L’édition en Blu-ray du Cercle infernal (Full Circle, 1977), second long métrage de Richard Loncraine, est une bénédiction dans le sens où ce film, resté dans le purgatoire des œuvres oubliées et/ou mutilées, uniquement visible par le biais de copies VHS ou DVD tronquées et/ou abimées, va pouvoir se rendre visible aux yeux de tous dans un état proche de la perfection d’origine grâce au travail de la société d’édition Le Chat qui fume. Ce surprenant objet filmique le mérite : gorgé de venin et d’incertitudes, mêlant une aliénation due au lieu maléfique évoquant plus ou moins le «cinéma d’appartement » de Roman Polanski que Mia Farrow avait déjà expérimenté dans son travail d’actrice (Rosemary’s Baby date de 1968) avec une sorte de gothique éthéré, il se doit d’être redécouvert dans les meilleures conditions.
Une famille traditionnelle : Julia, une mère et épouse attentive et joyeuse (Farrow, donc) ; Magnus, un père et mari taiseux auquel on obéit et qui lit le journal à table (Keir Dullea) ; Kate, une gamine espiègle, bavarde et énergique qui va trop vite pour tout, même pour avaler son petit-déjeuner (Sophie Ward). Grave erreur de la part de cette dernière : un morceau de pomme, fruit définitivement défendu, étouffe et tue l’enfant. Après un séjour en institut psychiatrique, se sentant coupable comme une mère n’ayant pu protéger sa progéniture, Julia fuit le domicile non plus familial mais redevenu conjugal, cherchant à refaire sa vie loin de ce mari qu’elle n’aime finalement plus depuis longtemps. Elle trouve une grande demeure dans laquelle elle ressent très vite la présence d’un enfant disparu, qu’elle identifie d’abord comme l’esprit de Kate. Mais ce fantôme n’est-il pas beaucoup moins bien intentionné ?
Comme recouvert d’une fine pellicule de temps, la photographie étrangement affadie, presque fanée du chef-opérateur Peter Hannan éclaire Le Cercle infernal d’une lumière blafarde de cimetière. Terrible œuvre endeuillée, le film de Loncraine semble ne rien chercher de plus que de montrer un être dévasté arpenter la dernière demeure de sa fille, au sens presque littéral du terme. Mais quelle est cette dernière demeure ? La nouvelle maison dans laquelle Julia emménage pour se retrouver loin de cette vie maritale qu’elle veut mettre à distance comme s’il s’agissait de la gale ? Ou sa propre conscience, intériorité où sa défunte fille habitera à perpétuité, faisant du corps et de l’esprit une forme de lieu hanté (idée alors neuve qui fondera quarante ans plus tard la réussite de la franchise Insidious, certes beaucoup plus mainstream mais créant une étrange corrélation avec le film de Loncraine sur le fait de marcher sur la mince ligne séparant surnaturel et aliénation) ? La réponse se situe certainement entre les deux, symptôme d’une œuvre qui ne semble chercher qu’à placer son spectateur dans l’incertitude, dans la mise en doute de ce qu’il voit, par un réseau de signes parfois infimes rendant caduque la véracité des événements inexplicables vécus par Julia. La culpabilité de la mère ne provient-elle pas plus de la trachéotomie manquée, placée dans le hors-champ et achevant l’ouverture du film, destinée à sauver l’enfant mais représentant symboliquement une seconde mort, moins accidentelle que criminelle puisque par égorgement (motif qui reviendra dans un moment capital, réitération représentative de l’importance d’un geste qui appose sourdement son empreinte sur le récit) ? Julia n’est-elle pas celle qui véhicule la mort ou le malheur, devenant l’émissaire de l’esprit malfaisant habitant la grande maison acquise par cette femme éplorée, si tant est cette présence existe ailleurs que dans l’esprit dérangé de la mère endeuillée ?
Une interrogation plus générale pourrait résumer toutes celles soumises précédemment : Julia possède-t-elle un don de médiumnité ou est-elle tout simplement psychotique et potentiellement criminelle ? Toute l’épouvante du Cercle infernal émane de ce questionnement, générant une inquiétude et une fascination réelles, et faisant des scènes de mises à mort des moments incertains, sur lesquels on ne peut vraiment trancher pour savoir s’ils sont véritables ou fantasmatiques (la mort d’un protagoniste dans le sous-sol de la maison, que le récit s’obstinera à ne plus jamais aborder, comme si la scène n’avait jamais eu lieu). Julia est un personnage du doute, faisant tout autant peur que pitié, fantôme parmi les fantômes avec lesquels elle cohabite, anticipant voire provoquant par sa simple présence ou par la pensée des événements négatifs pour celles et ceux qui l’entourent. Si elle fuit son mari Magnus, il s’avère que Julia est elle aussi rejetée, mise à l’écart comme une pestiférée dans plusieurs séquences du film, accusée (à tort ?) de porter préjudice par ses questions, ses actions, le fait d’être simplement là, malheureux oiseau de malheur.
De ce point de vue, Le Cercle infernal peut être considéré comme une étrange réécriture du mythe de Cassandre dans laquelle le récit laisse une part active au spectateur : allégorie du savoir mis en doute, le personnage mythologique a le même don de prescience que peut avoir Julia (dans la scène d’ouverture, cette dernière anticipe benoîtement la mort de sa fille en lui disant qu’elle mange trop vite) ; le personnage de Loncraine, lui, semble voir des esprits dont le récit, le montage et les diverses ellipses occasionnées par ces derniers mettent en doute la véracité, incertitude instillée dans l’esprit d’un spectateur qui ne croit que ce qu’il voit. Cette idée de confrontation entre réalité et doute, entre puissance de la divination et croyance en elle se décline encore par le biais d’un personnage de vieille dame aveugle (interprétée par Mary Morris) ouvrant la piste de l’enquête de Julia sur les habitants précédents de sa demeure, guide spirituel et clairvoyant malgré la cécité évoquant cet autre personnage mythologique qu’est Tirésias. Tragédie intime empreinte de mysticisme dissimulée sous les oripeaux du cinéma d’épouvante, Le Cercle infernal semble donc reconduire des schémas et motifs universels afin de dresser le portrait d’une femme en profonde détresse psychologique, et dont on ne sait si sa souffrance fait d’elle une femme dangereuse ou en danger vis-à-vis du monde qui l’entoure.
Outre le film, le Blu-ray contient :
• LE CERCLE INFERNAL avec le réalisateur Richard Loncraine
• BOUCLER LA BOUCLE avec l’acteur Tom Conti
• LA PEUR DE GRANDIR avec l’actrice Samantha Ward
• LE FILM PERDU avec Simon Fitzjohn
• NOUS TOURNONS EN ROND DANS LA NUIT, analyse du film par Vincent Capes
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).