de prises de vue improbables et les ellipses abruptes d’un montage chaotique. Il se dégage de cette forme informe une poésie morbide qui fait de Delirio Caldo une œuvre objectivement ratée mais fascinante, bien plus intéressante que certains giallos standards obéissant à un cahier des charges sans imagination. A signaler qu’il existe un montage – présent d’ailleurs sur une édition DVD import, où le comportement déviant du médecin fou est justifié dans le prologue par un traumatisme lié à sa participation à la guerre du Vietnam.
La qualité de la copie Blu-Ray met en valeur la très belle photographie de Ugo Brunelli, autre point positif à mettre au crédit du film. Niveau bonus, les plus pervers d’entre vous ne manqueront pas les séquences coupées ou alternatives du montage français, insérant des plans pornographiques. Ensuite, vous avez droit à une interview plaisante avec le compositeur Gianfranco Reverbi. Et enfin, un document plus rare, un entretien téléphonique avec Renato Polselli qui date de quelques années, sachant qu’il est décédé en 2006. Par ailleurs, une erreur amusante s’est glissée dans le bonus. On aperçoit furtivement la jaquette anglaise de Kenny de Claude Gagnon sous le titre Kid Brother à la place de Solitudine. Cette petite bourde colle bien à l’univers du réalisateur, en fin de compte.
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