Au Xème siècle, les vikings sèment la terreur sur les côtes d’Angleterre Lors d’une bataille, Ragnar tue le roi et viole la reine d’Angleterre. De cette tragédie naît un fils, Eric, que la reine abandonne aux Vikings et qui sera élevé comme esclave. Mais, Eric n’accepte pas la situation, ressent en lui que son destin est ailleurs. Il rencontre Einar, fils de Ragnar et le défigure en lançant contre lui un faucon sans savoir qu’ils sont demi-frère. Une haine intense doublée d’une attirance instinctive va s’installer entre eux. Enlevée par les vikings, la future reine Morgana va tomber amoureuse d’Eric alors qu’elle est très convoité par Einar…
L’emprunte laissée par un film tel que Les vikings est celle des jeux d’enfance où l’on s’inventait des histoires romanesques, de pirates et de trésors, de valeureux chevaliers à l’honneur bafoué par un traître confortablement installé sur un trône ! On peut aisément changer d’époque et de lieux mais les récits d’aventures sont immuables, universels aussi, ils abordent les mêmes thèmes d’un film à l’autre, héritage d’une littérature enchanteresse de Robert Stevenson à Alexandre Dumas. Les vikings puise également son inspiration dans la mythologie grecque, en l’occurrence la tragédie des Atrides avec comme thème central l’affrontement fratricide pour l’accession au pouvoir. Cette histoire pleine de bruit et de fureur frappe aussi par une véracité et une cruauté inédites pour un divertissement tout public.
La dimension légendaire imprègne le film dès son ouverture avec cette voix off majestueuse d’Orson Welles, non crédité au générique, qui commence par résumer le récit de ces gens du Nord au-delà des brumes et des glaces. Ces mots, exaltés par la musique épique de Mario Nascimbene, introduisent de façon magistrale une œuvre qui n’a rien perdu de sa force au fil des années. L’adaptation du roman de Edison Marshall s’est vue confier à Dale Wasserman et surtout à Calder Willingham, futur scénariste du Lauréat et de Little big man. Ce dernier dynamite de l’intérieur le schéma classique des super productions hollywoodiennes en injectant dans son scénario une bonne dose de sadisme et d’ambiguïté, sans oublier sa mission première: divertir avec une histoire abondant en péripéties et rebondissements.
Au cœur d’une odyssée foisonnante mêlant complots, trahisons et affrontements bellicistes se joue aussi une partition plus intime, plus émotionnelle dans les rapports qu’entretiennent Eric et Einar. La haine réciproque, excessive, au-delà de la raison, traverse ce récit épique jusqu’à ce que les deux hommes apprennent -trop tard- leurs liens de parenté. Einar er Eric, via une lecture symbolique manichéenne, pourrait incarner les deux facettes d’un même personnage tiraillé entre le bien et le mal. Sauf que Kirk Douglas, par ailleurs producteur, en endossant la peau de Einar, initialement le méchant, apporte une émotion incroyable faisant de ce guerrier brutal un animal blessé, auto destructeur, un bloc de souffrance qui ne peut vivre qu’en extériorisant sa violence. En face, Tony Curtis n’est pas non plus le héros lisse et aseptisé des grandes fresques du cinéma américain. Eric est un personnage tourmenté, aveuglé par son désir de s’affranchir de sa condition d’esclave. Sa première rencontre avec Einar, d’entrée dans un rapport de force irrationnel, inconscient, impressionne par la violence qui anime ces deux corps virils, en guerre d’abord contre eux mêmes. Ces liens du sang sont transfigurés à l’écran par la couleur rouge vive, agressive du sang, qui coule à flot, rareté pour un film classé grand public. Au milieu, de ces deux figures tragiques, la beauté froide de Janet Leigh, illumine l’écran.
Cette attention particulière à la psychologie des personnages n’alourdit jamais l’aspect ludique des Vikings, demeurant toujours un divertissement haut en couleur, superbement réalisé par Richard Fleischer qui retrouve Kirk Douglas après son adaptation de Jules Vernes, 20 000 lieux sous les mers. De même que la rigueur historique au détail près ne pèse jamais sur le film. Richard Fleischer a passé un an à faire des repérages. Les bateaux, les habits, les lieux sont nourris d’une exactitude d’un point de vue historique. Ce travail d’orfèvre de coller au plus près d’une réalité après bien des recherches ne souffre pas du syndrome de l’authenticité. Paradoxalement, cette véracité méticuleuse s’oublie. Ce soucis du détail n’est au fond qu’un … détail, permettant inconsciemment, par la beauté plastique de l’ensemble, d’éprouver un jubilation à suivre les aventures romanesques et barbares de ces âmes belliqueuses. Il y a aussi, derrière, la richesse esthétique et thématique, un plaisir de se lover dans un cinéma à l’ancienne, sorte de paradis perdu où l’on ne cesse d’admirer les décors naturels : splendeur des montagnes nordiques, bleu azur des océans traversés, verdure des paysages édifiés grâce au technicolor de Jack Cardiff alors au sommet de son art dans ses représentations picturales. Chaque plan est pensé comme un tableau où les couleurs explosent du cadre que ce soit dans les plans larges ou dans ceux plus resserrés où la tension est à son paroxysme. A l’heure du tout numérique, où des pantins s’agitent sur des fonds verts, Les vikings impressionne par la densité de son scénario, l’opacité de ses personnages de chair et de sang et l’incroyable énergie de la mise en scène très physique de Richard Fleischer.
Le film ressort chez Rimini dans une copie splendide (même master que le blu-Ray sorti chez Kino) magnifiant le travail de coloriste de Jack Cardiff. Ce bel objet est accompagné d’un livre de 160 pages, L’énigme Richard Fleischer écrit par Christophe Chavdia et Stéphane Chevalier et de bonus judicieux, notamment un entretien passionnant avec le réalisateur, Un conte norvégien, qui revient sur les préparatifs complexes du film.
Les autres bonus, plus anecdotiques (une interview de Kirk Douglas, une autre plus récente de Richard Fleischer en 96, et enfin un entretien téléphonique avec les deux fils du cinéaste, Mark et Bruce Fleischer) complètent ce Blu ray indispensable pour tous les amateurs de grands spectacle et de l’auteur de Soleil vert.
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