Que l’on soit sensible ou non à sa filmographie pour le moins hétérogène, Renny Harlin a marqué l’histoire d’un certain cinéma à grand spectacle. Non pas que sa carrière soit emplie de chefs-d’œuvre révolutionnaires (malgré quelques réussites telles que Cliffhanger ou Au revoir à jamais), mais il demeure encore aujourd’hui un exemple rare de cinéaste ayant fait couler un studio à lui tout seul pour cause de folie des grandeurs. Ce statut, qu’il partage avec un nom bien plus prestigieux – Michael Cimino et sa Porte du paradis -, il le doit à l’échec cinglant de L’Ile aux pirates, sorti en 1995. La Carolco, studio à l’origine de Rambo, Terminator 2 ou Total Recall, ne se remit jamais de cette mésaventure et dut mettre la clef sous la porte la même année (après avoir essuyé un autre revers, critique celui-ci, avec Showgirls). Suite à cette déconvenue, le réalisateur enchaînera par la suite les projets de moins en moins excitants (Peur Bleue, Driven, La Légende d’Hercules) et se refera timidement une santé en Chine en signant des actioners locaux. Revenons en arrière : 1987, le réalisateur n’a alors à son actif que deux courts-métrages, et un long, Frontière Interdite, tourné dans sa Finlande natale avec un casting principalement américain. Les producteurs Irwin Yablans (Halloween) et Charles Band (émule de Roger Corman et collaborateur récurrent de Stuart Gordon), font appel à lui pour mettre en scène Prison, un thriller carcéral teinté de fantastique. Désormais disponible en DVD et mediabook Blu-Ray / DVD chez Sidonis Calysta, il complète une collection dédiée au cinéma de genre eighties, aux côtés des Entrailles de l’enfer. On y suit les phénomènes étranges qui bouleversent la vie des condamnés d’un ancien pénitencier plein de secrets et nouvellement remis en fonction…

(© Copyright Sidonis Calysta)

Inspiré d’une idée originale de Yablans, le projet avait été pensé par le producteur comme un pur slasher, un « Halloween derrière les barreaux », comme le mentionne l’intéressé dans le making of Hard Time, disponible en bonus. Renny Harlin, qui considérait qu’il était trop difficile de faire naître de l’empathie pour des personnages de condamnés, considérés comme néfastes pour la société, réécrivit officieusement le scénario de C. Courtney Joyner. En découle un pur film d’horreur inventif, modèle de série B efficace qui se nourrit de ses divers emprunts aux classiques des genres. Ainsi, la galerie de prisonniers (parfois présentés via de simples accessoires, comme ce poster de Rambo 2 prémonitoire pour le cinéaste qui tourna par deux fois avec Stallone), et le directeur sadique Warden Sharpe (Lane Smith dans un amusant numéro de cabotinage), renvoient aux codes habituels du film de prison. Le tournage s’est d’ailleurs effectué dans un vrai pénitencier désaffecté avec de vrais détenus dans les seconds rôles (dont l’impressionnant Rhino / Stephen E. Little) afin de renforcer le réalisme tout en faisant des économies, selon une logique de production value éprouvée. Parmi le groupe de criminels, certaines « gueules » bien connues du cinéma américain de la décennie 80 comme Tommy « Tiny » Lister, et un jeune acteur alors débutant : Viggo Mortensen. Jusque-là apparu principalement à la télévision (Deux flics à Miami) et dans un second rôle dans Witness, le comédien s’avère très crédible en crocheteur de portes (c’est lui qui ouvre littéralement le passage vers un autre monde), faisant montre d’un charisme et d’un investissement totaux. Il signe la totalité de ses cascades et apporte au tout une sensibilité et une subtilité bienvenues. La dimension fantastique surgit assez tard dans le récit, le décor fait alors office de lieu de transition symbolique. Avec ses murs infranchissables et ses portes condamnées depuis vingt ans, la prison renvoie aux manoirs hantés de la tradition gothique, Sharpe faisant office de vieil aristocrate arpentant les lieux et souhaitant retrouver la grandeur passée de son établissement. Les premières minutes révèlent Katherine (Chelsea Field, aperçue dans La Part des ténèbres ou Les Maîtres de l’univers, sorti la même année) en figure d’ingénue idéaliste embarquée dans un univers surnaturel qui la dépasse. Malheureusement, son rôle qui paraissait crucial, relève au final plus du faire valoir glamour que du personnage véritablement consistant, et demeure l’un des défauts de Prison.

(© Copyright Sidonis Calysta)

Afin de faire naître la tension, le film déploie une mise en scène réussie, créant l’angoisse à partir de simples jeux d’ombres et relègue la menace hors champ. Le chef op suédois Mac Ahlberg, habitué des productions Empire Pictures, fidèle de Stuart Gordon (Re-Animator, Dolls) et John Landis (Innocent Blood, Le Flic de Beverly Hills 3) opte pour une esthétique très marquée par son époque (teintes bleutées irréelles, contre-jours) mais tire profit de son décor et offre quelques visions marquantes. Ainsi en est-il d’un long plan descendant lors d’une émeute ou de la pénible ouverture d’une porte secrète et maudite, lors d’une scène cruciale qui évoque La Forteresse noire de Michael Mann. Assez gore, le film peut compter sur des effets spéciaux pratiques convaincants, parmi lesquels une cellule qui se change en fournaise et brûle ses occupants vivants. Autre climax jouissif, une séquence de repas qui dégénère, renvoyant à un moment culte du premier Alien, au cours de laquelle la musique de Richard Ban (compositeur attitré de la firme et frère du producteur) plagie allègrement le score de Jerry Goldsmith. Fort d’une équipe rodée à ce type de productions, Renny Harlin a tout loisir de faire montre de son savoir-faire technique et de livrer une véritable bande-démo destinée à attirer l’attention des gros studios. Sans tomber dans une démarche cynique, le cinéaste démontre un talent certain à l’occasion de cette première expérience américaine, notamment à l’occasion d’une immersive introduction en vue subjective ou lors d’une spectaculaire tentative d’évasion en bus qui parvient à faire oublier son faible budget de 1,3 million de dollars. Dans un interview présente en bonus, Olivier Père décrit d’ailleurs Prison comme la fin d’une certaine idée de la série B, alors sur le point de s’éteindre, et les premiers pas d’un réalisateur qui va faire de la démesure l’une de ses marques de fabrique. Le premier long-métrage de ce dernier était d’ailleurs déjà situé dans un pénitencier et sa maîtrise des environnements clos, de l’angoisse claustrophobique, va probablement pousser la Fox à l’engager pour 58 minutes pour vivre (Die Hard 2) suite au désistement de John McTiernan. Aussi à l’aise dans l’horreur graphique (il tournera Le Cauchemar de Freddy, quatrième volet des aventures du boogeyman, juste après) que dans la suggestion, il trouve un juste milieu salutaire et payant. Le mal n’a ici plus de forme, il suinte par tous les interstices, s’incarne dans le bâtiment même et agglomère toute la violence et les exactions commises pour les retourner dans une pulsion vengeresse. Malgré un twist tiré par les cheveux et une conclusion un poil too much, Prison demeure un très bon exemple de spectacle modeste, inventif et bien mené, remplissant son contrat avec une jubilation certaine.

(© Copyright Sidonis Calysta)

Disponible en DVD et combo Blu-Ray / DVD Mediabook chez Sidonis Calysta. 

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A propos de Jean-François DICKELI

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